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Lexique pour temps de réforme des retraites (2023)

par Acrimed,

En 2003 naissait le tout premier lexique médiatique d’Acrimed pour temps de réforme des retraites, de grèves et de manifestations. Au fil des ans et des contre-réformes, la langue (de bois) du journalisme dominant s’est enrichie de nouveaux mots pour diffuser le même discours : discréditer les grévistes et épauler le gouvernement. Deux actualisations ont ainsi vu le jour en 2010 et 2020. La mobilisation sociale actuelle nécessite une quatrième version : la plupart des termes sont (hélas) toujours aussi pertinents, et certaines innovations méritent d’être épinglées.

Nota Bene : le lexique, condensé et maquetté dans un « 4 pages » (A3), est disponible en version pdf ici. Nous le distribuons lors des manifestations, n’hésitez pas à en faire de même !


Pédagogie de la réforme


Réforme

Quand une réforme proposée est imposée, cela s’appelle LA réforme. Et s’opposer à cette réforme devient : le « refus de la réforme ». Le terme désigne tout spécialement les attaques libérales successives du système par répartition.

- Élie Cohen, BFM-TV, 2/01 : La réforme est absolument indispensable.

- Hubert Coudurier, Le Télégramme, 12/01 : La réforme ou le déclassement.

- Emmanuelle Dancourt, RMC, 3/01 : Il faut que cette réforme se fasse.

- Le Parisien, 2/12/22  : Il faudra du courage pour mener à bien cette réforme rendue nécessaire.


Alternative

N’existe pas. Si elle est progressiste, une réforme alternative est hors sujet et/ou « irréaliste ».

- Sonia Mabrouk à Manuel Bompard, Europe 1, 11/01 : La réforme ou la faillite, vous nous promettez la faillite !

- Olivier Truchot à Antoine Léaument, BFM-TV, 3/01 : [La retraite à 60 ans], ça ne sera pas retenu hein, je vous le dis tout de suite ! Donc on peut en discuter mais bon, ce n’est pas le projet du gouvernement ! [...] On s’éloigne du sujet !

- Nathalie Saint-Cricq à Marine Tondelier, France Info, 8/01 : Est-ce que vous considérez qu’on ne touche à rien, ou est-ce que vous êtes comme certains au Parti socialiste ou à La France insoumise à considérer que non seulement on ne bouge pas, mais on revient à 60 ans [...] ?


Pédagogie

Devoir qui s’impose au gouvernement. Ainsi, le gouvernement fait preuve (ou doit faire preuve...) de « pédagogie ». Tant il est vrai qu’il s’adresse, comme nos grands éditorialistes, à un peuple d’enfants qu’il faut instruire patiemment.

- Alba Ventura, RTL, 2/01 : Déterminé, Emmanuel Macron l’est, il va falloir qu’il se montre pédagogue.

- Arlette Chabot, LCI, 10/01 : Le gouvernement n’a pas dit « voilà pourquoi nous sommes absolument obligés ». Faut faire une énoooorme pédagogie ! [...] Donc là, je pense qu’ils ont raté la première partie et maintenant, il faut vraiment parler aux Français.


Équilibrer

Obsession quant au « déficit » des budgets de la sécurité sociale – dit « exorbitant », même si ce n’est pas le cas. Sert à justifier une régression sociale. Comme toute proposition indexée sur l’idéologie néolibérale, c’est une « évidence ».

Le Figaro, 4/01  : Par quel mystère un impératif économique – équilibrer un système en déficit structurel – et une évidence démographique – de moins en moins d’actifs, de plus en plus de retraités – se présentent-ils chaque jour un peu plus comme une sorte d’Armageddon politique ?


Raison

Grand principe qui guide en tout l’action du gouvernement. Hors de portée des contestataires, qui sont, tels des enfants, le jouet de leurs émotions.

- Charlotte Euzen, France Info, 26/01 : On est exactement dans la bataille de l’émotion, avec un gouvernement qui [...] cherche à convaincre sur la raison, alors qu’on a, en face, des gens qui sont heurtés [...] par cette réforme et donc qui ne peuvent pas entendre les arguments du gouvernement.

