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En bref

Malnutrition infantile en Inde et indigestion médiatique d’infos sur Valérie Trierweiler

par Blaise Magnin, Henri Maler,

Ainsi, Valérie Trierweiler avait prévu de longue date de se rendre à Bombay pour soutenir la Fight Hunger Foundation, fondation luttant contre la malnutrition aiguë en Inde aux côtés de l’association Action contre la faim – qui organisait le voyage. Il est des causes plus indignes que la lutte contre la malnutrition infantile, quels que soient les moyens employés.

Mais une meute de journalistes, dès l’arrivée de l’ex-compagne de François Hollande à Bombay le 27 janvier 2014, s’est précipitée sur l’événement : envoyés spéciaux, correspondants plus ou moins permanents, journalistes assis « bâtonnant » les dépêches de l’AFP depuis la France [1]. Parce que l’occasion était ainsi donnée de multiplier enquêtes et reportages sur le sort des enfants indiens ? Que nenni ! Nos preux médias avaient rendez-vous avec leur propre indécence.

Que pèsent, en effet, les ravages de la famine et de la malnutrition face à l’apparition d’une Valérie Trierweiler « émue et souriante lors de sa visite d’un hôpital à Bombay, bien qu’un peu fatiguée en raison du décalage horaire, avec des traits un peu tirés et une voix assez tremblante », comme l’écrit, au comble de l’émotion, l’envoyé spécial de RTL ?

Quel pourrait bien être l’intérêt de se pencher sur les causes de la malnutrition dans un pays par ailleurs si riche, voire sur ce pays tout court d’ailleurs, quand on peut délivrer des informations aussi décisives que celles que l’on pouvait trouver sur le site du Nouvel Observateur : « Le vol Air France 218 à bord duquel elle avait pris place a atterri peu avant minuit (19h30, heure de Paris) et l’ex-compagne de François Hollande est apparue à la sortie de l’aérogare quelques minutes plus tard, vêtue d’une veste sombre, accompagnée de Patrice Biancone, son chef de cabinet, ainsi que de l’actrice Charlotte Valandrey et d’un garde du corps » ?

Comment ne pas être frappé par le brio dont ont su faire preuve des titres « de référence » comme Le Monde ou Le Figaro, pour sacrifier des informations accessoires au profit de l’essentiel , avec des articles intitulés « D’Inde, Valérie Trierweiler revient sur sa "rupture" avec François Hollande » et « Valérie Trierweiler suggère que le pouvoir a peut-être brisé son couple » ?

La minutie scrupuleuse avec laquelle les Albert Londres du journalisme d’enquête ont su glaner les propos de Valérie Trierweiler, en les illustrant – notamment sur les chaînes d’infos en continu – par des images d’enfants faméliques, force le respect ! Ou le dégoût.

Selon certaines sources, dont Le Monde, plusieurs dizaines de journalistes auraient fait le déplacement dans le sillage de la désormais ex-première dame ; pour Le Point il s’agirait plutôt de quelques uns d’entre eux « dont Dominique Tenza de RTL ou encore Julien Arnaud d’I>Télé », auxquels il faudrait au moins ajouter les correspondants de BFM-TV, Ani Basar, et du Nouvel Observateur, Philippe Guérard.

Et certains de ces journalistes, toute honte bue, de décrire voire de se féliciter de leur propre rôle, comme Dominique Tenza de RTL qui – cynisme ou inconscience ? – ose écrire : « L’ex-première aura permis, un peu malgré elle, de médiatiser le fléau de la malnutrition ». Où donc a-t-on vu ou lu, au lieu de quelques informations éparses, une « médiatisation » effective, quand la plupart des médias se sont braqués sur les états d’âme – au demeurant respectables – de Valérie Trierweiler ? De quel aveuglement faut-il souffrir pour oser décrire le cirque médiatique accompagnant ce voyage, comme le fait Philippe Guérard du Nouvel Observateur dans un article intitulé « Valérie Trierweiler joue à cache-cache à Bombay », au moment où lui-même y participe ?

En combinant dans une même séquence l’acharnement grotesque et futile sur le destin personnel de Valérie Trierweiler et la quasi-indifférence aux situations dramatiques que connaît un pays qui représente un sixième de l’humanité, la désinvolture médiatique a dépassé, une fois encore, toutes les bornes de la décence.

 
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Notes

[1Dans la langue « professionnelle » du journalisme, « bâtonner » une dépêche consiste à modifier quelque peu sa rédaction, parfois même en l’attribuant à son copiste.

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