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Lire : TV lobotomie - La vérité scientifique sur les effets de la télévision, de Michel Desmurget

par Henri Maler,

Les médias ne sont pas tout-puissants. Leurs effets et, en particulier, les usages de l’information sont socialement différenciés. Les publics ne forment pas une masse indistincte et passive. Mais tous les supports ne sont pas équivalents. Comment nier que l’exposition à la télévision et à ses programmes puisse avoir des conséquences très nocives, notamment auprès des enfants et des adolescents ? Ce sont ces conséquences que, non sans virulence polémique, mais sur la base d’une très abondante documentation scientifique, Michel Desmurget, docteur en neurosciences, passe en revue, dans une ouvrage paru en février 2011 : TV lobotomie - La vérité scientifique sur les effets de la télévision [1].

Un bref aperçu de la table des matières dit assez ce que soutient l’auteur. « Maîtresse du temps et de l’espace », la télévision, tendanciellement « a colonisé notre espace domestique et pris possession de nos plannings » (Chapitre I : « La télé en tous lieux et à toute heure »). Son usage intensif est « une entrave majeure à la réussite scolaire » et atteint l’acquisition de la lecture et du langage ainsi que les capacités d’attention (Chapitre II : « La télé menace l’intelligence »). Elle contribue à l’obésité, à la tabagie, à l’abus d’alcool, à la dégradation de la sexualité (Chapitre III : « La télé menace la santé »). Elle stimule l’agressivité et la désensibilisation face à la violence et, en même temps, elle nourrit la peur (« Chapitre IV : La télé cultive la peur et la violence »). Toutes ces affirmations sont-elles excessives et mal fondées ? Avant de tenter de répondre, mieux vaut lire ce livre. Pour contribuer à cette lecture, voici un résumé moins succinct que celui que l’on vient de lire.

* * *

Dès l’introduction du livre, Michel Desmurget prend vigoureusement à partie les arguments (et les auteurs) qui nient, peu ou prou, les effets néfastes de la télévision. À cette fin, il récapitule les banalités usuelles - « Petit précis de balivernes ordinaires » - puis résume, parmi ces effets néfastes, les plus visibles - « Il n’est pire aveugle que celui qui ne veut pas voir » - avant de souligner ceux qui le sont moins - « La face cachée de l’iceberg » - et de pourfendre ceux qui - « Pas vu, pas pris » - préfèrent ne pas savoir.

Chapitre I : La télé en tous lieux et à toute heure

« La télé, maîtresse du temps et de l’espace » - Sous ce sous-titre, l’auteur analyse la position centrale occupée par la télévision dans l’espace domestique et dans l’emploi du temps, en soulignant notamment que le temps passé par les enfants et les adolescents devant la télévision est accru par le temps passé devant tous les écrans.

« Des émissions enfantines aux programmes tous publics » - Or, le temps passé devant la télévision par les enfants dépend des « stratégies incitatives » exercées par les parents « plus sensibles au problème des contenus qu’à la question des durées » : une sensibilité qui doit être relativisée, notamment en raison de l’écoute conjointe de programmes tous publics.

« Réécrire le réel » - Des mécanismes défensifs permettent de minimiser l’exposition des enfants à la télévision : la rationalisation qui lui prête un rôle d’éducation et une fonction de socialisation et le déni de la durée de cette exposition.

« L’inaccessible mythe de la qualité » - Un mythe, en raison des « contraintes structurelles qui asservissent la production audiovisuelle ». Et l’auteur de mentionner « l’incroyable densité de son réseau d’émission » (qui noie la qualité dans un « océan d’inanité »), « la nature plurielle de son auditoire » (qui incite à produire des émissions « à la fois consensuelles et aisément accessibles »), « la nature forcément dynamique de l’image » (« tout ce qui est lent et compliqué n’a pas sa place sur le petit écran »).

Les trois chapitres suivants sont consacrés aux méfaits de la télévision, surtout sur les publics d’enfants et d’adolescents.

Chapitre II : la télé étouffe l’intelligence

« Au sens étymologique, nombre de nos enfants sont devenus, proclame l’auteur, des barbares » : ils ne parlent pas notre langue ; ils ne la maîtrisent pas.

