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Messi partout, journalisme nulle part

par David Garcia,

Quand le meilleur footballeur de la planète débarque en France, les médias sportifs et généralistes lui déroulent le tapis rouge. Légender le sport plutôt qu’informer, récit d’un parti pris qui pique les yeux.

« Leo 1er, un roi à Reims. Le monde entier va suivre ce soir les débuts de Lionel Messi en Ligue 1, dans la ville des sacres. » Ce dimanche 29 août, la Une de L’Équipe ressemble un peu plus à ces gazettes vouées à célébrer les têtes couronnées. Il est question ici de l’Argentin Lionel Messi. Depuis l’annonce de son transfert du FC Barcelone au Paris Saint-Germain, médias sportifs et généralistes se livrent à une surenchère hagiographique. Rarement le quotidien sportif aura décliné avec autant de zèle et de constance sa devise, « L’Équipe légende le sport ». Confronté à une érosion continue de ses ventes [1], en proie à des soubresauts sociaux, le titre phare du groupe Amaury ne peut qu’applaudir l’arrivée du « prodige » argentin, synonyme de diffusion en hausse.

Alors que Messi s’apprête à signer son contrat avec le PSG, richissime club de la capitale propriété d’un fonds souverain qatari, le titre d’un éditorial annonce la couleur : « La légende du siècle ». Pas moins de onze pages sont consacrées à « Messi, guide en exil » (9 août). Petite baisse de régime le surlendemain, avec seulement dix pages sur le phénomène argentin. « Une apothéose » ; « Ils se lèvent tous pour Messi » (11 août). La course aux superlatifs ne faiblit pas.

La palme de l’idolâtrie revient au consultant de BeIn Sports Omar Da Fonseca. Ce dernier acclame bruyamment la vedette argentine lors de sa conférence de présentation à la presse. « Messi, Messi ! ». Sous le regard goguenard et complice de l’idole. Le Journal du dimanche n’est pas en reste. Interviewant Da Fonseca, le JDD lui demande sans rire si le jeu de Messi est « une œuvre d’art ». Le consultant de BeIn Sports – qui appartient à l’État qatari, comme le PSG – répond tout aussi sérieusement : « Exactement, et il ne faut jamais banaliser la beauté. Messi, c’est Mozart, la tour Eiffel, une deuxième Joconde. Tout le monde le regarde tout le temps. »


La chronique du monarque


Sûr que les médias ont les yeux rivés sur Messi. Au risque de le banaliser. Dans son édition du 16 août, L’Équipe offre un poster « grandeur nature » du « génie XXL ». Les adeptes pouvaient même partager leur photo « aux côtés de Lionel Messi avec le hashtag #MessiDansMonEquipe sur Twitter/Instagram ».

À l’instar de Louis XIV en son palais, ses courtisans s’enquièrent des moindres faits et gestes du roi Messi :


Quand il n’est pas au Camp des loges [le terrain d’entraînement du PSG, NDR], Messi passe son temps en famille. Antonela et les enfants – pleins d’énergie –, toujours en quête de leur maison, ont déjà visité quelques parcs parisiens. Vendredi soir, dans le cadre d’une opération avec Adidas, la petite famille s’est accordé une virée shopping dans le magasin de la marque sur les Champs-Élysées. Une demi-heure discrète, rien que pour eux (le magasin était fermé au public) en compagnie de Jorge, le papa, d’un couple d’amis et de quelques proches dont Pepe Costa pour remplir les sacs. Dans la grande salle, Thiago, Mateo et Ciro, les fils du numéro 30 parisien, courent un peu partout. Messi jongle et échange quelques passes avec sa progéniture. Les salariés présents n’ont pas été autorisés à parler directement à la star. Alors, entre deux photos, ils regardent ces joyeuses scènes familiales de loin. Une signature sur le pied gauche d’une paire de crampons qui sera vendue, puis deux ou trois photos avec quelques enfants présents et Messi est reparti. (L’Équipe, 16 août.)


Tout, nous saurons tout ou presque sur « Antonela et les enfants ». Les sorties au restaurant de Lionel tiennent une part non négligeable dans la chronique du monarque :


S’il dîne au Royal Monceau (…), l’Argentin s’est offert ces derniers jours quelques repas en dehors de son hôtel. Notamment dimanche soir en compagnie de son épouse, dans l’un des restaurants les plus appréciés par le vestiaire parisien (…). Antonela, qui avait déjà des contacts avec certaines épouses ou compagnes des joueurs sud-américains, a fait connaissance avec d’autres au Parc des princes [le stade du PSG, NDR] (…). (L’Équipe, 16 août.)


