« 2027 est encore loin… mais la prochaine présidentielle est dans toutes les têtes des politiques », semble s’amuser Le Parisien (2/09). Mais la course de petits chevaux pour 2027 est surtout animée dans (et par) les médias. Intentions de votes quatre ans avant l’élection, cotes de popularité, bruits de couloir, silences qui « en disent long »... : la bulle spéculative du journalisme politique ne cesse de gonfler.
Dès le lendemain du second tour de l’élection présidentielle de 2022, le JDD se démenait pour attirer du clic en tentant d’expliquer « pourquoi la présidentielle de 2027 commence déjà » (25/05/2022). Et depuis, les articles, chroniques, éditoriaux et « reportages » se multiplient : « Gabriel Attal à l’Élysée en 2027 ? Ce "rêve" qui inquiète en macronie » (Gala, 2/03) ; « Fabien Roussel se prépare pour 2027 » (Franceinfo, 8/08) ; « Laurent Berger, possible candidat pour 2027 ? » (« C dans l’air », 12/04) ; « Présidentielle 2027 : François Bayrou "n’écarte pas" l’éventualité d’une candidature » (BFM-TV, 15/01) ; « Présidentielle 2027 : comment François Ruffin se prépare » (JDD, 5/06) ; « Comment Wauquiez, Lisnard et Bertrand préparent la présidentielle 2027 » (Le Figaro, 20/04) ; « Lisnard veut rempiler à la tête de l’association des maires... et vise 2027 » (La Dépêche, 3/09) ; « Comment l’anti-Nupes Carole Delga veut tracer sa route vers 2027 » (Le Figaro, 7/04) ; « Bernard Cazeneuve se positionne pour 2027 » (Les Échos, 10/06) ; « Jordan Bardella confirme qu’il sera tête de liste aux élections européennes, un marchepied vers 2027 » (Europe 1, 4/09)... La liste est (déjà) infinie.
Dans ce grand bric-à-brac, la presse fait son marché. Prétendant simplement décrypter les stratégies de communication, elle ne cesse de gonfler le capital politique des personnalités qui lui siéent. Une perpétuelle co-construction, qu’alimentent les politiques en promouvant leurs propres images de marque, lesquelles requièrent notamment une participation servile et inconditionnelle... au grand jeu médiatique. Si Fabien Roussel excelle en la matière, recueillant en retour les faveurs régulières de la presse (de droite) – « Fabien Roussel devient la personnalité préférée des électeurs de gauche, selon un sondage » (Le Figaro, 4/08) ; « Présidentielle 2027 : Fabien Roussel candidat ? "Il n’y a pas de mystère", répond-il. » (RTL, 31/08) –, la droite de l’échiquier politique demeure la première préoccupation des grands médias.
« Qui sera le champion de la droite en 2027 ? »
C’est ainsi qu’à la Une de L’Opinion, le 30 août, Alain Minc réclamait « une primaire ouverte pour tous les modérés en 2027 », soit, dans l’esprit de l’illustre théoricien du « cercle de la raison », « les trois partis macronistes (Renaissance, Modem et Horizons) et LR »... BFM-TV et Le Parisien, sur la même longueur d’ondes, se chargèrent d’orchestrer la compétition par le biais de sondages censés désigner « qui pour succéder à Emmanuel Macron » (BFM-TV avec Elabe, 30/08) et la personnalité « la mieux plac[ée] pour rassembler les électorats de la droite et du centre en 2027 » (Le Parisien avec OpinionWay, 3/09). Deux mois après avoir fait la Une de L’Express à l’occasion d’un « entretien exclusif » (sur l’immigration), Édouard Philippe trônait ainsi sur les écrans de BFM-TV et en couverture du quotidien de Bernard Arnault, tandis que Laurent Wauquiez héritait du titre de « mal aimé ».
Et de Valeurs actuelles à France Info, tout le gratin du journalisme politique y alla de son commentaire. Le « 20h » de France 2 scénarisa les sondages – « Qui sera le champion de la droite en 2027 ? » (3/09) – et envoya ses journalistes courir après Laurent Wauquiez sur les chemins du mont Mézenc : « Une petite question, c’est possible ? Qu’est-ce qu’elle signifie cette montée pour vous ? » (3/09). Du côté de Libération, on n’oublia nullement de nourrir le « feuilleton Édouard Philippe » en recyclant des petites phrases glanées chez les confrères : « Pour [Gérard Larcher], le maire du Havre et ancien Premier ministre d’Emmanuel Macron fait "bien sûr" partie de sa famille politique. Et Larcher d’ajouter sur France Inter dimanche qu’il ne le dit "pas du bout des lèvres". » La tambouille ? Un art prisé de tout journaliste politique qui se respecte. La circulation circulaire de la médiocrité ? Un passage obligé...
Pronostiquer, divaguer, monter en épingle : telle est la passion de la profession. Quitte à raconter n’importe quoi ? Ce ne sont ni les temps d’antenne, ni les colonnes qui manquent... BFM-TV, 3 septembre :
- Julie Hammett : Vous y croyez, Sarkozy 2027 ? [...] Est-ce qu’il a envie vraiment d’y retourner à nouveau ? [...]