« Cette fois, c’est sûr, le niveau baisse » (des compétences académiques alarmantes) - L’auteur mobilise les observations et les recherches controversées qui, selon lui, fondent ce diagnostic. Considérant comme justifiée la mise en cause des « dérèglements d’un système scolaire éreinté de dérives pédagogistes et politiques », l’auteur entend mettre en évidence « l’implication d’un second agent d’influence : la télévision ». Il examine son rôle en trois temps : d’abord en revenant sur « les compétences académiques alarmantes de nos enfants et adolescents »  ; ensuite, en montrant l’action négative qu’exerce la télévision sur ces compétences ; enfin, en s’efforçant d’établir « le substrat fonctionnel de cette action ».

« Une entrave majeure à la réussite scolaire » (le lien causal entre exposition télévisuelle et performances scolaires) – L’auteur mentionne plusieurs études qui mettent en évidence non seulement la concomitance, mais surtout le lien causal entre l’ampleur de l’exposition télévisuelle et l’affaiblissement des performances langagières et, plus généralement, scolaires. Puis il entreprend de répondre à plusieurs objections : sur les effets positifs du contenu éducatif, sur l’existence d’un lien causal qui attribue la surconsommation télévisuelle à la faiblesse des résultats scolaires et sur l’importance réputée faible des effets nocifs de la télévision.

« Effort, intelligence, lecture, langage, attention, imagination. Tous étaient frappés » - Et sont examinées successivement les actions délétères de la télévision sur les devoirs, sur la lecture, sur l’apparition de troubles de l’attention, sur les activités spontanées du jeune enfant (et sur les développements des aptitudes langagières et intellectuelles qui en découlent). Parvenu à ce point, l’auteur met en cause les illusions qui attribuent à la télévision un rôle qui dépendrait essentiellement du contenu des programmes et s’efforce d’établir « l’inévitable vacuité éducative de la télévision ». Après avoir mentionné les études qui mettent en évidence « le rôle fondateur joué par l’environnement précoce sur la construction des compétences affectives, sociales et cognitives de l’individu », l’auteur souligne que, privé d’activité et d’interactivité l’enfant exposé à la télévision n’apprend rien ou fort peu. C’est ce que montre ce que les chercheurs nomment le « déficit vidéo » : l’infériorité de tout apprentissage par la télé comparé à l’apprentissage par interaction active avec l’environnement, particulièrement chez l’enfant en bas âge, contrairement à ce qu’affirment les zélateurs de la télévision pour bébés.

Chapitre III : la télé menace la santé

Le chapitre est divisé en cinq parties qui traitent successivement de l’obésité, du tabagisme, de l’alcoolisme, de la sexualité et du sommeil.

« Manger plus, bouger moins » (sur l’obésité) - Une fois mentionnés les travaux consacrés, en général, aux « effets de la consommation audiovisuelle sur l’obésité », l’auteur passe en revue (études à l’appui), les effets de la télévision sur « l’émergence précoce d’habitudes de vie sédentaires et préférences alimentaires inadaptées » ; sur le bilan des dépenses énergétiques et sur l’ampleur et la fréquence des prises alimentaires. Il attache une importance particulière au rôle de la publicité pour les produits alimentaires, notamment auprès des enfants, ainsi qu’à celui des placements de produits alimentaires dans les films ou les séries audiovisuelles. Et Michel Desmurget de prendre vigoureusement à partie le refus des politiques (et du CSA, notamment), en raison de leur soumission aux lobbies agroalimentaires et publicitaires, de prendre des mesures d’interdiction.

« Faire de l’enfant un fumeur… ou fermer boutique » (sur le tabagisme) - Le tabagisme se forge très tôt. L’auteur met en évidence (rapport de l’OMS à l’appui) que les pratiques des industriels du tabac contredisent leurs déclarations sur le renoncement à cibler les jeunes et confirment leurs entreprises de contournement des interdictions de la publicité, parce qu’ils n’ont pas le choix : « Ils sont condamnés, s’ils veulent survivre, à recruter en masse de jeunes fumeurs. » C’est pourquoi ils inondent les films de « scènes tabagiques », où figurent de préférence des « personnages "positifs" ». Or, selon l’auteur (qui la mentionne), « la littérature scientifique montre (…) que plus un adolescent voit d’acteurs fumer à l’écran, et plus il a de chance de devenir client stable de nos amis cigarettiers ». L’examen du « processus causal qui mène du film au tabagisme » et complété, mais plus brièvement, par celui rôle de la télévision proprement dite.

