Jean-Pierre Elkabbach enquête sur la bêtise
- qui, évidemment, n’est pas la sienne.
Lors d’une interview de Jean-Luc Mélenchon, le 19 mai, sur l’antenne d’Europe 1, Jean-Pierre Elkabbach a démontré qu’il n’est pas vraiment menacé par la concurrence de Nicolas Demorand pour le prix de l’arrogance journalistique.
- Jean-Pierre Elkabbach : « Finalement, Nicolas Sarkozy peut compter sur vous, vous êtes un de ses meilleurs soutiens. »
- Jean-Luc Mélenchon : « Pourquoi vous me dites ça ? Comme c’est insultant... Parce que je défends mes idées ? Il n’a pas besoin de moi pour défendre ses idées, vous êtes là ! Vous êtes là, M. Elkabbach ! »
- Jean-Pierre Elkabbach : « Arrêtez de dire des bêtises ! »
- Jean-Luc Mélenchon : « Si l’élection présidentielle doit se résumer au spectacle que nous voyons plus à vos injures, on ne va pas aller bien loin. »
- Jean-Pierre Elkabbach :« Bonne journée. Vous êtes fidèle à vous-même ! »
… Tandis que Jean-Pierre Elkabbach se renouvelle sans cesse. La pensée politique n’a aucun secret pour lui. Pertinent et nuancé, il n’a de cesse d’éclairer ses auditeurs grâce à ses longues enquêtes sur les idées et le programme de ses « invités ».
Jean-Michel Aphatie enquête sur les sondages
- qui ont raison de se tromper.
Le 24 mai, dans un billet publié sur son blog, le fin limier Jean-Michel Aphatie traque la vérité : « On aurait pu parier que l’affaire DSK affaiblirait le PS, regonflerait Nicolas Sarkozy, ferait décoller Marine Le Pen. Et rien de tout cela ne se produit, ce qui prouve que la divination n’est pas une science exacte ». Où l’on apprend qu’il n’est pas exclu que la divination puisse être une science, fut-elle inexacte. Elisabeth Teissier peut être (à demi) satisfaite. Et Jean-Michel Aphatie de poursuivre par ce correctif : « Certes, les sondages se trompent tout le temps ». Il se trompent… si on leur accorde une portée prédictive. Et ils trompent si on accorde un sens à des intentions de vote avant que l’on connaisse les candidats et que la campagne ait commencé. Mais la demi-lucidité d’Aphatie ne dure que le temps d’un « certes » : « Certes, les sondages se trompent tout le temps. Est-ce une raison pour ne pas en tenir compte ? Non, bien sûr ». Et de disserter ensuite sur les résultats d’une enquête BVA (commandée par RTL...), comme si de rien n’était. Le titre du billet (« Ce n’est qu’un sondage, mais quand même... ») aurait dû nous mettre la puce à l’oreille : le détective Aphatie, après avoir reconnu qu’il existait des preuves gênantes, a préféré s’en débarrasser...
Thomas Legrand enquête sur la révolution
- qui n’aura lieu que lorsque tout ira relativement bien.
Le 26 mai, dans son éditorial politique sur France Inter, Thomas Legrand s’attaque non pas à un, mais à quatre sondages. Et il constate : « La gauche de la gauche n’est pas en forme. Les deux partis trotskistes (LO et le NPA) sont au plus bas, et Jean-Luc Mélenchon peine à grignoter des points […] ». A l’image de ses confrères Aphatie et Elkabbach, Thomas Legrand a mené l’enquête, et nous propose donc un éclairage… très personnel : « On ne peut, finalement et paradoxalement, envisager la révolution que quand on est relativement bien installé dans sa position, modeste certes, mais sûre. Aujourd’hui, la fragilité sociale et la crainte du lendemain ne favorisent pas la surenchère à gauche. Pour être utopique, il faut être sûr de son avenir ». De toute évidence, les investigations de Thomas Legrand ne l’ont pas conduit à traverser la Méditerranée…
Le Figaro enquête sur les 10 000 morts en Libye
- que « La France » a annoncés sans les annoncer.
Le mardi 1er juin, Le Figaro nous proposait cette « une » :
L’article, en pages intérieures, affirme : « Selon un diplomate proche du dossier, le bilan [des exactions commises par Kadhafi] s’élève à “plusieurs milliers de morts, peut-être plus de 10 000”, en trois mois à Tripoli ». Pas de doute, « la France » accuse Kadhafi.
