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Les facéties d’Alexandre Adler : feu sur les altermondialistes

par Mathias Reymond,

Depuis de nombreuses années et un peu partout, Alexandre Adler use délibérément de ce que Noam Chomsky et Edward Hermann appelaient le « filtre de l’anti-communisme » [1]. Ceci se traduit chez lui par une irritation et une intolérance permanente à l’égard de l’extrême gauche et des altermondialistes. Ancien communiste, il « doit constamment montrer [son] certificat d’anticommunisme – ce qui [le] mène à des comportements réactionnaires – » [2] afin de bénéficier de l’hospitalité des grands médias, mais aussi de celle des médias de plus petite audience.

A longueur d’antenne et de colonnes, Adler rumine toujours les mêmes poncifs, à grands renforts d’analogies historiques dont la vacuité n’a d’égale que la vanité d’un cuistre, dissimulant derrière son érudition apparente (destinée à produire des effets de sidération) les haines recuites dont il parsème son vocabulaire. Ce pamphlétaire tous-médias (successivement ou simultanément  : Le Monde, Courrier international, Le Figaro et L’arche, à la radio sur France Culture, à la télévision sur Arte, chez Ardisson sur France 2, ou au cours de ses prestations rituelles dans l’émission « Ripostes » sur France 5, ainsi que sur le site Proche-Orient.info) ne doit la place qu’il occupe qu’à la magie qui le fait passer pour un commentateur avisé auprès de nombre de ses confrères. Dans l’orchestre, Adler fait office de grosse caisse...

... Et quand il joue la partition de la critique de l’altermondialisme, commune à la plupart des autres éditorialistes stars, c’est la haine qui suinte dans tous ses discours. Pour affirmer, péremptoire et vindicatif que les altermondialistes sont intrinsèquement violents, simplistes, staliniens, crypto-islamistes et, somme toute, totalitaires.

Violents


« Ce que les violences agitatoires des illuminés communautaristes de Seattle et de Prague révèlent comme un symptôme grossissant, c’est la mise en place à l’échelle planétaire d’un front anti-mondialiste qui rappelle trait pour trait le front anti-libéral de la Révolution conservatrice née de la crise européenne des années 1872-1896. » [3] [souligné par nous, comme tous les passages en gras dans les citations qui suivent]

C’est par ces mots que l’ubiquitaire Adler introduit les altermondialistes en les présentant d’emblée comme des communautaristes violents. Pour lui, « (le rejet du modèle démocratique) s’exprime également à l’extrême-gauche, comme en témoignent les manifestations anti-mondialistes de plus en plus violentes de Seattle à Gênes  » [4]. Alexandre Adler ment. La plupart des associations altermondialistes se réclament de la non-violence et la pratiquent. Et à Gênes encore, les violences de certains manifestants ont été sans commune mesure avec le déchaînement des violences policières.

Simplistes

Le lumineux Adler, toujours gorgé d’importance, s’octroie couramment le droit de calibrer les vertus intellectuelles de ses adversaires fantasmés : Che Guevara ? « Che Guevara n’était pas une intelligence limpide » [5]. Edward Saïd ? « Il a exercé une influence intellectuelle très supérieure à ses lumières  » [6]. Howard Dean ? « [il] dégage plus de chaleur que de lumière » [7].

Sur le même ton, devenu savant en économie, il pourfend les économistes d’Attac : « Au fond, l’islamisme est la religiosité des demi-savants, des demi-habiles et demi-émancipés. Et ceux-là préfèrent les joies faciles du populisme, de la même façon qu’ Attac est le mouvement de ceux qui se sont un peu initiés à la pensée économique, mais luttent contre l’enseignement des mathématiques en économie, parce que toute complexité intellectuelle les offense  » [8].


Et, lorsqu’il se retrouve à court d’arguments face à René Passet, membre du conseil scientifique de l’Attac, il sort brusquement de son sac à malices une comparaison qu’il veut meurtrière : « Vous me faites penser à ces grands académiciens hongrois que les soviétiques mettaient en avant parce que, eux, connaissent le débat économique, ils connaissent les chiffres, ils avaient des idées, et puis euh, ben ils étaient en avant, et derrière vous aviez quand même le mufle du bureaucrate soviétique, il ne se montrait pas. [...] Vous êtes la culture économique d’Attac ». Car tout économiste capable de lui en remontrer ne peut être que l’alibi d’un stalinisme à venir. Ce qui ne l’empêche pas d’ajouter : « c’était un compliment !  » [9].

