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Contre-réformes et mobilisations de 2003

Le Figaro met en musique les poèmes de Raffarin

par Henri Maler, William Salama,

Le Figaro est en armes. La guerre sociale est déclarée, contre les grévistes et les manifestants. Ce que le « ferme mais pas fermé » Raffarin roucoule, l’orchestre militaire des journalistes du Figaro le met en musique.

Du 14 au 20 mai 2003, pour ne pas effaroucher ses lecteurs et contenir, à sa façon, les grèves et les manifestations, Le Figaro a confié à ses pages « saumon » - « Le Figaro Economie » ! - … l’essentiel des articles consacrés aux luttes en cours. C’est surtout là que l’on peut entendre la mélodie réactionnaire, rythmée à la grosse caisse par les éditoriaux : l’ensemble est aussi beau que le son du canon !

14 mai 2003 : Le Figaro tient bon !

Le Figaro mercredi 14 mai 2003 titre à la « Une » : « Retraites : l’heure de la négociation ». Il faut lire le surtitre pour avoir une vague idée de la raison : « Plus d’un million de manifestants hier dans toute la France ». Et Le Figaro de renvoyer à ses pages « saumon » …

En attendant, on peut lire page 8 : « Face à la rue, Raffarin reste ferme, mais pas fermé » : un titre qui reprend sans le dire slogan raffarinesque. Quant au contenu de l’article, une seule phrase le résume : « Expliquer pour ne pas avoir à reculer ». La photo qui illustre l’article ? Une image de foule attendant le métro… Et toujours rien sur les manifestations.

Voyons les pages « saumon »

La page I, confirme la « Une » : « Fillon face à la démonstration de force ». Le surtitre, délicatement, annonce que « le ministre des Affaires sociales est prêt à améliorer son projet ». Améliorer ? C’est donc à la page II que figure un non compte-rendu des manifestations elles-mêmes, titré : « Retraites : les syndicats mobilisent massivement ». L’article commence par un témoignage d’importance, digne de l’importance des manifestations : « Hier Benjamin, huit ans, n’avait pas classe ». Que déclare Benjamin ? Que Raffarin est le « monsieur qui veut arrêter les retraites de tout le monde ». Et le journaliste de commenter finement : « Du projet de réforme du gouvernement, voici ce que comprend un enfant de huit ans ». De là à conclure que les manifestants sont puérils, il n’y a qu’un pas que notre journaliste n’a pas besoin de franchir… Suivent des témoignages élégamment ponctués par le vocabulaire, à propos de « l’inquiétude manifestée sur le sujet des retraites  » : « le lamento », « le gros des troupes » des manifestants, qui « se recrutaient » parmi certaines « catégories », etc.

Autre article : « Le projet ne passe pas chez les fonctionnaires ». Claire Bommelaer a compris que c’est parce que les fonctionnaires n’ont pas compris. Mais, heureusement, « le gouvernement a une nouvelle fois pris conscience, hier, que sa réforme n’était pas comprise ». Sans doute est-ce la raison pour laquelle il a essayé de « contrecarrer », ce que notre journaliste appelle une « campagne » : les informations fournies par la CGT sur la baisse des retraites. Raffrin « explique », la CGT mène une « campagne », évidemment !

Et enfin : « Le Medef pointe les aléas de la réforme ». Un beau titre pour une bien belle organisation …

Reste l’éditorial du jour, signé Jean de Belot. Le titre est sobre « Tenir ». Au début et à la fin de ce cri du coeur et de cet appel à la résistance (, ce refrain : « Tenez bon, monsieur Raffarin ! ». Entre les deux, un couplet parmi d’autres : « Bien sûr, les manifestant sont nombreux. Une fois de plus ! Mais quel est leur message ? Le refus de la réforme, bien sûr, que tous savent nécessaire, pourtant. Un refus comme une espèce de leitmotiv. Un refus qui dit l’inquiétude. (…). Cette inquiétude qui fait préférer l’immobilisme au mouvement ».

Commisération pour « l’inquiétude » et éloge du « mouvement »… rétrograde. Réactionnaire, Le Figaro ?

