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« L’amour, ça se fait à deux », par Nicolas Demorand et Bernard-Henri Lévy

par Henri Maler,

Confronté à la « meute » de ses admirateurs inconditionnels, BHL se pose désormais en victime des médias…

Mais pour faire face à l’adversité, la résistance s’organise, avec le renfort de Nicolas Demorand.

Demorand à contre courant et à contre-emploi

Dans sa chronique « Tous azimuts » du 18 février 2010, sur France Inter, l’animateur de la matinale, ancien de l’École normale de Saint-Cloud prend courageusement la défense de BHL, ancien de Nomale sup’ de la rue d’Ulm (mieux cotée), et invite à lire les articles défendant le philosophe sur le site Slate.fr, dirigé par le chroniqueur de France Inter Jean-Marie Colombani, deux articles « à contre-courant du contre-courant », précise Demorand. Parmi ces articles, celui de Philippe Boggio - dont Demorand oublie d’indiquer qu’il fut aussi l’hagiographe de BHL (et de Johnny Hallyday…) et qu’il concluait ainsi son article, finement intitulé « BHL victime de délit de faciès ? » :« Compte tenu de l’état de la société, de ses besoins de lynchage, de sa passion pour les oukases médiatiques, la prochaine fois, au prochain livre, internautes, lecteurs ou critiques, quelques-uns ne se retiendront plus. Bernard-Henri Lévy, ce juif... ». « Il y a dans tout cela quelque chose qui pue », commente Demorand à propos des critiques contre BHL, avant d’ajouter : « Et pour le reste sachez que Bernard-Henri Lévy sera demain l’invité du 7-10 ». Ce n’est que justice puisque ce ne sera que la septième fois depuis octobre 2007…

Le lendemain donc, BHL est l’invité de Nicolas Demorand pour un drôle de numéro de duettistes…

Ce matin là, le nageur à « contre-courant du contre-courant » change apparemment de rôle et endosse – à contre-emploi - celui du critique impertinent qui prend à parti le lecteur distrait des œuvres de Botul, ce philosophe imaginaire auquel seul pouvait rendre justice un philosophe à peine moins imaginaire que lui.

Les premières questions de Demorand, diablotin de circonstance qui affecte de vouloir pousser BHL dans ses derniers retranchements, donnent le change [1].

« Bonjour Bernard Henri Botul », dit-il pour accueillir son invité, avant de lui poser une première question : « Sérieusement, Bernard-Henri Lévy cette histoire de citation d’un philosophe qui n’existe pas, ça craint vraiment, non (comme disent les jeunes) ? » BHL ayant déclaré que ça le fait « moins marrer maintenant  », Demorand le relance : « Et pourquoi ? C’est ridicule ! ». Et une question plus loin : « Mais le monde entier, Bernard-Henri Lévy, est mort de rire ! » Reprenant les termes de la réponse de BHL : « Non mais il faut en dire plus que : ça veut dire quoi “ça tourne pestilentiel”, “ça tourne glauque” ? » BHL ayant protesté qu’on « l’attaque sur ce qu’il est, c’est-à-dire... », Demorand complète : « Un dandy richissime héritier qui vit dans des palaces et voyage dans des jets privés... Et vous répondez quoi à cette critique qui est permanente, Bernard-Henri Lévy ? », etc. [2]

Évidemment Nicolas Demorand pose à son invité les questions indispensables à sa défense et s’abstient de parler des critiques qui visent les impostures de BHL et celles qui s’adressent moins à sa personne qu’à son personnage médiatique… Quand vient enfin cette question : « Bon. Je profite de vous avoir sous la main, Bernard-Henri Lévy, pour vous demander ce que vous avez avec les médias. Mais c’est une drogue dure, chez vous, ou quoi ? On vous voit partout  ! »

… Pourquoi le voit-on partout ? Parce qu’il est accueilli partout et en n’importe quelle occasion : telle est la moindre des réponses, sauf quand elle est formulée par un auditeur taquin.

Ébats et débats : « L’amour, ça se fait à combien ?

Cette pièce en deux actes mérite qu’on s’y arrête.

Acte I : Tout seul ou à deux ?

- Nicolas Demorand  : « Bon, je profite de vous avoir sous la main, Bernard-Henry Lévi, pour vous demander ce que vous avez avec les médias. Mais c’est une drogue dure, chez vous, ou quoi ? On vous voit partout ! »
- Bernard-Henri Lévy : « Je vous renverse la question, qu’est-ce que les médias ont avec moi ? »
- Nicolas Demorand : « C’est trop facile ça. »
- Bernard-Henri Lévy : « Bah non c’est pas trop facile. »
- Nicolas Demorand : « Bah évidemment. »
- Bernard-Henri Lévy : « Bien sûr que non. »
- Nicolas Demorand : «  Ça se fait à deux, c’est comme l’amour, hein ! »
- Bernard-Henri Lévy : « Je suis en face de vous aujourd’hui. Est-ce que je vous ai braqué ? Est-ce que je vous ai obligé ? Comment ça s’est passé ? Vous m’avez invité parce que vous avez pensé que ce serait intéressant pour vos auditeurs. Que vous allez avoir tout à l’heure des questions très hostiles, très piégeantes, très amusantes emmerdantes. Vous m’avez invité pour ça. Personne ne vous a obligé. Il faut arrêter. »
- Nicolas Demorand  : « […] Je suis sûr que ça vous fait jouir au fond de vous voir partout dans les médias, que c’est un rapport de jouissance quasi physique et sexuel . »
- Bernard-Henri Lévy : « Sexuel. Mais, alors... »
- Nicolas Demorand : « …Je n’ai pas vraiment réussi à dire le mot que j’ai dans la tête... Je disais que ça se pratique à deux, ça peut se pratiquer seul aussi, enfin vous voyez ce que je veux dire. »
- Bernard-Henri Lévy : Oui mais en général je le pratique plutôt à deux que seul , ce que vous avez dans la tête. Je suis plutôt comme ça. Je dis qu’il faut arrêter avec cette forme légère et bénigne de conspirationnisme qui suppose qu’un certain nombre de gens, en l’occurrence c’est moi, qui seraient des espèces de pieuvres tentaculaires contrôlant à distance tous les médias, tenant sous leur influence maléfique tous les directeurs de journaux, et, assurant le tintamarre de leurs œuvres avec une maestria consommée. Ca c’est une forme de conspirationnisme. Je ne suis pas le maître d’une grande conspiration. » [3]

