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La réforme des retraites ? Urgente, unique, inévitable

par Denis Perais, Mathias Reymond,

Les grands médias se chauffent la voix. Cet automne le gouvernement devrait soumettre au parlement la « grande réforme » des retraites, afin de « sauver » le régime par répartition. Mais la bataille sociale, politique, et… médiatique a déjà commencé.

« Urgence » de la réforme

« Il y a urgence ! » s’exclame Alain Genestar sur France Info, le 20 février 2010. C’est « une réforme inévitable » insiste Patrick Bonazza dans Le Point le 25 février. « Incontournable », nuance Jean-Pierre Bel, « indispensable », tempère François Ernenwein, « inéluctable  », réplique Jacques Camus [1]. Pour Alain Duhamel, « la réforme des retraites, c’est la plus urgente, la plus nécessaire » (RTL, 23 mars 2010). Même point de vue pour Luc Ferry : « C’est vital et s’il y a encore une réforme à faire, c’est celle-là. Il faut acter qu’on travaillera plus. » (lejdd.fr, 26 mars 2010). C’est vital, c’est fatal – ce sont « Les retraites de la peur », comme l’indique la « Une » de Métro le 15 avril 2010.

On l’aura compris, les médias dominants nous resservent la soupe unanimiste de l’urgence de la réforme. Depuis 1993 et la première réforme des retraites instaurée par Edouard Balladur, les gouvernements successifs ont trouvé sur leur route des médias enthousiastes, saluant et soutenant la marche triomphale vers la « modernisation » des régimes de retraites (2003, 2007). La prochaine réforme, annoncée à l’automne 2010, devrait s’accompagner d’un emballement éditorial similaire. En attendant, les vedettes du journalisme marquent leur territoire.

Ainsi, Jean-Michel Aphatie insère la (bonne) réponse dans la question qu’il pose à Dominique Strauss-Kahn : « L’âge légal de la retraite, il faut quand même le revisiter un peu partout pour faire face aux déficits ? » (RTL, 4 février 2010). Idem, lorsque deux mois plus tard, il est face à Jean-Luc Mélenchon : « Comment peut-on combler ce trou financier sans augmenter la durée du travail des cotisants ? » Résumant la pensée du chœur des ténors médiatiques, Christophe Barbier propose de mettre « un grand coup d’accélérateur, immédiat et irréversible (...) afin d’accomplir les réformes les plus essentielles. Celle des retraites et des coûts sociaux, d’abord : que la franchise des débats sauve le système français une fois pour toutes ! » (L’Express, 25 mars 2010).

« La seule solution »

Les éditorialistes veulent voir les Français travailler plus longtemps, et sur ce point ils ne transigeront pas. Car il n’y a là aucune idéologie : ils se soumettent simplement au principe de « réalité », et, comme l’explique Dominique Seux, « la réalité est qu’il est impossible d’échapper au relèvement de l’âge légal de départ à la retraite » (Les Echos, 9 avril 2010). Et pour Alain Genestar, « tout le monde sait, c’est une évidence , il faut travailler au-delà de 60 ans » (France Info, 24 avril). Même son de cloche pour Philippe Frémeaux, directeur de la rédaction d’Alternatives Économiques : « Il n’est pas absurde de penser qu’on va travailler plus longtemps » (France Info, 26 janvier 2010).

Pour Laurent Joffrin, sur France Info, ça ne fait pas de doute, «  la seule solution , c’est d’allonger la durée de cotisation » (15 février 2010). Et Sylvie Pierre-Brossolette, sa consœur du Point, censée lui apporter la contradiction en direct, acquiesce : « Moi, je pense qu’il faut les deux, allonger la durée de cotisation [mais aussi] repousser l’âge légal de la retraite, (...) ce n’est pas aussi antisocial que ça ». Laurent Joffrin peut alors conclure ce faux-débat : « L’idée d’accepter l’augmentation du nombre d’annuités, on est d’accord là-dessus ».

D’accord aussi avec Dominique Seux qui, sur son blog, explique que «  en France, grâce à la démographie dynamique, l’idée serait d’aller "seulement" vers 63 ans » (Blog, Les Echos, 15 février 2010). « La logique démographique et économique plaide pour un allongement de la durée de cotisation » tranche Le Monde dans son éditorial du 16 février 2010. La providentielle « logique démographique » a le dos large, et Gaëtan de Capèle du Figaro recopie ses confrères : « Au rythme où évolue la démographie française, il est inéluctable et urgent de repousser l’âge légal de la retraite et d’allonger la durée de cotisation si l’on veut préserver notre système par répartition » (15 février 2010).

