Le titre barre toute la Une de Midi Libre le 5 mai : « Au Teknival, les chiens tués transportaient de la drogue. » Plus bas, le texte racole encore un peu plus l’acheteur et peut-être futur lecteur : « Vision d’horreur lors du nettoyage du site : les cadavres d’une quinzaine de chiens éventrés par leurs maîtres après leur avoir fait avaler de la drogue pour tromper les contrôles. » Une photo de « teufeurs » avec un chien en laisse, complète le tableau. Sa légende : « Chien de "teufer". Parfois un destin tragique. » À l’intérieur, l’article commence ainsi : « Une horreur ! Du jamais vu en France. » [1]
Tout ça pour une fausse information relayée par Le Parisien-Aujourd’hui en France dans son édition du 4 mai et qui sera reprise par des radios et des télévisions le jour-même. Certaines seront d’ailleurs citées par Le Monde daté du 7 mai : « En milieu de matinée, jeudi 4 mai, les gendarmes commencent à s’énerver : "Ça suffit les conneries, il n’y a pas eu de second mort ni de chiens éventrés !" Jeudi soir, Canal+ se faisait pourtant encore l’écho de cette prétendue affaire lors d’un reportage diffusé dans le journal de 18h50 où les faits étaient présentés sans aucune précaution. En revanche France Info a fait un rectificatif à l’antenne vendredi matin. » Les deux seules précautions prises par Midi Libre (groupe Le Monde), seront de citer la source de l’information (Aujourd’hui en France) et d’employer le conditionnel dans une phrase reprise du quotidien national : « ils auraient fait avaler de la drogue. » Cette même phrase sera, il faut le préciser, mise en exergue dans l’article.
« La spirale de l’erreur »
Pourquoi ne pas avoir enquêté et passé quelques coups de fils, par exemple aux gendarmes, pour vérifier l’info du Parisien, parue le matin ? « On s’est basé sur des confrères qui comme nous ont une carte de presse et qui ont une formation de journaliste et contre lesquels nous n’avons pas d’a priori négatif », répond Luc Danos. Et le journaliste de Midi Libre précise : « Quand ça a été décidé, j’avais d’autres papiers sur le feu et ça m’est tombé comme ça. J’étais parti sur l’info des à-côtés du Teknival lui-même. Et puis un confrère m’a fait remarquer : "J’ai entendu ça." Après vous savez ce que c’est, la spirale de l’erreur... » Il est aussi important de noter que les témoignages cités par Le Parisien étaient tous anonymes. Mais cela n’a visiblement pas fait tilt à Midi libre.
En tous cas, à Libération, les conditions de travail semblent meilleures que dans le sud. À la lecture de l’article signé Florence Fabrer, paru le même jour que celui de Midi Libre, on constate que la journaliste de Libé, elle, a eu le temps de téléphoner pour obtenir un démenti de la gendarmerie et d’un docteur présent sur le stand de Médecins du monde. À noter aussi que, dès le titre de l’article de Libé, il est question de « rumeurs » et le conditionnel est employé.
Dix jours après, Luc Danos reconnaît avoir « fait une erreur » et « l’assume totalement ». Son journal a d’ailleurs publié un rectificatif le 9 mai, soit 4 numéros plus tard (à Midi Libre, il semblerait qu’on ne lise pas Libé ni Le Monde). La correction ne sera pas en Une, comme la fausse information, mais perdue au milieu d’une colonne de brève et sobrement titrée « Teknival ». Puis, à la place d’improbables excuses, le quotidien rappelle et confirme une autre information de l’article du 5 mai concernant des saisies de drogue. Enfin, il signale que « l’information » des chiens « avait été relayée par Le Parisien et La Nouvelle République ».
Jacques-Olivier Teyssier