- Alain Duhamel, BFM-TV, 2/01 : Tous les pays y sont passés. Il y a de moins en moins d’actifs et plus de retraités [...] donc il faut faire quelque chose. Ça, c’est le discours de la rationalité. Et puis il y a le discours de la sensibilité ou de la perception ou de la vie quotidienne des Français.


Ouverture

Se dit des opérations de communication du gouvernement. « L’ouverture » est saluée comme une volonté « d’apaisement », de « dialogue », de « compromis » ou de « souplesse », quand bien même aucun des quatre phénomènes ne se concrétise dans le monde réel.

Le Monde, 4/01  : Au lieu d’être droite dans ses bottes, Élisabeth Borne se montre souple comme le roseau. C’est, par les temps qui courent, la posture la plus sage.


Concertation

Se dit des réunions convoquées par un ministre pour exposer aux organisations syndicales ce qu’il va faire et pour écouter leurs doléances, de préférence sans en tenir aucun compte. Le gouvernement est toujours « ouvert » à la « concertation ». Il est de bon aloi d’enjoindre aux syndicalistes d’y prendre part.

Arlette Chabot, LCI, 10/01 : Est-ce que vous considérez que toute discussion, toute rencontre avec la Première ministre ou avec le ministre du Travail est désormais totalement inutile ? Et vous refusez toute concertation, c’est fini ?


Concession

Modifications à la marge du projet de réforme, parfois hypothétiques, mises en avant pour appâter le syndicaliste et le faire plier.

Amandine Bégot à Laurent Berger, RTL, 4/01 : Si vous obtenez des garanties sur la pénibilité, par exemple, report de l’âge légal pour tout le monde à 64 ans sauf pour un certain nombre de métiers pénibles […], est-ce que là, vous dites banco ?

Faute d’en voir venir côté gouvernemental, on somme instamment les syndicalistes d’en mettre sur la table.

Estelle Denis, RMC, 3/01 : Vous êtes prête à lâcher sur quoi Céline Verzeletti ? Parce que vous savez très bien que de toute façon, le gouvernement n’abandonnera pas sa réforme ! [...] Si le gouvernement lâche sur certaines choses, vous aussi vous devez être prêts à lâcher sur certaines choses ! Vous ne pouvez pas dire « c’est non à tout ! »


Tenir

Encouragement délivré sans modération au gouvernement, en particulier si des grèves se déclenchent.

- Le Figaro, 3/01  : Pour réformer les retraites, Macron aura raison de tenir.

- Vincent Trémolet de Villers, Europe 1, 20/01 : Emmanuel Macron n’a pas d’autre choix que de tenir jusqu’au bout.

- Arlette Chabot, LCI, 10/01 : Il n’y a pas d’autre solution pour le gouvernement, maintenant, les dés sont lancés, il faut tenir. Tenir au Parlement, tenir face à la rue [...] [et] attendre en espérant que ça passera.


Démocratie

Principe qui, comme la « raison », se situe toujours dans le camp des partisans de « la réforme ». Seuls le gouvernement et ses soutiens ont le droit de s’en prévaloir.

- Julien Arnaud à Philippe Martinez, LCI, 10/01 : Emmanuel Macron, il a été élu ! [...] Est-ce que la démocratie n’a pas parlé au moment de la présidentielle ?

- Léa Salamé à Laurent Berger, France Inter, 11/01 : Mais les urnes se sont exprimées Laurent Berger ! Elles ont élu [Emmanuel Macron], alors pas uniquement sur la réforme à 65 ans [...] mais il a été réélu ! Il applique son programme ! Vous lui déniez la légitimité de l’appliquer ?!

- Catherine Nay, Europe 1, 13/01 : Entendre [...] le coordonnateur de la CGT chez Total déclarer hier sur Europe 1 qu’il se bat pour la démocratie, là, on se dit : il se fout du monde ! En novembre déjà, c’est lui qui a privé les Français de gasoil ! [...] C’est insupportable !

- Franz-Olivier Giesbert, Le Point, 2/02 : Ce qu’on aimerait, dorénavant, c’est que des personnages comme Faure ou Bompard [...] cessent d’en appeler continuellement à la "démocratie" contre Macron : ils ne savent pas ce que c’est !