Interviewé sur France Culture le même jour, Alain Juppé, voix de « la France », au sujet de la politique étrangère, dément qu’un tel chiffre existe officiellement :
- Question : « Concernant la Libye, M. le ministre des Affaires étrangères, on voit aujourd’hui en “une” du Figaro : “la France accuse Kadhafi d’avoir tué 10 000 Libyens”… »
- Alain Juppé : « Je ne sais pas d’où vient ce chiffre. »
- Question : « Je voulais vous poser la question. Est-ce que c’est un effet de communication du Quai d’Orsay pour, peut-être, montrer qu’il va y avoir une nouvelle phase des opérations en Libye ? »
- Alain Juppé : « Non, je ne valide pas ce chiffre. Il n’a été calculé par personne ».
Le chiffre de 10 000 morts est-il exact ? Nul ne le sait. Un diplomate français a-t-il communiqué cette estimation au Figaro ? Peut-être. Le Figaro a-t-il réagi aux propos d’Alain Juppé qui démentait, de fait, les révélations du quotidien de Serge Dassault ? Non. Difficile d’être un bon enquêteur quand un témoin, sinon digne de foi du moins bien placé, se rétracte ou… quand il n’a jamais témoigné.
Alain Duhamel enquête sur la pédophilie
- qu’il confond avec l’homosexualité.
Le lundi 30 mai, Jean-Michel Aphatie, absent du plateau du « Grand journal » de Canal +, a été remplacé au pied levé par Alain Duhamel. A-t-on gagné au change ?
Alors que la discussion tourne, inévitablement, autour de « l’affaire DSK » et de la « libération de la parole » sur le sexisme dans le monde politique, Alain Duhamel analyse :
- Alain Duhamel : « Il se passe, avec le personnel politique, disons, français, maintenant, ce qui s’est passé il y a quelques mois, avec l’Eglise catholique et l’homosexualité. C’est-à-dire qu’il y a un moment où, brusquement, on savait qu’il y avait des choses… »
- Ali Baddou l’interrompt : « Enfin, la pédophilie. La pédophilie ! »
- Mais Duhamel poursuit : « Et puis, brusquement, c’est devenu une avalanche… »
- Nouvelle tentative d’Ali Baddou : « Ça n’a rien à voir… »
Confondre homosexualité et pédophilie, c’est pour le moins fâcheux. Lapsus ? Peut-être. Mais Alain Duhamel ne le reconnaîtra pas : il n’a pas fini son enquête…
20 minutes enquête sur une équation
- « Sarkozy = sécurité ».
Le 28 avril dernier, les heureux lecteurs de 20 minutes ont pu découvrir cette « une », qui servira peut-être de modèle aux futures affiches de Nicolas Sarkozy pour l’élection présidentielle de 2012 :
Cette « une » qui se présente comme un slogan est, en vérité, le résultat d’une longue investigation journalistique puisqu’elle prétend résumer un sondage sur la crédibilité de Nicolas Sarkozy, comparée à celle du Parti socialiste. Or, de tous les domaines « prospectés », il n’en est qu’un où le président de la République devance ses adversaires potentiels : la sécurité. D’un sondage qui, comme tous les sondages, est fortement sujet à caution, la rédaction de 20 minutes n’a conservé qu’un chiffre, dont elle a déduit que pour les sondés, Nicolas Sarkozy incarne la sécurité. De leur « enquête », les détectives de 20 minutes n’ont retenu que le résultat à décharge. Propagande ?
Le Monde magazine enquête sur Michel Denisot
- … son ascèse et ses tartines.
Dans son édition datée du 28 mai, Le Monde magazine consacre un long reportage à l’émission vedette de Canal +, le « Grand journal » [1]. Une enquête grâce à laquelle, comme son titre l’indique, on saura tout sur « les petits secrets du Grand journal ».
L’article est des plus dithyrambiques : « Au départ, il y a un agacement de journaliste. Celui de constater, jour après jour, que la personnalité à interviewer, pile au centre de l’actualité, trône systématiquement le soir au “Grand Journal” de Canal +. Comment diable font-ils ? » ; « Nous avons tenté de comprendre les rouages de cette mécanique de précision, alors même que, cela tombe bien, l’émission battait son record historique [d’audience] »…
Une large part du papier est consacrée à Michel Denisot, le maître de cérémonie. La dithyrambe laisse place à l’apologie : « A le côtoyer, on perçoit tout autant l’ascèse (silhouette filiforme, rigueur extrême d’organisation) que le plaisir, même après plus de quatre décennies de carrière » ; « Il a trois coanimateurs à sa droite, trois ou quatre invités, et tous doivent exister à l’antenne. Un exercice de haute voltige télévisuelle ». L’admiration sans borne de l’auteure de l’article la conduit à nous révéler des scoops… stupéfiants ! « Même pendant le direct, Michel Denisot dispose, en plus de l’oreillette qui le relie à la régie, d’un iPad, posé sur le bureau, pour surveiller les dépêches d’agence ». Les pouvoirs de Michel Denisot sont-ils sans limite ? Il faut dire qu’il a un secret : « Michel Denisot est là depuis 17 h 30. Homme de rituels, il a comme chaque jour pris ses deux tartines de miel et une pomme dans sa loge, tout en se faisant maquiller [et] coiffer […] ». La sagacité des enquêteurs du Monde magazine laisse pantois…
Lenouvelobs.com enquête sur le Pérou
- grâce aux contacts (fiables) d’un blogueur.