Trois mois plus tard, Jean-Michel Aphatie opine : « Le gouvernement récuse par avance l’idée d’augmenter les cotisations. Son argument ? Elles pèsent déjà pour le tiers du salaire versé par les entreprises, inégalement réparties entre employeurs et employés. En gros, nous sommes au seuil du supportable. C’est objectivement vrai » (RTL, blog, 14 avril 2010). La vérité « objective » sortant de la bouche des gouvernements, pourquoi envisager d’autres solutions que les leurs ? N’en parlez pas, ce n’est pas sérieux… Ainsi, à propos de l’initiative d’Olivier Besancenot appelant à un front uni de la gauche contre la réforme gouvernementale des retraites, Laurent Joffrin semble très clair : « C’est une plaisanterie. Besancenot, il dit : y a qu’à taxer les riches, c’est tout simple. Mais comme les riches ne sont pas extrêmement nombreux, il n’y aura pas assez d’argent, ça ne suffira pas » (France Info, 15 février 2010). Sur ce point, il est rejoint par la quasi-totalité des éditorialistes de la presse régionale à l’instar d’Olivier Picard : « Sur la ligne de la retraite à 60 ans, la CGT, FO et la CFTC auront de plus en plus de difficulté à tenir cette position économiquement intenable... même en inventant des taxations supplémentaires des bénéfices des entreprises pour trouver de nouvelles ressources » (Les Dernières Nouvelles d’Alsace, 20 janvier 2010).
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« Une seule solution », donc – et une seule « grande question », posée, pour l’ensemble de ses confrères, par Bruno Dive : « La grande question porte pour l’heure sur la méthode  » (Sud Ouest, 15 février 2010).

« Conservatisme » et « privilèges »

Les premiers signes d’un alignement du Parti socialiste sur les positions médiatiquement dominantes sont aussitôt salués par les porte-voix des grands médias comme des « avancées », ou des « tabous » et des « dogmes » enfin brisés, à l’instar de ce qu’écrit Jean-Francis Pécresse [2] dans Les Echos  : « La conversion de la première responsable d’opposition à un recul de l’âge légal de la retraite est en tout cas de bon augure » (20 janvier 2010) [3]. Parallèlement, le « conservatisme » des syndicats et les « privilèges » des fonctionnaires sont vilipendés avec vigueur...

Claude Imbert par exemple, toujours égal à lui-même, ne fait pas dans la demi-mesure : « La réforme des retraites, d’une nécessité mathématique  [4], constituera un test majeur. Qu’elle s’enlise dans les arguties politiciennes ou le conservatisme syndical, et elle enlisera la France » (Le Point, 1er avril 2010). Rien de moins… Pour Jean-Francis Pécresse, encore lui, c’est plutôt affaire de génétique : « Bien que les Français aient gagné sept ans d’espérance de vie depuis 1983, FO ne voit toujours pas le problème économique que pose un âge légal de départ dès 60 ans. Quant à la CGT, son refus de « toper » avec un gouvernement est inscrit dans son code génétique » (Les Echos, 12 avril 2010).

Et de son côté, Franz-Olivier Giesbert, privé de tout privilège, fustige « ces privilégiés de la Nation [les aiguilleurs du ciel], qui ne travaillent que 24 heures par semaine – moins de 100 jours par an et bénéficient de retraites juteuses – et profitent de leur situation stratégique pour demander toujours plus » (RTL, 24 février 2010). Toujours à propos des fonctionnaires, Jean-Michel Aphatie, « interroge » Jean-Luc Mélenchon : « Les retraites des fonctionnaires sont calculées aujourd’hui sur les six derniers mois ; celles des salariés du secteur privé sur les 25 dernières années. Ceci peut-il rester en l’état, Jean-Luc Mélenchon ? C’est un peu inégalitaire ! » (RTL, 13 avril 2010).

***

La « logique démographique », « l’urgence de la réforme », la « seule solution », le « corporatisme », les « privilèges »… La novlangue de l’éditocratie ne s’enrichit guère, mais accompagne « la réforme » avec le même entrain et la même insistance. Comme nous l’écrivions déjà à propos de celle des régimes spéciaux en septembre 2007 : « À chaque réforme libérale, à chaque réforme anti-sociale, le bataillon des ténors médiatiques envahit les colonnes des journaux, les écrans et les radios car il ne faut pas laisser le moindre espace à l’adversaire. Ils orchestrent le débat, et surtout se posent en gardiens du consensus. » [5]

« La réforme » est de retour ? Les gardiens du consensus aussi.

À suivre…

Mathias Reymond et Denis Perais

 
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Notes

[1Respectivement, La Nouvelle République du Centre Ouest du 16 juin 2009, La Croix du 22 mars 2010 et La République du Centre du 16 juin 2009.

[2Dont le programme a au moins le mérite de la clarté : « Il faudra travailler beaucoup plus longtemps pour gagner moins, et moins longtemps, une fois à la retraite » (Les Echos, 14 avril 2010).

[3À ce propos, on admirera l’analyse d’Alain Duhamel concernant la crédibilité d’un présidentiable PS : « A l’intérieur du PS, à propos de la réforme du financement des retraites, il faudra que les présidentiables se définissent individuellement. Qu’on voie qui est courageux, qui est compétent, qui prend des risques, qui n’en prend pas ! Bref, qui est le plus présidentiable. » (RTL, 16 février 2010). Comprendre : assez « courageux » et « compétent » pour prendre le « risque » de penser comme Duhamel.

[4À laquelle est aussi sensible Chantal Didier, qui exige des « réformes nécessaires [...] dont l’équation est connue » (L’Est Républicain, 15 février 2010).

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