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Une lettre ouverte de 2001

La direction de France Culture confond-elle fiction et réalité ?

Au Président de Radio France

A la rentrée de 2001,le SELF (Syndicat des Ecrivains de Langue Française), le SFA (Syndicat Français des > Artistes Interprètes), le SNAC (Syndicat National des Auteurs et Compositeurs) et le SNLA-FO (Syndicat National Libre des Artistes Interprètes - Force Ouvrière), adressaient une lettre ouverte au Président de Radio France, à propos des fictions dramatiques sur France Culture [*]

Dans le cours du mois d’octobre, France Culture a publié sa "grille de programmes" mise en place depuis début septembre. Un directeur de station de radio est libre de modifier sa grille, encore faut-il qu’il prenne en compte les désirs des auditeurs et les soucis des professionnels qui participent à l’élaboration des émissions. Cette nouvelle grille a été mise en place sans que personne n’ait été consulté. On y constate un nouveau - et important - recul de la fiction dramatique radiophonique. Comme en 1999, ce recul est nié par la diretion de France Culture.

D’une même voix, Mme Adler, directrice de France Culture, et M. Comment, son conseiller pour la fiction, disent vouloir revigorer la politique de la fiction sur France Culture. Mais pour ce faire, ils commencent par disqualifer le travail des artistes (auteurs, réalisateurs, comédiens, bruiteurs, musiciens...) et des techniciens qui participaient à la création de fictions sur France Culture avant leur entrée en fonction (Un exemple : leurs propos, rapportés par Le Monde du 25 juillet 2001 : " Un savoir-faire triomphait, doublé d’un esprit routinier, [avec] des textes maîtrisés mais sans enjeux ". " Quand nous sommes arrivés à France Culture, il y a trois ans, on nous disait qu’à la radio il fallait des textes qui engagent huit ou neuf comédiens - pas moins - et surtout pas de monologues. "

Il s’agit là d’une réécriture de l’histoire.

Pour mémoire, rappelons quelques faits non fictifs :

Le protocole de fin de grève de 1998 avait garanti le maintien des moyens de production pour toutes les émissions de France Culture (documentaires, magazines et fictions).

Jusqu’en juillet 1999 (dernière saison de la direction précédente), France Culture se donnait les moyens de produire des fictions dramatiques radiophoniques de tout format, de durées variables, avec toute liberté sur le nombre de personnages (un, deux, trois ou plusieurs dizaines d’artistes interprètes). France Culture avait alors la volonté de produire et de diffuser chaque semaine environ 520 minutes de fiction (8h40). A cela s’ajoutaient, pendant l’été ou au cours de journées spéciales, des productions exceptionnelles de tous répertoires et de toutes esthétiques, dont les durées variaient de 2h30 à 5h.

La première grille de programmes imposée par l’équipe de Mme Adler faisait fi du protocole de fin de grève de 1998 et ne prévoyait plus que 295 minutes de création par semaine (4h55), dont une part envahissante consacrée aux simples lectures de textes littéraires. L’art particulier qu’est la fiction dramatique radiophonique était presque totalement abandonné.

C’est dans ce contexte que plusieurs milliers d’auditeurs et de professionnels ont signé une pétition en défense de la fiction dramatique radiophonique. Les organisations syndicales et professionnelles (SNAC, SELF, SFA, SNLA-FO...) se sont ouvertement opposées à la direction de France Culture, y compris par voie de presse.

Elles demandaient le maintien des heures de fiction produites et diffusées et des moyens de production alloués à un art spécifique (la création de fiction dramatique radiophonique), art caractérisé par l’utilisation exclusive mais multiforme du son pour faire naître des univers et des situations "dramatiques" dans l’imagination des auditeurs. C’est un art qui s’adresse à l’imagination et à la sensibilité des auditeurs bien davantage qu’à leur capacité de concentration, requise, elle, par les lectures et autres discours que Mme Adler et son équipe leur proposaient d’écouter en guise de fiction. Jamais aucune de ces organisations professionnelles n’a revendiqué, comme le prétend la direction, un minimum de " huit ou neuf comédiens " par oeuvre, ni cherché à interdire les monologues.