Staliniens

Un stalinisme à venir ou un stalinisme persistant. En effet, dit-il, « l’anti-américanisme d’aujourd’hui, sous des dehors vaguement progressistes, n’est qu’un conglomérat de vieux rêves évanouis sous les décombres du mur de Berlin [...] dont un des personnages clés est José Bové. » [10]

Dans le même registre, mais un ton au-dessus, Adler accuse les « anti-impérialistes [...] [de] défendre la Serbie et de l’autoriser à commettre n’importe quelle exaction avec ses citoyens albanais. [...] [Mais aussi] de soutenir des dictatures en Irak et en Corée du Nord. » [11]

Jamais en panne d’outrance et de haine, le même Adler avoue, à propos de « l’affaire Tariq Ramadan » qu’il a « plus d’affection pour Tariq Ramadan que pour les Mermet et les Langlois (fondateur de l’hebdomadaire Politis) » [12]. D’ailleurs, Daniel Mermet est « un journaliste bréjnevien [...] [qui] sait dire les choses autrement et que c’est comme ça qu’on ne peut pas le coincer [...]. » Et d’ajouter : « Il semble eux [Mermet et Langlois], bien pire [...] et sont infiniment plus méprisables, infiniment plus répugnants qu’un malheureux fils de dignitaire égyptien  ». Sans commentaires.

A propos du traité constitutionnel, le belliqueux Adler, toujours aux aguets, se lance dans une nouvelle bataille : la liberté de notre continent contre les altermondialistes : « Mais la bataille pour le « oui » sera dans ces conditions évidemment la grande bataille pour la liberté de notre continent, et je l’espère la grande défaite de tous ces altermondialistes qui ont tout à la fois la candeur et l’impudence de se déclarer « antilibéraux », disons plus simplement ennemis de la liberté . » [13]

Crypto-islamistes

Afin de bien percevoir le fond de la pensée adlérienne, il importe de se reporter à ses propos tenus dans des médias plus confidentiels. L’affligeante rhétorique de l’historien se révèle aux auditeurs lorsqu’il s’exprime sans retenue dans une chronique diffusée sur Proche-Orient.info [14]. Pour lui l’« anti-américanisme », est « un sentiment fascisant qui, de fait, se trouve en sympathie avec le "fascisme musulman" propagé par les islamistes ». Les alter-mondialistes, qu’il déteste nommer ainsi, « sont en fait des ennemis de la liberté , [...] [ils] vont de plus en plus loin dans le rejet d’Israël et sont partout pour les islamistes , parce que l’Islam c’est le peuple et qu’ils rejettent partout la mondialisation. » Il s’insurge contre les « anti-libéraux » qui «  donnent largement la parole [à Tariq Ramadan] parce qu’ils veulent intégrer tous ces porteurs de voile, tous ces musulmans traditionalistes dans leur grand front contre la liberté . C’est là le véritable aveu ! [...] On en est maintenant à justifier, non pas le culturalisme maghrébin et les musulmans, mais l’Islam. Non pas l’Islam, mais les islamistes. C’est allé assez vite, et effectivement les islamistes sont les alliés objectifs de ce front anti-libéral . » Le procureur Adler continue son virulent réquisitoire contre les altermondialistes en vociférant « qu’il y a une profonde haine, dans ce milieu qui est très agi par le ressentiment, envers tout ce qui peut ressembler à de la modernité dans le monde musulman [...], leurs vrais amis, leurs vrais équivalents, ce sont les islamistes de toutes nuances dans les sociétés du Proche-Orient.. »

Ceci lui permet finalement de souligner que « l’irruption d’Oussama ben Laden est une mauvaise nouvelle pour tous ces gens-là. Elle les oblige à prendre parti ou à se découvrir  ».

Constamment maltraité dans les médias d’obédience néolibérale, le mouvement altermondialiste doit aussi subir les interminables jugements de l’impérieux Adler, présent tous les matins sur France Culture, toutes les semaines dans Le Figaro, tous les mois à la télévision et tous les ans dans les librairies. Et il n’est pas le seul...


Mathias Reymond

 
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Notes

[1 La fabrique de l’opinion publique : la politique économique des médias américains, Le serpent à plumes, Paris, 2003.

[2Id., p. 25.

[3 Le Monde, 23 novembre 2000.

[4 J’ai vu finir le monde ancien, Grasset, Paris, 2002, p. 70-71.

[5France Culture, 24 septembre 2003.

[6Proche-Orient.info, 18 septembre 2003.

[7France Culture, 11 décembre 2003.

[8 J’ai vu finir le monde ancien, op. cit., p. 124.

[9France Culture, 29 octobre 2004.

[10 J’ai vu fini le monde ancien, op. cit. p. 69.

[11 J’ai vu finir le monde ancien, op. cit., p. 68.

[12Proche-Orient.info, 14 octobre 2003.

[13 Le Figaro, 20 octobre 2004.

[14Proche-Orient.info, 14 octobre 2003.

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