Les liens d’interdépendance – on pourrait dire les obligeances réciproques –, le off et les déjeuners avec les politiques, les relations avec les autres journalistes : Rachid Laïreche chronique de l’intérieur l’entre-soi et la superficialité du journalisme politique. Ayant occupé la fonction à Libération pendant huit ans, il raconte, au fil des pages, son apprentissage des codes et des pratiques, sa progressive mise en conformité avec les attendus de ses chefs et son immersion dans le monde social de ses confrères et consœurs. Puis son malaise et sa prise de distance avec un métier enfermé dans sa « bulle » et qui se limite bien trop souvent à une « chronique de la courtisanerie ». Publier un article bienveillant pour gagner les faveurs d’une source, déjeuner avec un président de la République et lui poser des questions futiles, traiter de sujets de fond sans n’y rien connaître… la succession d’anecdotes dessine ainsi, au fur et à mesure, un portrait (auto)critique :
Je participe à ce système mortifère, un vase clos qui alimente le fossé entre citoyens et politique. Des histoires racontées par le petit bout de la lorgnette en mettant en scène des enjeux de pouvoir, des tactiques à court terme, la survalorisation de la guerre et du coup à venir. On livre une vision déformée et déprimante de la chose publique, des lois, des réformes. On oublie les retombées dans la vraie vie. Les problèmes des autres ne nous intéressent même pas. On parle des sujets de fond pour mettre en exergue les manœuvres plus ou moins basses des uns et des autres. Nous sommes obsédés par la stratégie. On entretient des relations tordues, ambivalentes, malsaines avec les élus. Embrouilles, rigolades, papouilles pour rester en contact, yeux doux pour choper une info, déjeuners pour recueillir des confidences, etc.
« On s’en carre, au fond, du programme et du reste, écrit-il plus loin. Des règlements de compte, des anecdotes futiles, des méchants hauts en couleur, des portes qui claquent dans le fracas et des batailles d’ego, voilà ce qui aiguise les westerns de coursives dont on raffole. » Comme en miroir de ce que produit le journalisme politique, les propositions partisanes et les politiques publiques sont largement absentes du livre. Sur ce point, il écrit, encore : « Le candidat peut se démener, mettre en avant son programme, ou je-ne-sais-quoi, on s’en cogne. La seule option qui vaille, c’est le demi-point perdu ou gagné dans l’ultime Rolling. »
Focalisation sur les stratégies de communication et les petites phrases, obsession des sondages, politique « politicienne »… le constat n’est pas nouveau – on peut d’ailleurs répondre aisément à sa question : non, il n’y a pas que lui que ça choque... Un ressaisissement de la profession sera-t-il prochainement à l’ordre du jour ? C’est ce qu’appellent de leurs vœux l’auteur et avec lui François Ruffin, qui signe la postface. On voudrait y croire…
Maxime Friot