Du fait de cette politique de production de l’actuelle direction, France Culture ne sera peut-être plus en mesure de produire autant de fiction qu’avant 1999.

Tout est fait pour appauvrir la qualité et la diversité des fictions radiophoniques. Ainsi, avant l’entrée en fonction de Mme Adler et de ses conseillers, le Bureau de lecture recevait les pièces radiophoniques proposées à France Culture par les auteurs, les évaluait et les transmettait au conseiller pour la fiction avec un avis, favorable ou défavorable. L’avis favorable était en général suivi d’une réalisation. Depuis deux ans, ce n’est plus vrai. Aujourd’hui, la direction préfère directement " appeler les auteurs aimés ".

Selon Le Monde, " Laure Adler aime rappeler que France Culture est le premier employeur de comédiens en France : entre 9500 et 10000 services sont proposés chaque année ", mais rappelons que ce chiffre est passé de 9600 en 1998 à 7000 en 1999, année de son entrée en fonction.

Par ailleurs, l’identification de la fiction dans la grille de programmes est de plus en plus difficile pour les auditeurs, qui sont renvoyés à d’irréguliers et hypothétiques rendez-vous, notamment en ce qui concerne les fictions "longues".

Quelles sont les "innovations" que Mme Adler et M. Comment disent avoir apporté à la fiction dramatique radiophonique ? S’agit-il de la baisse considérable de la production, du mépris affiché à l’encontre de ceux qui ont consacré leur énergie et leur talent à faire vivre cet art, de la confusion persistante entre "oeuvre de fiction dramatique radiophonique" et "lecture de texte" ou, pour le choix des auteurs, du remplacement des critères artistiques du Bureau de lecture (collégial) par un critère simple : être " aimé " de la direction de France Culture ?

L’examen de la nouvelle grille montre : la réduction de la fiction du dimanche après-midi de 120 minutes à 100 minutes, et à 40 minutes le 4ème dimanche du mois, la disparition du feuilleton court (25 minutes par semaine), que ne compensent ni la création d’un créneau de 15 minutes par semaine ni tout autre projet imprécis, irrégulier, sans identification claire dans la grille. Enfin, si Mme Adler et M. Comment affirment en juillet " Ce que nous recherchons, ce n’est pas un format ", la grille de programmes en vigueur depuis septembre impose un formatage plus strict que jamais à la fiction : aucune oeuvre dépassant 100 minutes ne pourra plus être produite dans le cadre de la programmation hebdomadaire, et il faudra fournir chaque semaine 2 oeuvres de 30 minutes et une de 15 minutes... La liberté de création des auteurs s’en trouve sévèrement amoindrie.

Constatant l’absence totale de transparence dans les choix de programmation et la destruction de l’environnement qui permettrait un développement qualitatif de la fiction, les professionnels exigent le respect élémentaire par la direction de France Culture du protocole de fin de grève de 1998 et donc le rétablissement des volumes de production de documentaires, de fiction et de magazines. Ils estiment indispensables le maintien et la régularité, dans la grille de programmes, des fictions de durée longue.

Les professionnels, représentés par le SELF, le SFA, le SNAC et le SNLA-FO, ne pouvant se faire entendre de l’actuelle direction de France Culture, vous adressent cette lettre ouverte et vous demandent de les recevoir conjointement et dans les meilleurs délais pour dicuter de cette situation.

 
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Notes

[*SELFc/o G.Gaillaguet 36, rue Henri Barbusse 94200 Ivry - SFA 21 bis, rue Victor Massé 75009 Paris - SNAC 80, rue Taitbout 75009 Paris - SNLA-FO 2, rue de la Michodière 75002 Paris

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