Peu après 20h, plus de cinq millions de téléspectateurs ouvrent leurs oreilles dans l’attente de découvrir la solution miracle pour faire des économies sur leurs contrats du quotidien. En guise d’introduction, Julien Arnaud trouve utile de rappeler un principe fondamental :
Les Français n’aiment pas le changement, on le dit souvent, eh bien c’est vrai.
Tenez-vous le pour dit ! Dans la foulée de ce commentaire gratuit, le présentateur introduit l’idée directrice du sujet. Une idée simple comme une publicité :
Pour ce qui concerne leurs contrats dans la vie quotidienne, les assurances, le téléphone ou les banques par exemple, ils changent trois fois moins souvent que leurs voisins européens. […] Et pourtant quand on change on peut faire de très grosses économies. Alors comment s’y prendre ? Ce n’est pas si compliqué comme on va le voir tout de suite.
Et pour le voir, le journaliste nous convie en « reportage embarqué » au domicile d’une certaine Clémence, pour qui « scruter avec attention toutes ses factures » est devenu « un rituel » : « électricité, internet, assurance, pas question pour elle de payer le prix fort. Alors pour dépenser moins, elle n’hésite pas à renégocier ses contrats », s’emballe le journaliste.

« En quelques clics, elle a pu s’en rendre compte », poursuit la voix-off en détaillant les dizaines d’euros d’économie réalisés sur trois factures, dont les logos insuffisamment floutés laissent gracieusement transparaître le nom des entreprises.

Ébloui par le constat, le journaliste s’interroge : « Changer de contrat, c’est pourtant loin d’être un réflexe pour tous. […] Alors, pourquoi ne faites-vous pas jouer la concurrence ? » S’ensuit un micro-trottoir de quelques secondes où des passants pointent « le manque de temps », le « marasme de numéros de téléphone », ou le fait de « ne pas être gestionnaire ».
Autant de problématiques que va rapidement résoudre notre « journaliste de solutions » en prenant la direction d’une start-up spécialisée dans l’aide personnelle à la réduction des factures courantes, « JeChange », dont il va interviewer le fondateur, Gaël Duval : « Pourtant selon ce spécialiste, les obstacles pour changer de contrat sont aujourd’hui beaucoup moins nombreux qu’auparavant ».

Après avoir raconté comment changer de contrat était plus facile parce c’était plus facile, Gaël Duval rend la parole au journaliste, le temps de clore ce « reportage » – ou devrions-nous dire, cette page de publicité – en filmant quelques citations qui ornent les murs de l’open-space en gros-plan :

Bref, la start-up de Gaël Duval n’aurait pu rêver meilleur dépliant publicitaire : merci à TF1, dont le sujet permet en outre de diffuser un point de vue libéral en matière d’économie : outre la célébration directe de la concurrence, ce reportage glorifie l’idée selon laquelle les tarifs de services peuvent varier légitimement du tout au tout, et ce sans aucune transparence vis-à-vis du public. Une autre manière de « responsabiliser » (en langage Macron) les familles précaires, en sous-entendant qu’il ne tient qu’à elles (et à leur temps) de « changer » et de payer moins cher ; entendre « si vous continuez d’être pauvre, c’est que vous l’aurez bien cherché » [1].
Publi-reportages entre copains (macronistes)
Mais c’est loin d’être fini. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que la facture de TF1, elle, s’alourdit après quelques recherches concernant les deux protagonistes du reportage : qui sont donc Gaël Duval et Clémence Cherier, interviewés par le journaliste de TF1 ?
Le premier est « serial entrepreneur du digital » (sic), co-fondateur et président de la « French Touch Confence », un « événement international et itinérant » visant, selon les mots de son géniteur, à « accélérer la croissance des scale-ups à l’international et mettre en avant les réussites entrepreneuriales françaises à travers le monde. » [2] Il siège également au Conseil national du numérique depuis février 2016, dont les membres sont nommés par arrêté du Premier ministre sur proposition du ministre chargé du numérique, pour un mandat de deux ans, renouvelable une fois. Le 29 mai 2018, le gouvernement reconduisait ainsi le mandat de Gaël Duval [3].
Mais le copinage de Gaël Duval avec le gouvernement actuel est loin de s’en tenir à ça : on apprendra ainsi qu’il « fait partie du premier cercle d’Emmanuel Macron. Il est en effet depuis longtemps à ses côtés et est même l’un des instigateurs de son mouvement » peut-on lire dans un article de Capital, qui décrypte la « dream team » du Président de la République. Un rôle que détaillait le magazine Forbes en février 2017 :
[Gaël Duval] s’engage dans le débat politique en soutenant publiquement – « mais sans fonctions opérationnelles » -, précise-t-il tout de go, l’ancien ministre de l’Economie, Emmanuel Macron. « Pour la première fois de ma vie, j’ai eu l’impression de rencontrer un "doer" en l’occurrence une personne qui agit plutôt qu’un mec qui parle », dépeint le fondateur de jechange.fr. Organisateur de certaines levées de fonds – « cela marche plutôt bien » évoque-t-il, sybillin et d’ajouter « mais je ne sais pas si cela sera suffisant », Gaël Duval prend également la parole dans les médias et distille quelques conseils, notamment sur la stratégie internet. Objectif : la conquête de l’Elysée qui, après avoir fait office d’utopie, ressemble de moins en moins à un mirage. « Ce serait exceptionnel de gagner du premier coup et d’avoir un président de notre génération qui fasse enfin ce dont notre économie a besoin ».
Ce dernier ne manque d’ailleurs jamais de transparence, n’hésitant pas à relayer sur sa page Facebook, par exemple, sa participation au voyage d’État présidentiel pour rendre visite au Président Trump en avril 2018 :