15 mai : Le Figaro négocie

Le Figaro, Jeudi 15 mai 2003, titre à la « Une » : « Retraites : surenchères syndicales », avec ce surtitre angoissé : « La prolongation des grèves a piégé hier les Parisiens ».

Et dépité, Le Figaro titre à la « Une de ses pages « saumon » : « Retraites : certains syndicats sont tentés par la poursuite du mouvement ». On peut y lire ce que Pierre Avril et Claire Bommelaer déduisent : « Un peu anarchique, soumis à la décision d’assemblées générales réunies au jour le jour, le mouvement pourrait donc être très pénalisant pour les usagers des transports ou les parents d’élèves.  ». L’esprit du Figaro est tout entier dans le « donc » qui relie un mouvement « un peu anarchique » et un mouvement « très pénalisant ».

Page II, le titre ressasse : « Retraites : négociations sur fond de surenchères syndicales » : l’occasion pour Béatrice Taupin de s’inquiéter : « Les exigences d’hier n’ont-elles pas dépassé les bornes de ce que le gouvernement peut accepter ? »

16 mai : Le Figaro défend le droit

Le lendemain, vendredi 16 mai 2003, Le Figaro semble soulagé et titre à la « Une » : « CFDT et CGC acceptent la réforme des retraites  ».

Mais le même jour sous un titre pathétique - « La France, pays de non-droit » -, Yves Thréard consacre son éditorial à cette dramatique question : « Elle a bonne mine la France ! Elle, si prompte à rappeler au monde les règles du droit international, si fière quand elle fait la leçon à l’Amérique, devrait se regarder dans la glace. Est-elle encore un pays de droit ? ».

Pourquoi poser cette question ? C’est ce que nous apprend la suite :
« Comment tolérer qu’une minorité de salariés, privilégiés car mis à l’abri d’une douloureuse mais nécessaire réforme, privilégiés car bénéficiant d’avantages sociaux exorbitants, privilégiés car assurés de la garantie de l’emploi, se permettent en plus de faire grève en toute illégalité ? » ?

Quand Le Figaro dénonce des « privilèges », on se doute qu’il ne s’agit que de ceux de modestes salariés ! Quand Le Figaro compare la violence du droit international pour fait de guerre et une éventuelle violation du droit du travail pour fait de grève, cela n’a rien d’exorbitant ! Surtout quand on apprend quelle est cette terrible violation :
« C’est sans préavis que les agents des transports publics parisiens n’on pas repris le travail mercredi ».

Ce qui transforme La France en pays de non-droit ? La grève sans préavis….Et ça continue comme ça sur une colonne entière…

17 mai : Le Figaro adoube François Chérèque

Un portrait paternaliste - « l’homme qui sait terminer une grève  » - signé Hervé Bentégrat relate la réunion de mercredi 15 mai et adoube François Chérèque n’est pas dithyrambique. Non ! Seulement paternaliste et moralisant … François Chérèque, c’est « l’anti-Blondel » car « l’un dit toujours non, l’autre sait dire oui » [1]. C’est « un brave type », avec cette qualité d’être « consensuel ». Il a bien parfois « un gros coup de colère […] mais ça ne dure pas ». Et, attention, François Chérèque « aime sa famille ». Bref, un français exemplaire comme souhaiterait en voir plus souvent (surtout en ce moment) Raffarin. CQFD.

18 -19 mai : Le Figaro Magazine s’exaspère

Sous la plume de Joseph Macé-Scaron, la droite retrouve son ton, sa morgue et son mépris. Dans son éditorial (« la République des oiseaux »), il prend la défense de maître Raffarin, en stigmatisant les « désertions intellectuelles » et fustigeant ces intellectuels qui « renforcent jour après jour une démocratie d’opinion que Tocqueville définissait ainsi :’ une immense pression de l’esprit de tous sur l’intelligence de chacun ». Ça commence fort !.
Le masque tombe peu à peu : « on peut se féliciter de la méthode fondée sur la concertation, le dialogue le refus des fractures inutiles et blessantes […] mais lorsque toutes les précautions ont été prises, toutes les sensibilités ménagées […] il faudra bien trancher ». Autres gentillesses : « comme les vieillards, les syndicats remâchent le passé », « La prime à l’immobilisme est la pire des choses », « nous avons la gauche la plus conservatrice du monde, c’est un peu notre génie local  ».