Juste

Opinion éditocratique quant à « la-réforme », en cohérence avec la communication gouvernementale. Adjectif particulièrement en vogue sur Europe 1. Synonyme : « Bénigne ».

- Sonia Mabrouk à Éric Woerth, Europe 1, 23/01 : Est-ce que vous pensez qu’y a un défaut de compréhension de cette réforme ou que les Français n’ont pas compris qu’elle était juste, comme vous le répétez ?

- Dimitri Pavlenko, Europe 1, 13/01 : Les avancées sociales de la réforme – il faut bien l’admettre – sont considérables.

- Nicolas Bouzou, 18/01 : La réforme actuelle est bénigne.

- Mathieu Laine, Europe 1, 26/01 : On ne peut pas ne pas faire cette réforme ! […] C’est une petite réforme.


Gagnants

Français chimériques. Existent dans les études de cas journalistiques, parfois fournies clé en main par le gouvernement.

- France 3, 16/01 : Les Français avec des petites pensions sont, eux, gagnants financièrement. [...] Les salariés au SMIC, avec une carrière à trous, auront également une meilleure pension.

- Le Monde, 26/01  : Réforme des retraites : les gagnants et les perdants, en neuf cas pratiques.


Futur

Temps adopté pour conjuguer l’avenir radieux de la réforme, en pleine mobilisation sociale et parfois des semaines avant son vote effectif.

- Léa Salamé, France Inter, 11/01 : De toutes les manières, il passera ce texte.

- Alain Duhamel, BFM-TV, 16/01 : Ça passera, d’abord parce que c’est la réforme que, depuis le départ, Emmanuel Macron veut faire.

- Anne-Sophie Lapix, France 2, 10/01 : 64 ans : ce sera le nouvel âge légal de départ à la retraite, Élisabeth Borne a tranché et dès 2027, il faudra cotiser 43 ans pour toucher une pension pleine.

Se substitue presque toujours au conditionnel. Conjugue également l’opinion supposée « des-Français ».

Le JDD, 15/01 : Occuper la rue apparaît vain : 68% des Français pensent ainsi que la réforme Macron passera malgré tout. Même chez les sympathisants de gauche […], la conviction que le texte sera quand même voté prédomine. C’est peut-être la seule bonne nouvelle pour l’exécutif.


Dans le chaos des grèves


Pagaille

Se dit des encombrements un jour de grève des transports. Par opposition, sans doute, à l’harmonie qui règne en l’absence de grèves.

Marianne, 19/01  : Pagaille en vue dans les transports parisiens et franciliens ce jeudi 19 janvier.


Galère

Se disait des conditions d’existence des salariés privés d’emploi et des jeunes privés d’avenir. Se dit désormais des perturbations liées aux mobilisations sociales. On peut aisément les mettre en images et les imputer à un coupable : le gréviste.

- L’Obs, 17/01  : Retraites : vers un jeudi de grèves et de « galère ».

- BFM-TV, 19/01 : Grève à Marseille : la galère des parents d’élèves.

- La Dépêche, 6/02  : Grève du 7 février : nouvelles galères dans les transports, pour le 3e jour de mobilisation sur les retraites.


Usagers

Victimes par excellence des « galères », les « usagers » sont l’objet de la compassion sans faille des éditocrates. Quand bien même lesdits éditocrates ignorent superbement, en temps normal, la condition des populations concernées…

BFM-TV, 15/01 : Écoles fermées : les enfants trinquent ?

Une catégorie de victimes est particulièrement scrutée par les commentateurs, et leurs paroles, abondamment recueillies : « Avec la grève, les commerçants souffrent et rouspètent » ; « Retraites : avec les grèves, les commerçants s’inquiètent pour leur chiffre d’affaires » RMC, 17/01


Otages

Synonyme d’usagers. Terme approprié pour attribuer les désagréments qu’ils subissent non du fait de l’intransigeance du gouvernement, mais de l’obstination des grévistes. Un terme cependant moins employé à la suite de la prise d’otages (bien réelle) de novembre 2015.

Guillaume Tabard, Radio Classique, 19/01 : On va voir [...] si les Français déjà échaudés par les pénuries d’essence [...] puis par la pagaille dans les transports vont supporter longtemps d’être les otages d’un mouvement social radical.


