I. Gloire aux commentateurs sportifs !
Nous aurions tant aimé saluer leurs performances de l’été. Faute de mieux…
1. Tout à fait sexiste, Thierry ! (extrait de Médiacritique(s) n°4)
Les morts sont tous des braves types. Mais…
Thierry Roland, mort le 16 juin dernier, quelques heures après la victoire de l’équipe de France de football sur l’Ukraine (2-0), n’était pas seulement très populaire ? Connu également pour des propos aux connotations clairement xénophobes, l’ex-commentateur vedette de TF1 était aussi un misogyne assumé. En 1995, le compère de Jean-Michel Larqué publie un livre d’entretiens dans lequel il expose tout le bien qu’il pense de ses consœurs. Des journalistes femmes dans le foot ? « C’est franc et net : non ! [...] Une fille dans le foot, non merci ! », s’écrie-t-il avec une touchante sincérité [1]. Première femme à intégrer la rubrique foot du quotidien L’Équipe, Frédérique Galametz a droit à une spéciale dédicace...
Le machisme ordinaire, Frédérique Galametz l’avait déjà subi lorsqu’elle travaillait pour Sud-Ouest. « Ce journal n’est pas sérieux. La preuve : il confie les compte-rendus des Girondins de Bordeaux à une femme ! », avait alors persiflé à son attention Claude Bez, président du club de football bordelais. L’ennemi numéro un de Bernard Tapie sera condamné en mars 1991 pour discrimination sexiste. Quatre ans plus tard, Thierry Roland prendra courageusement la défense de Claude Bez : « Ce n’était pas gentil pour elle, mais je comprends parfaitement le reproche de Claude Bez. Il me paraît anormal que Sud-Ouest, journal phare d’une région, ne confie pas les destinées des Girondins de Bordeaux, club vedette de cette même région, à un garçon. [...] Je ne sais pas si Frédérique Galametz est une bonne ou mauvaise journaliste [2]. »
Équanime, Roland n’oubliait pas ses proches collègues féminines. En particulier Marianne Mako, journaliste qui collabora à « Télé foot », sur TF1, aux côtés de Thierry Roland, dans les années 80 et 90. Et que ce dernier a contribué à faire licencier. Dans son livre précité, Roland écrivait avoir entendu beaucoup de « catastrophes sortir de sa bouche », et estimait que « le football n’avait pas vraiment été prévu pour les femmes journalistes ». Marianne Mako sera virée comme une malpropre deux ans plus tard. Et laissera le champ libre à Sophie Thalmann, ex Miss France embauchée avec l’assentiment de Thierry Roland pour faire la potiche dans l’émission « Télé foot ».
2. Tout en finesse
Vincent Moscato, sur RMC, le 3 octobre 2011, banalise le harcèlement sexuel. Pour mémoire : « La vie de groupe c’est d’aller sortir le chichi à la femme de ménage. On est trois, on rigole ». Pour les détails, lire ici même « Apologie du harcèlement sexuel sur RMC ? »
Si Vincent Moscato s’amuse toujours sur RMC, Salviac a été viré de RTL pour ce tweet d’une rare élégance :
Viré ? Acrimed n’y est pour rien. C’est pourquoi nous publions cette demande d’emploi
« Dérangeant » seulement ?
3. Aphatie se mêle de sport
Chaque fois qu’Aphatie l’ouvre, c’est un vrai bonheur d’humour ensoleillé…
II. Salauds de pauvres ?
La critique de la richesse indécente ? Un effet de la jalousie ou de la haine. Un journaliste du Monde (Arnaud Leparmentier) approuvé par un journaliste de RTL (Jean-Michel Aphatie) et un titre du Point, dirigé par Franz-Olivier Giesbert, l’affirment. L’Express (Christophe Barbier) pense sans doute de même. Le Nouvel Observateur (Laurent Joffrin) hésite peut-être encore…
1. Arnaud Leparmentier, moraliste mondain
Aphatie tweete… et retweete, sans doute réjoui par cette maxime du journaliste du Monde :
2 . Le Point fait le point
3. Alain Finkielkraut trouve ça « très intéressant »
Alain Finkielkraut (émission « Morale et Littérature », Répliques, France Culture, samedi 28 avril 2012) a tout compris :
« Non mais je trouve en plus que ce que vous avez dit sur les (le ?) SDF est très intéressant, Frédérique Leichter : "le plus célèbre sans domicile fixe de la littérature mondiale" [à propos du personnage Bartleby dans une nouvelle d’Herman Melville datant de 1853]. C’est merveilleux ! Parce que la société se heurte, en dépit de tous les moyens qu’elle déploie, face à certains SDF, à un problème insoluble. On leur offre – c’est très intéressant ! – on leur offre des logements. Alors... Et certains d’entre eux disent "Je préférerais ne pas..." [phrase prononcée par Bartleby] ! Et il leur arrive de mourir de froid. Et certains... Et on entend des gens qui se révoltent, qui disent "Mais s’ils meurent de froid, c’est la faute de l’État, c’est la faute de la société." Mais une société qui précisément se trouve dans un problème lui-même insoluble de gens qui ont décidé de vivre autrement, de vivre dans la rue et qui ne se laissent pas faire, chez qui il y a quelque chose, encore une fois, d’inflexible et d’inexorable. Donc le pouvoir de la politique lui aussi rencontre ses limites devant certains Bartleby. »
Il manque à la lucidité littéraire d’Alain Finkielkraut – et cela aussi « c’est très intéressant » - de constater que la plupart des SDF qui refusent les hébergements qu’on leur « offre » ne le font pas parce qu’ils aiment la rue, mais parce que ces hébergements sont indécents…