Bref, la régression, c’est le progrès ! Le passé, c’est l’avenir ! La France d’en bas appartient à ceux qui ceux lèvent tôt pour travailler en retard et pas à ceux qui défilent à l’heure, avant qu’il ne soit trop tard : la France d’en bas n’est pas celle qui défile, mais « la longue cohorte de tous ceux […] qui avait peur d’être en retard ». Quant aux manifestants : « Au fond, l’avenir n’est pas leur fort. En ce début de siècle qu’ils défilent ou non, c’est l’avenir qui mène le bal ».

19 mai : Le Figaro souffre

Le Figaro Entreprises - le supplément format A5 du lundi - demande chaque semaine à un chef d’entreprise ou à un journaliste de commenter sa semaine. Dans son numéro du 19 mai c’est Marc Fiorentino, président d’Euroland Finance qui s’y colle. Le pauvre « entrepreneur » a passé une sale semaine, mais nous gratifie d’un trait d’humour patronal : « il ne m’a fallu que trois heures trente pour arriver au bureau  ». Il ne comprend pas « grand chose à ce qui se passe » (Etonnant pour un chef qui lit Le Figaro…). Lui ce qu’il désire « c’est qu’on ne [l’] oblige pas à quitter son travail à 60 ans ». Alors : « comment peuvent-ils réclamer de partir à la retraite si tôt ? » s’offusque-t-il. Ils sont gonflés ces travailleurs...

… et, pour finir Delevoye, dans une interview, demande d’écouter « ceux qui ne manifestent pas ». De quoi rassurer les chefs d’entreprises …

20 mai : Le Figaro s’étrangle

Pour tirer la leçon de la grève de la Fonction publique du 19 mai, Le Figaro surtitre à la « Une » : « Près d’un enseignant sur deux était en grève hier, et les syndicats appellent à un nouveau mouvement jeudi ». Une information qui introduit le titre qui barre la première page : « Menaces sur les examens »

Mais même les pages « internationales » sont de la partie avec « Raffarin au Canada, pays des réformes réussies » où l’on apprend que le pauvre Ferry a dû rester à Paris et dans lequel l’on lit ce déchirant : « En quittant Paris en pleine mobilisation syndicale sur les retraites, l’école ou la fonction publique, Raffarin n’oubliera pas pour autant les tracas de la réforme de l’Etat. Sans doute viendra-t-il puiser quelques idées dans ce pays de 31,4 millions d’habitants, où la croissance atteindra 2,5 % et qui a réussi à mener d’importantes structure sans faire descendre la population dans la rue ».

Enfin, encore un témoignage d’importance dans les pages « opinions » qui proposent la vision vaseuse d’un américain, Ted Stanger, (ancien chef du bureau de Paris de Newsweek et auteur de « Sacrés Français »), dans « Défilés à la mode gauloise ». Inutile de dire que les gaulois sont canardés comme dans un tir aux pigeons dans cette article convoquant clichés et …psychanalyse.

Après les pages économies, société, portraits, opinions, international, Le Figaro a-t-il épuisé toutes ses ressources ? Pas sûr. L’ombre du Figaro s’étend sur France 2. Au journal de 13 heures, Daniel Bilalian a présenté un commentaire tout en images et en indignation sur lesdites menaces. Avec, notamment, un reportage sur une manifestation de 2 ou 3 dizaines collégiens grévistes contre la grève de leurs enseignants.

A suivre…

 
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Notes

[1Blondel est beaucoup moins fréquentable, par ce qu’il est "mal élevé" : " face à François Fillon, c’est le premier qui a pris la parole. Son intervention achevée, le leader de Force ouvrière sort son cigare. Il fait déjà une chaleur irrespirable dans cette pièce "

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