Le feuilleton de la quête d’un logement – pardon, d’une « villa luxueuse » digne du clan Messi – tient les journalistes en haleine. En la matière, Le Parisien dispose des informations les plus détaillées. Le quotidien de Bernard Arnault, l’empereur du CAC 40, a sollicité l’avis d’un « professionnel qui a déjà trouvé des solutions [sic] pour de nombreux joueurs du club ». D’après lui, « la famille a certaines attentes »… dont le déballage ne fait pas tache dans les pages du Parisien :

« Ils veulent la même chose qu’à Barcelone, une maison contemporaine au style très épuré, sans travaux à réaliser, avec un extérieur et une piscine. Une piscine, c’est compliqué à trouver sur le marché parisien. Il n’y en a pas forcément à la location, il faut aller piocher à la vente et demander aux propriétaires s’ils veulent bien louer », argue-t-il. (Le Parisien, 16 août.)


Pas question d’oublier le meilleur ami des Messi. « Un grand terrain pour Hulk, le chien de la famille, sympathique Dogue de Bordeaux de 60 kg, est également à prévoir… ». Quand on aime, on ne compte pas. Qu’importe si le loyer peut grimper « jusqu’à 40 000 euros par mois ! » [2] Surtout que « Leo » va gagner annuellement 40 millions d’euros, net d’impôts.

C’est bien connu, la célébrité et le pouvoir rendent beau, voire parfait. Sous la plume des journalistes de L’Équipe, le Dieu du ballon rond a des allures de Saint-Louis guérissant les écrouelles, croisé avec Bambi, le gentil faon de Walt Disney. « Messi affiche une forme de discrétion. Des sourires, une volonté – en retenant par exemple certains prénoms – de trouver sa place. Sans faire trop de bruit. Quand certains salariés lui envoient des messages, Messi se montre réactif. Et quand, mercredi, au cours d’un atelier avec les différents sponsors et médias du club – dans le cadre d’une opération pour l’office du tourisme du Qatar –, Messi doit participer, il le fait avec sobriété et disponibilité », minaude le reporter (L’Équipe, 29 août 2021). Ou serait-ce son attaché de presse…


Tapis rouge pour le patron du PSG


Dans cette atmosphère de culte de la personnalité, Le Canard enchaîné fait figure d’exception. Omar Da Fonseca, l’amoureux des Jocondes, se retrouve collé au traditionnel « mur du çon » de l’hebdomadaire satirique (18 août). Cette même édition tourne en dérision un portrait du président du PSG, paru dans France Football (août 2021), le supplément mensuel de L’Équipe. Monument de flagornerie, l’article résonne comme un acte d’allégeance à l’employeur de Messi. Le choix du titre de couverture, « Le prince du désert », donne le ton du reportage, réalisé au Qatar, chez Nasser Al-Khelaïfi. Comme Lionel, « NAK » est une personne humble qui privilégie les joies simples de la vie en famille et auprès de ses amis… C’est en tout cas le portrait qu’en fait le rédacteur en chef de France Football, qui s’est déplacé pour l’occasion :

Le vrai Nasser, c’est celui qui sert tout le monde à table avant de commencer à manger, explique Hakim Chalabi, le patron d’Aspire, l’hôpital du sport ultrasophistiqué de Doha et proche de « NAK » depuis 2008. C’est celui qui téléphone à n’importe quelle heure juste pour te demander comment ça va, celui qui prend le temps de la réflexion, comme souvent les orientaux.


Sans oublier d’interroger les proches, pour plus de diversité :


[Un autre ami] admire son calme […]. Je ne sais pas comment il encaisse tout ça. Moi, j’ai déjà cassé des téléviseurs, des portables, à cause des matches du PSG. Lui, il reste tranquille et gentil. Démesurément gentil. Même quand on lui fait mal. Je ne sais pas comment il fait. Mais il a sans doute raison.


Comment France Football fait-il pour dérouler dix pages dithyrambiques sur le patron du PSG et de BeIn Sports ? Le tout sans un mot « sur les petites casseroles judiciaires que trimballe notre fan de nouilles sucrées », comme le souligne Le Canard enchaîné (18 août) ?


***


La question se pose aussi pour Lionel Messi, dont le cache-cache avec le fisc espagnol est pudiquement passé sous silence [3]. De peur de froisser l’idole et son entourage ?


David Garcia

 
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