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Le Républicain Lorrain ou le journalisme paranormal

par Yann Kindo,

Avec l’autorisation de l’auteur et du site, nous publions, sous forme de tribune [1], un article mis en ligne le 31 août dernier sur le site « Science et Pseudo-sciences ».

Dans son édition du 21 août 2014, le quotidien régional Le Républicain Lorrain, qui est en situation de monopole de l’information locale dans une partie de l’Est de la France, annonçait sur son site Internet, vidéo à l’appui, une grande enquête à paraître dans son édition du lendemain [2]. Le sujet ? Des événements paranormaux qui se seraient produits dans la nuit du mercredi 20 août : un couple de retraités de la commune d’Amnéville a vu sa maison mise à sac par ce que le journal appelle d’emblée Poltergeists, ou Esprits Frappeurs.


Captures d’écran du site du Républicain Lorrain (août 2014)



Voilà qui tombait fort à propos, puisque le même journal avait débuté quelque temps plus tôt, le 19 juillet, une série d’été sur « L’ Étrange près de chez vous » avec un cas de maison hantée en Belgique en 1993. « Des faits toujours inexpliqués » et authentifiés par un professeur d’université, bien entendu... Et par la suite, pour occuper l’été, il s’en est passé de bien belles dans les colonnes du Républicain Lorrain grâce à cette série effectivement « étrange » : Jeanne d’Arc n’est pas morte sur le bûcher mais a vécu à Jaulny ; le château de Lunéville est victime d’une malédiction incendiaire ; Gilberte a vu 33 fois la Vierge ; et pour finir des blocs de granit ont été empilés dans les Vosges (sans que l’on voie très bien ce que cela a d’« étrange »).

La concordance des temps était parfaite, puisque la série d’été prenait fin le 21 août avec ces pierres inexpliquées, et, le soir même, l’affaire d’Amnéville pouvait prendre le relais. Les esprits avaient été bien préparés, on hésite même à écrire qu’ils ont été bien « frappés »…

Timides mais ravageurs...

Donc, spectacle de désolation et de dévastation dans les colonnes du journal ce vendredi 22 août. Le couple concerné fait visiter sa maison dont le sol est jonché de débris, donnant l’impression qu’« un ouragan a littéralement dévasté les 100 m2 du pavillon des époux amnévillois ». Pots de confitures qui commencent à tomber au sol, puis objets qui se déplacent avant de se crasher par terre. Une poupée est retrouvée décapitée, et téléphone et coussins sont projetés dans les dos des personnes. À chaque fois, les événements ont l’air de se produire dans une pièce dans laquelle personne ne se trouve. Les Poltergeists seraient-ils des êtres timides et cachottiers ? Et, dehors, dans le jardin, c’est encore pire. Une voisine aurait même vu des fleurs artificielles sortir de leur pot et venir dans sa direction alors qu’elle tentait de prendre des photos... qu’elle n’a pas prises [ce qui est dommage].

D’emblée, le journal avance sans hésiter, dans un encadré, l’hypothèse conforme à sa ligne éditoriale estivale : « Et si c’était un poltergeist ? ». Un autre encadré présente les indispensables et attendus témoignages, ici ceux de la famille elle-même. De même, ce que les policiers d’Hagondange ont pu voir apparaître dans le journal à travers le témoignage du beau-frère, et non pas des policiers eux-mêmes : les journalistes du Républicain Lorrain n’ont sans doute pas eu le temps de recouper les informations avant de publier leur papier, et n’ont visiblement pas trouvé le temps depuis. Par ailleurs, au-delà de l’appareil photo de la voisine qui ne parvient pas à prendre le phénomène sur le vif, les Poltergeists d’Amneville « apparaissent » plus rétifs à l’enregistrement d’images que ceux du célèbre film de Tobe Hooper, puisque malgré les efforts entrepris, personne n’a pu filmer une seule scène lors des quelques heures qu’auraient duré les événements.

D’autres bizarreries dans le comportement des Poltergeists n’ont pas l’air non plus d’éveiller la curiosité de la journaliste, qui ne remarque pas que, par exemple, les Esprits Frappeurs ne sont ni très grands ni très forts : les objets lourds du type armoire ou canapé n’ont pas été déplacés, pas plus que les petits objets en hauteur. Existerait-t-il des Enfants Farceurs parmi les Esprits Frappeurs ?

Une autre information que l’on apprend au détour de l’article n’interpelle pas non plus l’enquêtrice du quotidien régional : le couple victime apparaît comme fragilisé à propos de leur lieu d’habitation. En effet, ce couple fait partie de ces lorrains qui ont dû déménager de leur première résidence du fait d’importants dégâts miniers : « Ça fait quatorze ans que l’on a fait construire ici. Nous sommes des sinistrés de Moyeuvre-Grande. Nous avons déjà été expulsés de notre maison il y a une petite vingtaine d’années ! Je ne veux pas que ça arrive ici… ». Et il semble vraiment que les Poltergeists complaisants frappent à un endroit particulièrement « prédisposé », puisque le couple avait fait bénir sa nouvelle maison par un prêtre, « car il entendait des voix et des bruits d’origine inconnue », comme s’il craignait que quelque chose ne lui arrive de nouveau…

Le spectacle médiatique habituel

La suite relève de l’habituel spectacle médiatique et de son mécanisme bien rôdé. Le lendemain, le Républicain Lorrain rapporte que, ô surprise, les curieux défilent sur place pour voir tout ça de leurs propres yeux, ce qui donne l’occasion d’un nouvel article sur le phénomène autour du phénomène. Une curiosité cependant sévèrement réprouvée par un nouveau titre où il est dit qu’il faut « éviter les vautours », et qu’il est dommage qu’il y ait autant de badauds sur place alors que le couple n’aspire qu’à retrouver le calme et la tranquillité. C’est vrai que le journal n’est pour rien dans cette renommée soudaine et dans la popularité de l’idée selon laquelle cette maison serait hantée...