Nous l’avons déjà signalé : l’élection présidentielle au Pérou, dont le second tour s’est déroulé le 5 juin dernier, a donné lieu à de grands moments de malinformation, pour ne pas dire de désinformation, dans divers médias français. Lenouvelobs.com s’est signalé en recommandant (et donc en cautionnant) l’article d’« un internaute » censé éclairer les enjeux de l’élection péruvienne. Le titre et le chapeau en disent long :
L’internaute, il faut l’avouer, s’est livré à un enquête de terrain particulièrement intense et étendue, comme en témoigne cet extrait de son billet : « Même si aujourd’hui [Ollanta Humala] affirme avoir pris ses distances avec le président vénézuélien et demande qu’on arrête des les comparer, mes contacts sur place en ont très peur. S’il est élu, une amie journaliste pense quitter le pays, comme beaucoup de ses collègues, car elle a peur des pressions qui s’exerceront sur les médias (à l’image de ce qu’il se passe au Venezuela) ». Quelques « contacts » et une « amie » : ce rigoureux travail d’investigation méritait bien, chacun en conviendra, d’être « sélectionné par Le Nouvel Obs ».
Libération enquête sur le G8
- et sur le ventre de Carla Bruni.
Fin mai, le G8 se réunissait à Deauville. La rencontre des chefs d’Etat des pays les plus puissants du monde a inspiré Nicolas Demorand, qui a dénoncé, le 26 mai dans un éditorial intitulé « Barnum », l’instrumentalisation qui en a été faite par Nicolas Sarkozy : « Au sommet de l’Etat, le G8 était attendu avec impatience. La rencontre des pays les plus riches de la planète devait être une étape majeure de la fameuse “représidentialisation” du Président. Les communicants voyaient déjà la photo : Nicolas Sarkozy parmi les siens, Barack Obama, Angela Merkel, David Cameron et les autres grands de ce monde. » C’est sans doute pour cela que Libération, a contre-courant de la communication présidentielle, a choisi de publier, le lendemain, une autre photo (que nous avons la décence de ne pas reproduire [2]) et de dévoiler, par la même occasion, un scoop (qui n’en était déjà plus un) :
De quoi opposer un démenti cinglant à tous ceux qui croyaient que la « peopolisation » de Libération ne concernait que son traitement de « l’affaire DSK ».
Alexandre Adler enquête sur ses mensonges
- Erratum : Alexandre Adler n’enquête pas sur lui-même !
Le 27 mai, Pascal Boniface était l’invité de l’émission « En toute franchise » sur France Culture. Il y a été interviewé au sujet de son dernier ouvrage, Les intellectuels faussaires, dans lequel il épingle plusieurs « intellectuels médiatiques », les accusant d’être des « experts en mensonge ». Parmi eux, BHL, Philippe Val, Caroline Fourest et… Alexandre Adler, dont nous avons déjà largement établi les errements dans notre rubrique « les facéties d’Alexandre Adler », à laquelle Pascal Boniface fait – discrètement – référence dans son livre. Immédiatement après l’interview de Pascal Boniface, c’est l’heure de… la chronique d’Alexandre Adler. Qu’il ouvre par ces mots :
« Eh bien nos auditeurs ont pu entendre, ils savent maintenant ce qu’il faut faire, il faudrait peut-être un petit peu me chasser assez rapidement pour que les mensonges s’arrêtent, mais je vais quand même continuer dans la série des mensonges, je vais continuer, et je vais vous parler de la visite de Barack Obama ».
Chasser le Grand Alexandre ? Ce serait nous priver du bonheur de contester ses erreurs et ses approximations. A l’heure où nous écrivons, il sévit toujours, entre autres, sur l’antenne de France Culture qui n’a, manifestement, guère enquêté sur les fulgurantes divinations de son très hypothétique martyr…
Julien Salingue (Avec Henri Maler)