Autant d’informations on ne peut plus claires qui auraient sans doute mérité d’apparaître dans le reportage de TF1, non ?

(Image issue de l’article de Forbes)
Poursuivons avec la fameuse Clémence Cherier, interviewée au début du reportage : elle n’est autre que la belle-sœur de… Gaël Duval [4], dont elle ne manque pas de vanter un passage médiatique sur sa page Facebook :

Résumons : TF1 commet un publi-reportage d’une start-up, dirigée qui plus est par un très proche d’Emmanuel Macron, détail malencontreusement omis par la rédaction. En appui à ce « reportage », TF1 fait intervenir la belle-sœur du fondateur de l’entreprise promue par la chaîne, omettant là encore de mentionner les liens de parenté. Il serait intéressant que « Jechange » communique sur les retombées de cette opération. Nul doute que le retour sur « investissement » a été fructueux. Si « Jechange » a su tirer les bonnes ficelles pour diffuser une publicité de deux minutes sous forme de reportage journalistique, la plus optimale pour « convaincre le consommateur », le présentateur n’a pas été en reste, reconverti pour l’occasion en commercial-maison. Rien à dire : en matière de plan de comm’, d’indépendance et de déontologie, TF1 est tout à fait dans l’air du temps : une chaîne première de cordée.
Quand les grands médias co-fabriquent l’ascension de la famille Duval
Et ce n’est pas encore fini ! On peut dire que TF1 ne lésine pas sur la promotion des activités des Duval. Le 2 août 2018, l’équipe du JT commettait déjà le même genre de reportage publicitaire, embarqué cette fois-ci au cœur de « Yuj Yoga Studio », une salle de yoga parisienne qui a fait des petits dans les arrondissements chics de la capitale [5] et à Chamonix. La fondatrice de cette société ? Hélène Duval, compagne de Gaël Duval et grande admiratrice, elle aussi, du couple Macron, avec qui elle s’affiche sur Facebook au soir de la proclamation de l’élection du Président par le Conseil Constitutionnel, le 10 mai 2017 :