Noir

Qualifie un jour de grève. En 2009, un jeudi. En décembre 2019 ce fut une semaine. En 2023, c’est un « jeudi », un « mardi » ou un « samedi ». « Rouge » ou « orange » sont des couleurs intermédiaires réservées aux embouteillages. Le jour de grève, lui, est toujours « noir ».



Menace

Peut désigner une grève, jamais une réforme libérale.

- 20 Minutes, 12/01  : Réforme des retraites : La CGT agite la menace de « l’arrêt des installations de raffinage ».

- La Nouvelle République, 12/02  : Retraites : la menace d’un durcissement du mouvement.

- Midi Libre, 12/01  : Réforme des retraites : la réponse d’Elisabeth Borne aux menaces de grèves des raffineries et des transports.

- RTL, 25/01 : La CGT Cheminots et Sud Rail font planer la menace d’une grève reconductible à partir de la mi-février.

Menace pour qui ? Pour quoi ? « Les vacances » pour Axel de Tarlé (France Info, 18/01), les « remontées mécaniques » pour Le Figaro (23/01), « la production dans les raffineries » pour Olivier Bost (RTL, 15/01), qui enjoint donc à Aurore Bergé de sévir : « Est-ce que là-dessus, vous dites : il faut tout de suite réquisitionner ? Une forme de réquisition préventive ? » (RTL, 15/01)


Blocage

Action malvenue. De mauvais goût.

Olivier Babeau, BFM-TV, 15/01 : Ce blocage, c’est un suicide pour une France qui va déjà très mal [...]. C’est quand même une très très mauvaise idée de bloquer le pays jeudi !

Dans le cahier des charges de l’intervieweur, le terme doit être répété pour mieux « bloquer » son adversaire.

- Salhia Brakhlia à Laurent Berger, France Info, 16/01 : La Première ministre vous demande de ne pas pénaliser les Français. La CGT envisage de bloquer les raffineries et la distribution de carburant. Vous êtes sur la même ligne ? [...] Vous bloquez les raffineries ou pas ?!

- Léa Salamé à Fabien Roussel (PCF), France Inter, 17/01 : Les ministres se relaient depuis quelques jours dans les médias pour dire [...] la mobilisation, oui, c’est un droit, mais il faut pas bloquer le pays. Vous, vous dites quoi ? Si pour bloquer cette réforme, il faut bloquer le pays et ben il faut bloquer le pays ? [...] Donc il faut bloquer le pays ? Faut bloquer le pays ? Faut bloquer le pays après deux ans de Covid ?!


Soutenir

Attitude déplorable de « l’opinion publique » vis-à-vis des grévistes. L’éditocratie scrute son affaiblissement.

RMC, 3/02 : Grève SNCF en plein chassé-croisé : et là, vous les soutenez encore ?


Feu sur les mobilisations


Fatalisme

Humeur prêtée/imposée aux opposants. Se prescrit généralement avec un sondage, de préférence en amont d’une journée de grève. Synonymes : « Résignation » ; « Lassitude ».

- Aurélie Casse, BFM-TV, 11/01 : En fait, les Français sont fatalistes ! Vous avez vu le sondage de Bernard Sananès. [...] Malgré cette forte opposition, 75% pensent que la réforme sera quand même adoptée.

- Nathalie Saint-Cricq, France Info, 14/01 : Les Français [... ont] intégré que de toute façon, ça allait passer, avec une forme de fatalisme.

- Rémi Godeau, L’Opinion, 12/02 : Les Français pensent que la réforme sera votée. Ils sont mobilisés, mais fatalistes. Des blocages pourraient les rendre fatalistes, et démobilisés.

- Alexis Brézet, Europe 1, 3/01 : Aujourd’hui, [les Français] donnent le sentiment d’être plus résignés que révoltés. Dans les sondages, le niveau de colère n’est pas du tout celui qui était à l’époque des Gilets jaunes ! Pour l’instant, les Français sont très calmes.

- Benjamin Duhamel, BFM-TV, 2/01 : Le gouvernement fait le pari que la lassitude prendra le pas sur la colère et au fond, quand on teste l’opinion sur l’état d’esprit, eh ben c’est plutôt une forme d’apathie qui prend le pas sur une colère qui est prête à se mobiliser.