III. Agressions sexuelles ? Non ! « Touche-pipi »...
... décrète Delfeil de Ton [par Nicolas Galy et Fiona Ottaviani]
Dans Le Nouvel Observateur du 26 juillet 2012, dans la rubrique « Les lundis de Delfeil de Ton », le susdit prend prétexte d’un témoignage contre Georges Zimmerman, ce vigile autodésigné qui, en février 2012 a tué par balle un lycéen de dix-sept ans à Sanford, en Floride lors d’une patrouille qu’il assurait dans son quartier [3] pour, dit-il « « ne [...] pas abandonner le lecteur sur la plage sans une réflexion qui nourrisse son intellect ensoleillé » Titre de l’article ? « Touche-pipi – Où l’on voit que d’abord c’est sale ». Quelle réflexion ?
L’article commence par un rappel, rédigé sur un ton descriptif non dépourvu d’une certaine ironie : Georges Zimmerman, qui a tué Trayvon Martin alors qu’il était désarmé, plaide la légitime défense. Puis Delfeil de Ton poursuit en livrant l’information qui a inspiré sa chronique : selon le témoignage de la cousine de Zimmerman (le témoin numéro 9), ce dernier se serait livré sur elle à des attouchements sexuels répétés lors de visites familiales, de ses six à ses seize ans. Précision : Zimmerman est plus âgé que sa cousine d’un an et demi.
Vient alors le moment de la « réflexion : « Eh bien, voici : c’est un peu triste de penser que le péché de Zimmerman qu’on risque de lui pardonner le moins en nos jours d’aujourd’hui, plutôt que d’avoir tué Trayvon Martin, sera peut-être, ne roulez pas jeunesse , d’avoir joué enfant à touche-pipi » (C’est nous qui soulignons). Ainsi « on » - l’Amérique sécuritaire et pudibonde ? – s’apprêterait à considérer le meurtre d’un homme comme moins grave que des attouchements sexuels. Mais c’est pour banaliser ces derniers que Delfeil de Ton se livre à une mise en parallèle – qui relève de simples supputations – de faits incommensurables.
Bien que nous ne sachions rien sur les faits allégués par la cousine de Zimmermann (mais pourquoi les disqualifier d’emblée ?) et leurs circonstances, force est de constater que les attouchements que son témoignage invoque relèveraient non de jeux infantiles, mais d’agressions répétées jusqu’à un âge où Zimmerman n’était plus ni un enfant ni un adolescent pré-pubère. « Ne roulez pas jeunesse » ? Faut-il comprendre que Delfeil de Ton considère qu’il ne s’agirait-là que de jeux anodins, indispensables au développement habituel d’un jeune garçon jusqu’à l’âge adulte ? Qu’importe à notre chroniqueur de savoir si la jeune fille était consentante (et de quel consentement il s’agirait) ou pas. Au vocabulaire de la sanction pénale, il préfère l’usage ironique de la religion : un « péché ». Un péché mignon ? Et sans rien savoir – pas plus que nous –, il décrète que le témoignage de la cousine de Zimmermann invite d’abord à se défendre des réactions puritaines que le sous-titre tourne en dérision : « Où l’on voit que d’abord c’est sale ».
Que retenir de cette chronique du strict point de vue de la critique des médias ? Tout d’abord, qu’il serait légitime de gloser sans savoir, et qu’il serait d’autant plus légitime de le faire que l’on peut disqualifier d’emblée un témoignage en assimilant à un simple libertinage d’enfants ce qui peut, si les faits sont avérés, être considéré comme des agressions sexuelles. Ensuite, que le principe de précaution consistant à suspendre son jugement et, en l’attente de vérifications, à accorder d’abord du crédit à la parole d’une femme qui se déclare victime ne semble pas s’imposer à Delfeil de Ton qui nous offre une variété estivale, somme toute, de disqualification a priori de la parole des femmes et de minoration des délits sexuels, fort répandues parmi les journalistes-commentateurs. [4]