- Charles Consigny : Moi j’aime énormément Nicolas Sarkozy, je considère qu’il a été un très bon président et je suis certain qu’il aurait ses chances.
Mais en réalité, peu importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse. Ainsi le moindre soubresaut du personnel politique se voit-il disséqué, interprété, et intégré au forceps au grand récit journalistique de l’élection permanente :
Challenges (25/08) : Reportage. [Bruno Le Maire] prend le contrepied de Gérald Darmanin [...]. En restant dans son sillon de l’économie, il compte recueillir les fruits des résultats de la politique pro-business d’Emmanuel Macron. Une autre façon de préparer la présidentielle de 2027.
De ce type de faux « reportages » aux rubriques « Confidentiels » [1] en passant par les « décryptages » prétendument analytiques, les productions médiatiques sont saturées des « impressions » et autres « sons de cloche » de tel « proche de » ou de « l’entourage de », le tout en vue de faire monter la sauce de 2027.
Darmanite aiguë dans la presse
Au cours des derniers mois, Gérald Darmanin est sans doute celui qui aura le plus bénéficié de ce grand bouillon médiatique. À la mi-août, Le Figaro (14/08) consacrait une double page à ses « nouvelles ambitions », décrivant un « été où [le ministre] occupe le devant de la scène » avant de raconter comment il avait « convoqué les projecteurs de la rentrée à Tourcoing (Nord) pour le 27 août. » « Il s’arrogera l’attention médiatique », gageait Le Figaro. La servilité des chefferies médiatiques ne lui donna pas tort.
Entre-temps, les commentateurs avaient eu le loisir de valser dans les conjectures, épuisant jusqu’à plus soif le répertoire classique du journalisme politique : « Présidentielle 2027 : Quatre signes montrant que Gérald Darmanin est déjà en campagne » (20 Minutes, 27/08) ; « Présidentielle 2027 : pourquoi Nicolas Sarkozy adoube Gérald Darmanin » (France Info, 18/08). Ici, Gérald Darmanin « abat ses premières cartes » (Libération, 25/08), « place ses pions pour la présidentielle de 2027 » (Le Courrier Picard, 28/08) et « ouvre le dossier de la succession de Macron » (Le Point, 15/08). Là, il « juge "assez probable" une victoire de Marine Le Pen » (RTL, 24/08). Plus loin, il « reste sous le contrôle de Macron » (Challenges, 27/08) ou devient « l’élève adoubé par le maître [Nicolas Sarkozy] » (Var Matin, 17/08). Mais partout, Gérald Darmanin.
Jusqu’aux mystifications et à la vacuité la plus totale :
Éric Decouty (LCI, 14/08) : Pas d’officialisation de sa candidature, mais [Gérald Darmanin] pose les premiers jalons. [...] Ce qui est le plus intéressant, c’est la stratégie politique qu’il développe [...] : la conquête des classes populaires. [...] Lui, il a une certaine méthode qui... alors... veut parler, c’est ce qu’il dit hein, aux gens qui gagnent moins de 2 500 euros et auxquels les partis de gouvernement ne parviennent pas à parler. Et lui, il compte leur parler à ces gens-là. [...] La question sociale, c’est son credo, c’est son seul objectif.
Ça saute aux yeux...
Mais l’une des règles du journalisme politique est que quand il n’y a rien à dire… il y a toujours à dire : « Le silence de Laurent Wauquiez : une stratégie pour 2027 ? » (Le Progrès, 3/09) ; « Bruno Le Maire à propos de la présidentielle de 2027 : "Ce n’est pas mon sujet" » (BFM-TV, 3/09) ; « "2027, c’est bien loin" : Élisabeth Borne réagit à une éventuelle candidature de Gérald Darmanin » (France Bleu, 23/08) ; « Les militants LFI refusent de parler de la présidentielle de 2027 » (La Dépêche, 26/08) ; sans oublier, forcément : « Limitation des mandats : Emmanuel Macron pourrait-il se représenter dès 2027 ? » (Europe 1, 1/09). Jusqu’à ce condensé de journalisme hors sol, qui rejoue la partition d’un premier tour déjà joué d’avance, sous couvert de faire parler « Les-Français » : « Les Français se préparent déjà à un match Édouard Philippe contre Marine Le Pen en 2027 » (La Tribune, 7/07). L’éternel recommencement [2]...
Circonscrire l’information politique à la course électorale, alimenter le feuilleton du théâtre politique, faire de la moindre petite phrase un « événement » et du moindre sondage un « fait politique »... On ne répètera jamais assez combien une telle mise en scène médiatique des enjeux politiques, focalisée sur les questions qui (ne) préoccupent (que) le microcosme médiatico-politique, modèle une version politicienne (délétère) de la politique et, en définitive, fabrique des « non-informations » en série. Dans un ouvrage récemment paru, un journaliste politique (repenti) de Libération disait espérer un sursaut de ses confrères à ce sujet. Ils n’en prennent pas le chemin. Quatre ans... ça va être long.
Pauline Perrenot et Maxime Friot