- Léa Salamé à Brice Teinturier, France Inter, 2/01 : [La réforme] va-t-elle à nouveau braquer le pays ou Emmanuel Macron peut compter sur une forme de lassitude ou peut-être de résignation pour faire passer son texte ?


Désastre

Mobilisation sociale victorieuse.

Alexis Brézet, Europe 1, 12/01 : [Ce] désastre qui reste dans toutes les mémoires [...] : en 1995, la réforme est abandonnée, c’est une catastrophe absolue.


Échec

Issue d’une mobilisation sociale telle que la rêve, la souhaite et la prescrit l’éditocratie.

- Estelle Denis à Céline Verzeletti (CGT), RMC, 3/01 : Vous savez très bien que vous allez échouer !

- Apolline de Malherbe à Philippe Martinez, RMC, 13/01 : Vous savez déjà que de toute façon, à la fin, vous perdez.


Essoufflement

Se dit de la mobilisation quand on souhaite qu’elle ressemble à ce que l’on en dit. Le diagnostic s’établit chiffres à l’appui (sondages, affluence aux manifestations)… à condition de ne pas se poser la question de la légitimité desdits chiffres.

- RTL, 14/02 : Réforme des retraites : le soutien des Français aux mobilisations s’essouffle, d’après notre sondage.

- France 3, 11/02 : Réforme des retraites : le gouvernement espère un essoufflement de la mobilisation.

- Rémi Godeau, L’Opinion, 12/02 : La quatrième journée d’action contre la réforme des retraites, samedi, a attiré moins de manifestants que les deux premières, mais plus que la dernière, elle-même en retrait. [...] La vague espérée a fait pschitt.


Diviser

Objectif poursuivi par l’éditocratie face au front syndical, s’il a le mauvais goût de se montrer uni et/ou inflexible.

- Julien Arnaud, LCI, 10/01 : Est-ce qu’on sait si le gouvernement, en coulisse, en off, a lancé un peu des actions dès ce soir pour tenter, comment dirais-je, de morceler l’union syndicale ?

- Jean-François Achilli, France Info, 12/01 : Il n’y a aucun moyen de faire renoncer la CFDT, euh, à mobiliser ?


Réfractaire

Se dit des opposants aux mesures imposées par le gouvernement. Synonymes : « Grotesque » ; « Idiots ».

- L’Éclair des Pyrénées, 2/01  : Pour vaincre les réticences, on peut faire parfois le pari de la raison et de l’intelligence.

- Le Figaro, 13/01  : Une nette majorité de nos compatriotes persiste à se montrer hostile au projet [...]. Les Français sont-ils idiots ?

- Nicolas Bouzou, Europe 1, 26/01 : C’est grotesque [de ne pas relever l’âge de départ] ! On est absolument ridicules !

- Nicolas Bouzou, Europe 1, 19/01 : Manifester aujourd’hui quand on a dix-huit ans pour défendre de futurs droits à la retraite, c’est intellectuellement parfaitement grotesque !


Chaos

Se dit sobrement des conséquences des journées « noires » ou de l’ambiance engendrée (exclusivement) par les parlementaires de gauche à l’Assemblée nationale.

- Stéphane Vernay, RCF, 8/02 : Le chaos, oui c’est le mot. [...] Au lieu d’examiner le texte de la réforme, les députés ont commencé par s’administrer une peignée verbale assez monumentale [...]. Incompréhensible, parce qu’il me semblait, à moi, que la stratégie des opposants était de convaincre les députés indécis du caractère impopulaire de la réforme.

- CNews, 6/02 : L’arrivée de la réforme des retraites à l’Assemblée nationale s’est effectuée dans une ambiance chaotique ce lundi, avec de nombreuses perturbations, venues principalement d’élus de la Nupes.