Le 23 août, le journal poursuit ses recherches et offre à ses lecteurs un nouvel éclairage sur l’affaire en publiant une interview d’un « chasseur de fantômes » de la région. Celui-ci « croît en l’incursion des âmes perdues dans le monde des vivants », et affirme être particulièrement bien placé pour approfondir la compréhension des événements d’Amnéville puisque sa vocation de « ghostbuster » lui est venue en regardant de nombreux films d’horreurs. Un expert, donc. L’article est signé d’un autre journaliste de la rédaction. Ainsi, entre Amnéville - ou « AmnEVIL » comme certains l’appellent avec humour – et la série sur l’Étrange, c’est une bonne partie de la rédaction qui aura été mobilisée par le paranormal cet été. Un vrai choix éditorial semble-t-il.

Expert es-poltergeist

Enfin, le 25 (sur le site) et le 26 août (dans l’édition papier), le Républicain Lorrain sait prendre de la distance critique et faire un vrai travail de journalisme d’investigation, puisqu’il ose avancer en titre qu’il faut « vérifier toutes les hypothèses ». Bonne idée, tiens, pour des professionnels de l’information. Mais n’aurait-il pas fallu le faire avant d’avancer noir sur blanc l’hypothèse du Poltergeist sans en évoquer aucune autre ? Mais là encore, cette prise de distance critique se fait de manière, pour le coup, bien « étrange », puisque le spécialiste convoqué pour éclairer l’affaire d’Amnéville – ou « AmnEVIL » comme certains l’appellent avec humour – n’est pas un sceptique, un zététicien ou un membre de l’AFIS quelconque, mais n’est autre que... Yves Lignon, un promoteur du paranormal bien connu des lecteurs de Science et Pseudo-sciences [3]. Comme trop souvent, Yves Lignon est présenté comme le fondateur d’un « Laboratoire de Parapsychologie » qui dépendrait de l’Université Toulouse-le Mirail et qui serait, toujours selon le Républicain Lorrain, « un groupe de recherches universitaires ». Si le journal avait pris la peine d’aller visiter le site de l’Université en question ou, simplement, de consulter la page Wikipédia d’Yves Lignon, c’est-à-dire de faire les vérifications recommandées par ailleurs, elle aurait constaté qu’il n’y a pas de « Laboratoire de Parapsychologie » dans cette université, pas plus que dans n’importe quelle autre, la « parapyschologie » n’étant pas une discipline reconnue dans l’enseignement supérieur hexagonal. Yves Lignon a en fait été professeur de mathématiques à Toulouse Le Mirail jusqu’à sa retraite en 2008, et avait tenté d’utiliser cette situation pour faire croire que son « laboratoire » d’étude du paranormal y était reconnu par l’institution, ce que cette dernière a expressément démenti à plusieurs reprises. C’est un peu comme si une université recrutait en littérature un enseignant par ailleurs féru d’astrologie, et que celui-ci essayait de faire croire qu’il existerait un Laboratoire de recherches astrologiques au sein de cette université. Et il faut croire que ce tour de passe-passe, largement éventé, fonctionne encore auprès de certains professionnels, dont le métier est pourtant de vérifier la qualité des informations proposés à leurs lecteurs.

Cela dit, que ces lecteurs soient rassurés, car Yves Lignon est formel dans le cas d’Amnéville : « Ce n’est pas un cas de Poltergeist ! » Ouf, nous voilà tranquillisés ! Car même le croyant Yves Lignon a remarqué ce qui n’avait pas été envisagé par la rédaction du journal : « Cette affaire s’inscrit dans un contexte de croyances avec l’intervention d’un prêtre qui a béni la maison. La fiabilité des témoignages est très relative. Une enquête de police est nécessaire pour les recouper ». Mais après ce moment de lucidité rationaliste, Yves Lignon retourne à ses amours premières et explique que, surtout, les événements d’Amnéville ne collent pas avec le mode opératoire habituel des Poltergeists tel que « validé » par la parapsychologie : « Quant aux maisons hantées où des objets se déplacent, c’est impossible scientifiquement ! C’est l’un ou l’autre ! Il n’a jamais été observé d’apparition accompagnée de déplacements d’objets. »

Parce que, à l’inverse, des apparitions sans déplacement d’objets ou des déplacements d’objets sans apparition seraient scientifiquement possibles et auraient été observés ?!

On peut s’amuser de cette tentative de faire une distinction entre les vrais et les faux Poltergeists, entre la vraie et la fausse parapsychologie. On peut surtout, pour conclure, se désoler de toute cette couverture médiatique fantaisiste, qui donne une bonne idée de ce qu’est la différence entre le vrai journalisme et le journalisme paranormal.

Yann Kindo

 
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Notes

[1Les articles publiés sous forme de « tribune » n’engagent pas collectivement l’Association Acrimed, mais seulement leurs auteurs.

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