Dans son « reportage », la rédaction de TF1 s’attarde sur la boutique du studio, où se vendent nombre de produits dérivés et vêtements de yoga de la marque créée par la même Hélène Duval, dont la journaliste vante le succès commercial. Le sujet n’est plus visionnable sur le site de TF1, mais son caractère promotionnel est tel qu’il a été posté sur la chaîne youtube de… la salle de yoga en question ! Idem pour M6, qui, précédant TF1 de quelques mois, consacrait à l’entreprise d’Hélène Duval une très belle page publicitaire dans son édition de midi en mars dernier [6].
Du reste, la partie « Médias » du site de « Yuj Yoga Studio » donne une petite idée de la couverture dont a bénéficié Hélène Duval, tant dans les médias généralistes que dans la presse dite « féminine ». Ce recensement en dit également long sur le caractère publicitaire systématique des articles, utilisés par Hélène Duval comme autant de supports de communication.
Il en va exactement de même pour la start-up « JeChange » fondée, rappelons-le, par son mari Gaël Duval. Mais dans des proportions bien plus spectaculaires. Le site de l’entreprise comporte un onglet « revue de presse », véritable puits sans fond recensant les médias ayant couvert l’activité de l’entreprise. Nous remercions l’assiduité des recenseurs, qui nous permet, à moindre frais, de dresser un constat particulièrement révélateur [7] : au total depuis 2007, l’entreprise de Gaël Duval a bénéficié de 135 publications dans les médias, dont 80 sont issues de médias généralistes (médias nationaux et presse quotidienne régionale confondus) ; dans leur écrasante majorité (66 sur 80), elles sont réparties sur les cinq dernières années (depuis 2014). Les 55 publications restantes proviennent de magazines spécialisés, papiers ou numériques. Toujours dans les médias généralistes et depuis le début de l’année 2019, on compte déjà 5 apparitions médiatiques (TF1, Le Midi libre, Le Parisien, Les Échos et Capital). En 2016, elles étaient au nombre de 28, soit plus de deux par mois, 13 en 2017, et 10 en 2018 [8]. Évidemment, un simple survol de cette centaine de titres de presse suffit à mesurer l’extrême agressivité des grands médias envers les activités de la start-up et de son président (« Gaël Duval, Monts et merveilles », Forbes, 02/17), quand ils ne se convertissent pas tout simplement en DRH de l’entreprise :
 

