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Médias en (pré-)campagne : les éditorialistes contre le projet PS

par Grégory Rzepski,

Le 6 juin 2006, les dirigeants du Parti socialiste ont adopté leur projet pour les élections présidentielles et législatives de 2007. En tant que contribution au débat public d’une des principales organisations politiques françaises, ces propositions peuvent être discutées. Nous sortirions de notre rôle, si nous engagions ici cette discussion : nous ne l’avons fait que pour ce qui est de la question des médias [1].

Mais il n’est pas sans intérêt de relever que « l’élite » des éditorialistes de la presse écrite nationale s’est emparée du débat sur le projet socialiste. Leur verdict ? Ce projet n’est pas assez « libéral » ou trop peu réformiste (c’est selon).

Sans revenir sur le fond des mesures proposées, on peut quand même s’interroger sur la stupéfiante unanimité des critiques [2].

Quel financement ?

Le 8 juin, Jean-Michel Thénard dans Libération ouvre le bal en regimbant devant « un texte qui manque de caractère, de vision et de crédibilité, trop hésitant entre audace réformiste ou restauration jospinienne, sans parler de l’absence de propositions chiffrées. » Ancien directeur de Libération, Laurent Joffrin conforte le point de vue de Jean-Michel Thénard dans Le Nouvel Observateur (15 juin) en déplorant que « le financement de l’ensemble paraît pour le moins incertain. » Ancien directeur du Nouvel Observateur, Franz-Olivier Giesbert, abonde dans le sens de Laurent Joffrin en mettant en garde le PS dans Le Point (15 juin) : « Ses promesses d’aujourd’hui sont les dettes de demain qui provoqueront les plans de rigueur d’après-demain. » Il est soutenu dans ce même numéro du Point par Jacques Marseille attaquant : « ce projet, non réellement chiffré (mais qui « aime » ne « compte » pas) représenterait, selon Dominique Strauss-Kahn, un coût de 50 milliards d’euros. ». Le 1er juillet, dans Le Monde, Eric Le Boucher, résume ce que ses collègues ont écrit depuis un mois : « un programme dépensier, inapplicable, dont l’inspiration recule aux années 1970. »

Unanimes à déplorer les problèmes de financement que poserait le projet du PS, les éditorialistes des grands médias le sont aussi sur la cause des maux français : la dépense publique. Franz-Olivier Giesbert fait office de chef d’orchestre et donne le ton : « ces 80 milliards que coûte encore l’exception française dans la fonction publique (...) représentent à peu près l’équivalent du coût du projet socialiste. » Et Laurent Joffrin reprend en écho : « quid de l’emploi des fonds publics ? Sont-ils vraiment dépensés à la perfection ? N’y a-t-il pas, dans le maquis bureaucratique de l’appareil d’Etat, une meilleure productivité à trouver ? »

Le projet PS entre tromperie et manuel marxiste

Les commentateurs politiques avisés, fervents défenseurs des lois Fillon sur les retraites, s’inquiètent du positionnement du PS sur ce sujet. Denis Jeambar le résume très bien dans L’Express (15 juin) : « si [le] candidat [PS] l’emporte, l’année prochaine, à l’élection présidentielle, il abolira la réforme des retraites conduite par François Fillon. » Or, ajoute-t-il, « la loi Fillon est imparfaite, mais elle est surtout insuffisante et devra être poursuivie. Le PS n’en a cure au nom d’une alternance conçue comme un règlement de comptes. » Même analyse chez le copiste Laurent Joffrin « [Dans le projet du PS] La loi Fillon est remplacée. On se garde de dire par quoi. (...) Veut-on tromper les fonctionnaires ? Ou bien céder encore, in fine, aux corporations et renvoyer la charge du financement sur les jeunes générations déjà accablées de cotisations ?  ». Même ton chez Jacques Marseille : «  les socialistes qui recrutent largement dans les professions protégées (celles auxquelles ils promettent pour faire bonne mesure l’abrogation de la loi Fillon, la retraite à 60 ans et la généralisation des 35 heures), n’ont pas encore compris, contrairement à tous les autres socialistes du monde, que c’est le travail des uns qui crée le travail des autres et que travailler plus est aujourd’hui une nécessité économique.  »

Cette critique de la réduction du temps de travail est également partagée par les éditorialistes dans leur lecture du projet socialiste. Ainsi, Jacques Attali, dans L’Express du 15 juin, s’interroge : « Pourra-t-on travailler moins quand les autres travailleront plus et dépenser plus quand la dette explose ? » Dans le même sens, pour nos « opinion makers », il convient d’assouplir un peu plus encore le droit du travail, plus que ne le prévoient les propositions du PS en tous cas. Laurent Joffrin écrit, par exemple : « on dit s’inspirer des pays scandinaves dans la lutte contre le chômage. Pour augmenter les charges, oui. Pour assouplir un tant soit peu le Code du Travail énorme et trop touffu, en aucune manière. On préfère protéger ceux qui sont en place au détriment de ceux qui sont exclus. Vision dépassée qui nuira à l’emploi. »

Mêmes sentences et même outrance qui prête à sourire. Jacques Marseille estime ainsi que « les socialistes, après la défaite de Lionel Jospin en 2002, sont persuadés que pour gagner les élections il faut se « refaire une santé » à gauche. Une posture qu’incarne Laurent Fabius, le nouveau Grachus Babeuf.  » Eric Le Boucher, lui, lance sans ironie : « le PS nous replonge dans des manuels marxistes. »

Quoi que l’on pense du projet socialiste, comment comprendre ce quasi consensus éditorial ? Comme l’accord raisonné et raisonnable d’esprits éclairés qui s’inclinent devant la Vérité dont ils sont les servants ? C’est peu vraisemblable.... En tout cas, en saturant l’espace médiatique de leurs discours uniformes, nos « opinion makers » participent à une contraction du périmètre du débat politique légitime, comme ils le firent à l’occasion de la campagne référendaire de 2005. Hors de ce cercle, point de salut ... et pas d’électeurs ni de lecteurs ? Entre ce pluralisme rachitique et l’érosion des ventes de la presse écrite nationale, aucune corrélation ?

 
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Notes

[2Dans son éditorial du 8 juin, Le Monde s’est, dans un premier temps, singularisé en formulant une appréciation équilibrée : « Nul ne peut reprocher au PS d’avoir adopté un projet... socialiste.(...) Il ne réinvente pas le socialisme et ne déploie pas des trésors d’imagination, mais il a le mérite de proposer une alternative au libéralisme de la droite et de réhabiliter, dans un paysage politique où les repères sont de plus en plus brouillés, un vrai débat entre la gauche et la droite. »

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