Dans sa chronique du Nouvel Observateur du jeudi 9 mai 2002, Françoise Giroud - sous le titre "La machine à décerveler" - se penche sur le peuple.
Cela commence ainsi et apparemment nous concerne tous :
« Dieu aux abonnés absents, la République désacralisée, une télévision irresponsable... il ne faut pas s’étonner si nous votons n’importe comment ou pas du tout »
Mais en vérité c’est du peuple qu’il s’agit :
« Qu’est-ce qui porte espoir pour ceux « d’en bas » comme on dit aujourd’hui ? Rien.(...) A gauche, l’offre d’espoir est faible. Arlette Laguiller, virago bornée, le nez dans son petit Trotski illustré, appelant le malheur en France pour qu’il accouche de la révolution. Pas de quoi réchauffer le moral des classes populaires désemparées et de leurs enfants. »
Après la "virago borné", cette incise :
« La télévision faisant une consommation effrénée de « gens connus » - connus pourquoi ? parce qu’elle les a fait connaître, c’est le serpent qui se mord la queue -, les plus malins réussissent à sortir de ces compétitions de nullité avec un petit bout de notoriété. »
Une incise qui ne concerne pas nos omniprésents éclaireurs du peuple, mais le peuple lui-même car - paragraphe rétabli - il fallait lire
« Que leur propose-t-on, à ces enfants, pour espérer ? « Star Academy » et « Loft Story » dont la deuxième mouture flirte franchement avec le crasseux, au propre et au figuré. Ces blondes décolorées avec deux centimètres de racines noires… beuh. Mais devenir Loana, pourquoi pas moi ? Participer à de telles émissions, c’est prendre sa chance d’être « connu », ô ivresse. La télévision faisant une consommation effrénée de « gens connus » - connus pourquoi ? parce qu’elle les a fait connaître, c’est le serpent qui se mord la queue -, les plus malins réussissent à sortir de ces compétitions de nullité avec un petit bout de notoriété. C’est la version nouvelle de l’ascenseur social désaffecté. »
Et pour finir, et exercice de lucidité condescendante :
« Enfin, il y a la grande machine à décerveler. Depuis la tuerie de Nanterre jusqu’à ce malheureux vieillard molesté d’Orléans, d’incessants reflets de la violence ambiante nous ont agressés chaque jour. Nanterre, soit, c’était énorme. Le pauvre homme d’Orléans, il y a hélas ! tous les jours quelqu’un de malmené quelque part. Qui est allé chercher celui-là pour le diffuser en boucle, couvert d’ecchymoses ? Ceux qui décident du traitement de l’information ne poursuivent très généralement aucun objectif politique. Mais ils semblent parfois indifférents à la responsabilité que leur donnent à la fois l’ampleur des audiences qu’ils atteignent et le caractère inéluctable de l’information télévisée, parce que c’est la même partout, que, hors LCI peut-être et encore, les chaînes débitent toutes la même chose aux mêmes heures sans contre-feu, que c’est une nourriture obligée qu’on ingurgite. Celui qui lit un journal peut toujours trouver un autre son de cloche ailleurs. La télévision de l’information n’émet qu’un son de cloche, et simultanément dans toutes les villes, dans tous les villages. Elle peut sans doute se vanter d’avoir sensiblement augmenté le score de Le Pen dimanche. Personne, jamais, n’a bénéficié d’une telle couverture télémédiatique sur plusieurs jours consécutifs sauf de grandes vedettes à leur mort, Yves Montand, Lady D. Quand ce sera le tour de Le Pen… Jusque-là, pouce ! S’il vous plaît. »
30 avril 2002. Mise à jour : 12 mai 2002