« Boire plus et plus tôt » (sur l’alcoolisme) - Après avoir expliqué en quoi « l’alcool est un véritable fléau économique et sanitaire », l’auteur s’attache à montrer dans quelle mesure la télévision incite à « boire précocement et en grande quantité ». Or si la publicité est prohibée, « l’alcool est omniprésent sur le petit écran à travers notamment les programmes de prime time, les clips musicaux et les productions cinématographiques ». Dès lors, si la télévision n’est pas la principale responsables de l’alcoolisme, elle « contribue substantiellement à l’initiation, au développement et au maintien des conduites alcooliques chez les spectateurs ».

« Du sexe, du sexe et encore du sexe » (sur la sexualité) – L’auteur n’entend pas « suggérer ici que la sexualité est une pathologie ». Ce serait, nous dit-il, « pure stupidité », avant de souligner que le sexe n’est pas « une pratique anodine en matière de santé ». Et de mentionner les maladies sexuellement transmissibles, les maternités et les avortements précoces. Or, insiste l’auteur, « le véritable déluge charnel qui frappe nos écrans est d’autant plus ennuyeux qu’il s’accompagne presque unanimement de représentations pour le moins irréalistes de la sexualité et autres rôle de genre ». Et de mentionner non seulement les risques sanitaires qu’entretiennent ces représentations, mais aussi les « détresses psychologiques » et les « pathologies alimentaires » dont sont responsables les stéréotypes véhiculés par la télévision.

« Entre Morphée et la Star-Ac, il faut choisir » (sur le sommeil) - La durée du sommeil est en diminution constante (de 90 à 120 minutes sur les 30 à 50 dernières années), avec les incidences sur la santé qui en découlent. La télévision n’est pas la seule responsable. Mais, qu’il s’agisse des enfants et des adolescents ou des adultes, que la télévision soit ou non présente dans les chambres, plus un individu regarde la télé moins il dort et plus son sommeil est altéré. Or, soutient l’auteur, ce ne sont pas les troubles du sommeil qui incitent à regarder la télévision, mais plutôt l’inverse. L’aspect quantitatif (la durée du sommeil) n’est pas le seul, comme le montrent les effets anxiogènes en court et à long terme de l’exposition des enfants à des programmes qui ne leur sont pas destinés ou même à des programmes apparemment anodins.

Chapitre IV : La télé cultive la peur et la violence

Après avoir passé en revue les principales conclusions des études scientifiques qui établissent que la télévision est un facteur de violence, l’auteur s’efforce de réfuter les arguments de ceux qui entendent relativiser son rôle : en refusant qu’elle soit traitée en bouc émissaire, en lieu et place de causes plus profondes, en invoquant de prétendues incertitudes scientifiques, en soutenant la thèse de prédispositions pathologiques. À tous ceux-là, l’auteur répond notamment que « la télévision représente un facteur de violence significatif » et qu’ « il serait dommage de ne pas agir sur ce levier causal relativement accessible en comparaison d’autres déterminants sociaux plus profonds ». En effet, dit-il, « (…) une influence localement minime peut avoir des conséquences majeures si elle s’applique à une large population et/ou de manière récurrente ». Quelle est, de ce point de vue, l’action de la télévision ? « Cette action prend trois formes principales : la stimulation des comportements violents et agressifs ; l’abaissement du seuil de tolérance à la violence, c.à.d. désensibilisation ; exacerbation du sentiment d’insécurité. » Mais avant d’examiner successivement ces trois formes, Michel Desmurget met en cause l’omniprésence de la violence à la télévision et ses motifs.