Cette confusion totale entre le journalisme dit « business » dans le cas de Gaël Duval, dit « lifestyle » dans le cas d’Hélène Duval et la communication marchande passe un cap supplémentaire dans la presse magazine et spécialisée. Le 16 octobre 2013, on pouvait par exemple subir le reportage du web-magazine déco-design « Intérieurs », ravi de faire la visite du domicile… d’Hélène et Gaël Duval. Présentés comme simples « propriétaires », les deux tourtereaux se succèdent mielleusement au micro pour commenter la déco de leur intérieur bourgeois, sans omettre de citer le nom de marques toutes plus luxueuses les unes que les autres.
Vous avez dit misère ?
Que reste-t-il du journalisme lorsque la rédaction de TF1 feuillette son carnet d’adresses pour fabriquer de toutes pièces un reportage publicitaire prêt à servir à la grand-messe du 20h ? Que reste-t-il du journalisme dans un reportage plébiscitant les activités commerciales d’un compagnon de route de Macron, membre qui plus est d’une structure publique, sans que ces informations soient apportées aux téléspectateurs ? Que reste-t-il du journalisme quand les carrières entrepreneuriales de quelques-uns (qui diront évidemment « s’être faits tout seuls ») sont littéralement co-construites par les grands médias des années durant ?
L’entre-soi du monde médiatique et du monde des affaires est encore ce qui fait fructifier le mieux la production journalistique : les premiers obtiennent de ces entrepreneurs des reportages vite écrits (vite oubliés) et à peu de frais, quand les seconds bénéficient de réseaux et de ressources sociales, économiques, politiques à même de leur ouvrir les portes des grands médias pour assurer leur propre promotion. Une impunité entre amis qui fait le bonheur de l’esprit libéral façon « start-up nation », le tout sur le dos des usagers des médias, que les grands pontes du journalisme n’ont pas fini de prendre pour des imbéciles.
Pauline Perrenot et Hugo Pilatime
Annexe : Recension des publications consacrées à la start-up « JeChange » de Gaël Duval depuis 2007 (transcription in extenso de la revue de presse effectuée par la start-up elle-même) [9] :
16/02/2019       RTL			                                  
14/02/2019	Midi libre			
13/02/2019	Le Parisien		 
12/02/2019	TF1		          
01/02/2019	Les Échos		
10/01/2019	Capital		
27/12/2018	M6		
14/02/2018	Le Figaro		
26/11/2018	La Dépêche 		
30/10/2018	Le Parisien		
17/10/2018	La Tribune de Toulouse		
10/10/2018	Le Figaro		
08/10/2018	Alliancy		
03/10/2018	Capgeris		
31/08/2018	Les Échos start			
23/08/2018	France Bleu Gironde			
28/08/2018	Les Échos start			
13/11/2018	BFM Business			
18/07/2017	Sud Ouest			
18/07/2017	La Dépêche			
03/05/2017	LCI			
02/05/2017	Magazine Nous Deux		
01/05/2017	Sud Radio			
24/04/2017	L’ADN			
23/04/2017	emarketing.fr		
21/04/2017	Sud Ouest			
21/04/2017	La Dépêche 			
20/04/2017	France 2			
17/04/2017	RTL			
10/02/2017	L’hebdo bourse plus		
09/02/2017	Forbes			
03/02/2017	L’Express			
02/02/2017	Sud Ouest			
01/02/2017	La Dépêche			
31/01/2017	Le petit journal - l’hebdo du Lot-et-Garonne			
28/12/2016	La vie économique		
21/12/2016	La Tribune de Bordeaux			
10/12/2016	Le Soir			
08/12/2016	Sud Ouest			
08/12/2016	L’Express			
06/12/2016	Le journal des télécoms		
05/12/2016	Digimedia			
02/12/2016	Frenchweb.fr		
01/12/2016	La Libre Belgique		
01/12/2016	Entreprendre 		
01/12/2016	L’Écho			
01/12/2016	La Dépêche du midi			
30/11/2016	Itespresso			
30/11/2016	La Tribune de Bordeaux			
30/11/2016	Les Échos			
30/11/2016	Les Échos			
29/11/2016	Challenge			
26/11/2016	Le Figaro	 		
17/11/2016	Le Parisien			
08/11/2016	Challenges			
04/11/2016	QuelleEnergie.fr		
31/10/2016	La Tribune			
28/10/2016	La Tribune			
10/10/2016	Les Échos			
08/10/2016	Aqui !			
05/10/2016	Sud Ouest			
04/10/2016	Le petit journal - l’hebdo du Lot-et-Garonne			
30/09/2016	CCI Acquitaine		
30/09/2016	La Tribune de Bordeaux			
29/09/2016	Paris Match			
28/09/2016	Fiscalonline.com		
26/09/2016	Télé Poche			
24/09/2016	BFM Business			
26/08/2016	Horizons			
25/07/2016	Club Commerce Santé		
25/07/2016	Itespresso			
23/07/2016	La Dépêche			
22/07/2016	La Tribune de Bordeaux			
22/07/2016	L’argus de l’assurance		
22/07/2016	Sud Ouest			
21/07/2016	Journal du Net		
07/06/2016	RTL			
13/05/2016	Maddyness			
13/05/2016	L’hebdo			
27/04/2016	Mob News			
27/04/2016	Les news du net		
15/04/2016	Le Figaro			
24/03/2016	L’argus de l’assurance		
22/02/2016	Le Revenu			
10/02/2016	La Tribune			
25/01/2016	Le Figaro			
21/01/2016	Sud Ouest			
18/12/2016	L’argus de l’assurance		
16/12/2015	Boursier.com		
13/11/2015	Horizons			
06/11/2015	Le Figaro			
05/11/2015	Sud Ouest			
18/09/2015	Itespresso			
07/09/2015	Le Petit bleu			
29/06/2015	Dossier familial		
18/06/2015	Boursier.com		
01/06/2015	L’Hebdo			
01/06/2015	InfosBox			
26/05/2015	Capital			
07/05/2015	Paris Match			
02/04/2015	Europe 1			
25/03/2015	BFM Business			
28/01/2015	La vie économique		
20/01/2015	France Mobiles		
19/01/2015	L’usine digitale		
19/12/2014	Frenchweb.fr		
18/12/2014	CCI Lot et Garonne		
10/12/2014	Itespresso			
01/12/2014	La Tribune			
25/11/2014	Journal du Net		
24/11/2014	Les Échos			
06/11/2014	Sud Ouest			
01/10/2014	La Dépêche			
16/06/2014	BFM Business			
11/06/2014	Sud Ouest			
05/06/2014	PresseCitron		
04/06/2014	Itespresso			
26/05/2014	Mfrenchy Entrepreneurs		
26/05/2014	01net			
22/05/2014	Silicon			
19/05/2014	L’Express			
19/05/2014	Le Nouvel Observateur			
17/04/2014	L’usine digitale		
17/04/2014	Les Échos			
06/08/2012	France 3			
20/10/2009	LCI			
01/10/2009	Marie Claire			
17/09/2009	L’Express			
01/09/2009	Biba			
28/10/2008	TF1			
17/09/2008	France 2			
03/09/2008	Aujourd’hui en France			
30/08/2008	France 2			
23/07/2008	Tout pour les femmes		
22/07/2008	Journal du Net		
27/05/2007	Notre Temps



 
     
    