Condamner

Sommation à destination (exclusive) des opposants, visant à ce qu’ils se désolidarisent de tel propos ou telle action contestataire que l’éditocratie aura jugé inacceptable. Donne lieu à d’indémodables happenings de la part des intervieweurs : sur Europe 1 le 19 janvier, à une quinzaine de reprises, Sonia Mabrouk s’acharne à obtenir de Marine Tondelier (EELV) qu’elle « dénonce », puis « condamne les propos » d’un syndicaliste CGT (concernant de potentielles coupures d’électricité visant des permanences d’élus). Avant de lui intimer l’ordre, par quatre fois, de « condamner », « l’ultragauche » et le « black bloc », dont l’éditocrate prophétise « les violences » lors d’une manifestation… qui n’a pas encore eu lieu.


Obstruction

Se dit uniquement de l’action menée par les parlementaires de gauche, quand bien même le gouvernement mutile le processus démocratique à l’Assemblée nationale.

- Sonia Mabrouk à Manuel Bompard (LFI), Europe 1, 11/01 : Est-ce qu’à l’Assemblée, vous misez sur l’obstruction quitte à transformer le parlement en Zad ?

- Neïla Latrous face à Aurélie Trouvé (LFI), France Info, 18/02 : Est-ce que vous avez fait traîner les débats pour empêcher un vote démocratique ? [...] Vous n’avez pas voulu empêcher un vote ? [...] Il n’y a pas de responsabilité de votre côté sur le blocage des débats ?


Violence

Impropre à qualifier l’exploitation quotidienne, les techniques modernes de « management », les licenciements ou le relèvement de l’âge légal. Le terme s’applique exclusivement aux gens qui dénoncent ces phénomènes, aux mots et/ou aux modes d’action qu’ils emploient pour le faire.


Radicalisation

Se dit de la résistance des grévistes quand elle répond à la « fermeté » du gouvernement. À l’inverse, on ne parlera pas de la « fermeté » des manifestants ou de la « radicalisation » du gouvernement, et encore moins de celle des médias dominants. Synonymes : « Jusqu’au-boutistes » ; « Ultras » ; « Fascistes ».

- RTL, 31/01 : Grève du 31 janvier : les renseignements craignent une radicalisation du mouvement et des violences.

- Guillaume Tabard, Radio Classique, 19/01 : Dans l’espoir d’une radicalisation du mouvement, la gauche est dans une logique d’hystérisation du débat.

- Rémi Godeau, L’Opinion, 12/02 : Annoncer pour le 7 mars un pays « à l’arrêt » [...] traduit bien un durcissement du mouvement, en attendant sa radicalisation par une grève que certains rêvent reconductible.

- Le Figaro, 15/02  : La position jusqu’au-boutiste allant jusqu’au blocage du pays et prônée notamment par les plus radicaux de la CGT risque ne pas être suivie par des organisations plus "réformistes" comme la CFDT.

- Daniel Riolo, RMC à propos de Sébastien Menesplier (CGT Mines-Énergies) qui évoquait des coupures d’électricité dans les permanences d’élus, 17/01 : Ce monsieur, il faut le ficher S tout de suite en fait. Ces gens-là [...] sont des extrémistes [...]. On est bien en présence de ce que je disais tout à l’heure : des mouvances fascistes.


Paroles, paroles


Éditorialiste

Prescripteur d’opinion. L’éditorialiste est condamné à changer de titre pour se répandre simultanément dans plusieurs médias. Et donner, de préférence, un point de vue original et/ou avisé.

Géraldine Woessner, Europe 1, 12/01 : Je ne crois pas à une très forte, à une très puissante mobilisation.


Sondologue

Expert en futurologie, diseur de bonnes prophéties, généralement très prophétiques.

Brice Teinturier, France 5, 10/01 : Mon hypothèse, c’est que compte tenu des efforts qui ont été faits pour les régimes spéciaux, il peut y avoir une mobilisation forte, mais je serais un peu étonné qu’elle dure des semaines et des semaines.


Sociologue

Espèce en voie de disparition médiatique. Les quelques individus survivants sont généralement des soutiens du gouvernement, également futurologues.

Jean Viard, BFM-TV, 3/01 : Normalement je dirais [... que] ce n’est pas un moment intense d’immenses mouvements sociaux.


Politologue

Bis. Peut également être conseiller du prince.

- Salhia Brakhlia : Aujourd’hui, Emmanuel Macron ne peut pas reculer. S’il le faisait, il perdrait sa crédibilité pour la fin du quinquennat ?