« La violence, c’est bon pour les affaires » - Après avoir rappelé, chiffres à l’appui, l’ampleur de l’exposition à la violence, l’auteur souligne que des recherches récentes ont montré que « les contenus agressifs et brutaux étaient, à travers le stress qu’ils imposent au cerveau, une véritable bénédiction pour les annonceurs ». La raison en est simple : « Un individu soumis à des tensions émotionnelles enregistre mieux les messages qui lui sont imposés et est plus conditionnable. »

« La violence appelle la violence » (la stimulation des comportements violents et agressifs) – L’auteur commence par souligner que les neurosciences ont montré que nos conduites sont constamment modulées par des facteurs environnementaux, en particulier en matière d’agressivité. Or de multiples études (mentionnées par l’auteur) montrent que les images violentes stimulent l’agressivité, notamment des enfants et des adolescents. Ce que vérifient les effets de l’exposition à violence télévisée, à court terme, mais aussi à long terme, sur la fréquence des comportements agressifs.

« La violence repousse les frontières de l’inacceptable » (l’abaissement du seuil de tolérance à la violence, désensibilisation) – La « progressive désensibilisation à la violence des individus téléphages » - autrement dit le « processus d’habituation aux images violentes » – est confirmée, selon l’auteur, par plusieurs études. L’une d’entre elles met en évidence que des sujets ayant été exposés à des films d’horreur comportant des violences sadiques dirigées contre des femmes ressentaient moins d’empathie quand ils étaient confrontés aux récits de femmes victimes d’agressions violentes réelles. Le processus d’habituation au niveau neuronal a été mis en évidence par quelques travaux.

« La violence nourrit la peur » (l’exacerbation du sentiment d’insécurité) – Après avoir mentionné, à propos de la violence, quelques exemples d’acculturation et, en l’occurrence, de déréalisation par la télévision à l’origine du « syndrome du grand méchant monde », l’auteur évoque des études qui ont montré « que les journaux télévisées, les émissions consacrées aux forces de l’ordre et les séries criminelles étaient favorables au développement d’un sentiment d’insécurité ». Et de mentionner notamment les études consacrées à « la grande peur de 1994  » aux USA : date d’une « cassure statistique » qui enregistre une flambée du sentiment d’insécurité alors que celle-ci ne progresse pas, mais que son exposition médiatique se développe. Ces études sont relayées par des recherches qui « se sont penchées sur la capacité des images violentes à produire chez le spectateur des réactions de peur à court et long terme ».

Conclusion

« Un peu de télé en moins, c’est beaucoup de vie en plus »
- Les analyses qui précèdent conduisent l’auteur à proposer « cinq grandes recommandations » :
1. La meilleur solution, selon lui, « le zéro télé » ;
2. À défaut, pas de télé dans la chambre à coucher, surtout des enfants ou des adolescents ;
3. Aucune exposition à la télévision pendant les cinq ou six premières années de la vie ;
4. Pas plus de 3-4 heures par semaine pour les écoliers et adolescents ;
5. La prise en compte par les adultes (qui « font ce qu’ils veulent »), de tous les risques associés à l’exposition à la télévision, et en particulier celui de l‘isolement social.


* * *

Il n’est nul besoin d’avoir lu la totalité de l’ouvrage pour penser que ces recommandations, aussi justifiées qu’elles puissent être ou paraître, ne trouveront pas l’écho souhaité par l’auteur. Sans doute parce que la télévision elle-même ne suffit pas à expliquer l’emprise de la télévision. Peut-être parce que l’analyse proposée par Michel Desmurget des causes et des effets de cette emprise n’est pas totalement convaincante. Mais le dire, c’est déjà engager un débat qui ne peut se satisfaire d’un résumé qui mutile inévitablement l’ouvrage, en laissant de côté l’exposé des centaines de recherches (elles-mêmes résumées) sur lesquelles il s’appuie, au risque de ne retenir que sa version polémique, voire pamphlétaire. Mais, une fois n’est pas coutume, s’abstenir d’un examen critique approfondi est, dans ce cas, une façon d’inciter à prendre ce livre au sérieux.

Henri Maler

Edition de poche

 
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Notes

[1Max Milo Editions, 2011, 318 pages, 19,90 euros - J’ai Lu, octobre 2013, 7,90 euros

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