- Jérôme Fourquet : Effectivement, ce serait compliqué. [...] Le coup est parti, il faut aller maintenant au bout. (France Info, 2/01)

Leurs conclusions sont généralement récitées en boucle par les journalistes politiques.

Maxime Switek, BFM-TV, 10/01 : On cite systématiquement, ces dernières semaines, [...] le politologue Jérôme Fourquet, qui parle d’une espèce d’apathie politique qui aurait gagné la France et qui ferait qu’une partie des Français éventuellement contre cette réforme se soit résignée [...] et ne vous rejoigne pas dans la rue.


Communicant

Espèce en voie de développement médiatique. Se reproduit en particulier sur le plateau des « Informés » (France Info).

12 février 2023 : pour discuter des retraites notamment, aux côtés d’un éditorialiste et d’une journaliste siégeaient la directrice générale de Hill & Knowlton Paris (« agence de relations publiques qui aide les marques et entreprises et les publics à communiquer ») et une associée du cabinet Vae Solis Communications (« cabinet de conseil en stratégie de communication et capital réputation ») !


Intervieweur

Les meilleurs d’entre eux sont des éditorialistes modestes puisqu’ils ne livrent leurs opinions que dans la formulation des questions qu’ils posent. L’intervieweur est un éditorialiste maniant le point d’interrogation.

- Nicolas Demorand, France Inter, 2/01 : Que la France travaille plus n’est-ce pas, bêtement, le sens de l’histoire ?

- Anne-Élisabeth Lemoine, France 5, 3/02 : François Lenglet, est-ce qu’il y a une sorte de schizophrénie sociale des Français, qui sont heureux au travail, mais qui ne veulent pas travailler plus longtemps ?

- Sonia Mabrouk, Europe 1, 19/01 : Marine Tondelier, secrétaire nationale d’EELV et zadiste. Est-ce que vous l’êtes, est-ce que vous l’assumez ? [...] Donc vous assumez de créer des zones de non-droit ? [...] Quand une minorité impose sa loi, comment vous appelez cela dans un pays ?


Expert

Invité à répétition par les médias pour expliquer aux manifestants que le gouvernement a pris les seules mesures possibles. Les meilleurs se trouvent parmi les hauts-fonctionnaires et/ou anciens ministres ayant eux-mêmes excellé dans la casse sociale.

Julien Arnaud, LCI, 10/01 : [Au] temps de la présidence Sarkozy, [...] il y avait des négociations avec Bernard Thibault. Et qui les menait, ces négociations ? Eh bien c’est Raymond Soubie. Et Raymond Soubie, il est avec nous ce soir sur ce plateau ! [...] Expert de toutes ces questions sociales. Et vous en avez mené, vous, des réformes des retraites !


Débat

Se dit des sessions de bavardage qui réunissent autour d’une table l’élite pensante des « experts » et des « éditorialistes ». Ressemble à s’y méprendre à une réunion de communicants.


On

Pronom très en vogue. Permet de généraliser une opinion minoritaire, généralement sondagière.

- Axel de Tarlé : Il y a une résignation.

- Ève Roger : Oui c’est ça, c’est ce qu’on dit. On dit une lassitude, une résignation. (France Info, 18/01)


Micro-trottoir

Cette forme avancée de la démocratie directe permet de connaître et de faire connaître l’opinion des « gens ». Victimes par excellence des « galères », les « usagers » sont d’excellents clients pour les micros-trottoirs : tout reportage se doit de les présenter comme excédés ou résignés et, occasionnellement, solidaires. Comble de la modernité, ces micros-trottoirs peuvent désormais prendre la forme « d’appels à témoins » sur les réseaux sociaux dans le sens recherché.



Opinion publique

S’exprime dans les sondages et/ou par l’intermédiaire des « grands journalistes » qui lui donnent la parole en parlant à sa place ou à la place « des Français ». Dans les sujets des journaux télévisés et/ou micros-trottoirs, quelques représentants supposés de « l’opinion publique » sont appelés à « témoigner ». Les grévistes et les manifestants ne font pas partie de « l’opinion publique », qui risque de (ou devrait...) se retourner contre eux. Nouveauté (ou presque) : les sondages en ligne auto-administrés par les éditocrates en charge de l’opinion publique.



 
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