Que Bernard-Henri Lévy s’appuie sur un « réseau » n’est un secret que pour lui-même. Mais affirmer qu’il est le maître absolu de ce réseau et qu’il concerte avec lui sa surexposition médiatique, ce serait évidemment simpliste : cette surexposition médiatique est une coproduction quasi-spontanée de Panurge-BHL et du troupeau de ses moutons médiatiques. Panurge et son troupeau : cet amour-là se fait évidement à deux, même si les moutons sont nombreux et l’exhibition des amants quelque peu envahissante.

Un tiers peut-il s’immiscer entre eux et inviter l’un des moutons – Nicolas Demorand - à faire preuve d’une plus grande discrétion, à distendre un peu les liens, voire à rompre ? Ce serait manifestement une ingérence dans une affaire privée…

Acte II. Tout seul ou à deux. Mais pas à trois ?

Comment justifier le privilège - exorbitant - accordé à Bernard-Henri Lévy qui peut s’exprimer en toute occasion et plus longuement que quiconque dans les émissions de large audience de France Inter ? Il est interdit de le demander...

Les « questions des auditeurs » ? Nous avons, à plusieurs reprises, constaté qu’il s’agissait de questions filtrées et que la parole des auditeurs était confisquée, comme on peut le lire dans les articles suivants : « Nicolas Demorand sur France Inter : « la parole est à moi ! » (février 2008) et « Nicolas Demorand, gardien de la démocratie ? » (février 2009).

Mais Antoine a franchi le barrage du standard, et….

- Nicolas Demorand : « Antoine nous appelle du Pas-de Calais. Bonjour Antoine. Bienvenue »
- Antoine : « Bonjour. Merci de prendre ma question. Je voulais m’adresser à Bernard-Henri Lévy dont je trouve les analyses souvent pertinentes. Mais nous sommes nombreux à regretter qu’il se fasse un peu trop rare sur France Inter. Alors Nicolas, pourquoi ne pas inviter plus souvent Bernard-Henri Lévy, ou mieux, lui confier une chronique quotidienne ? »
- Nicolas Demorand : « C’est une très, très bonne idée. On va la creuser. Mais je la prends au vol. Est-ce que vous avez, cher Antoine, une question ? »
- Antoine : « Je vais la reformuler autrement, puisque vous ne l’avez pas comprise. C’est la septième fois que vous l’invitez depuis que vous êtes sur France Inter … »
- Nicolas Demorand (interrompant immédiatement Antoine) : «  Sept fois en quatre ans , ça ne fait pas, ça ne fait pas énorme »
- Une voix (Thomas Legrand ?) : «  Ça fait de la bonne radio, non  ? »
- Nicolas Demorand : « Et puis c’est assez intéressant à entendre. Vous avez une autre question, mon cher Antoine, ou pas ? »

Sept fois ? Oui, mais en moins de deux ans et demi. Nous avions déjà recensé les six premières lors d’une précédente visite, en novembre 2009 : Bernard-Henri Lévy était déjà venu faire le point sur l’état de la gauche française à l’occasion de la sortie d’un de ses livres (9 octobre 2007), donner son avis sur l’affaire de l’Arche de Zoé (5 novembre 2007), soutenir la députée néerlandaise d’origine somalienne Ayaan Hirsi Ali menacée de mort (7 février 2008), assurer la promotion de son livre co-écrit avec Michel Houellebecq (10 octobre 2008) et commenter un documentaire élogieux réalisé sur sa personne (4 février 2009). Le 9 novembre 2009, sixième visite : il est présent pour célébrer son propre rôle dans la chute du mur de Berlin. « Et demain ? », demandions nous alors (« BHL, Bernard Guetta et Nicolas Demorand sous le mur de Berlin). Demain, c’était trois mois plus tard… pour faire de la « bonne radio ».

Reprenons :
- Nicolas Demorand : « Et puis c’est assez intéressant à entendre. Vous avez une autre question, mon cher Antoine, ou pas ? »
- Antoine (interrompu avant d’avoir fini sa phrase) : « Vous savez qu’il existe d’autres penseurs qui ont… »
- Nicolas Demorand (exaspéré et rageur) : « Oh, c’est pas vrai ! Quel scoop vous m’apprenez là, Antoine ! Je vous souhaite une très belle et bonne journée. Réintervenez autant que vous voulez, 7 fois, 10 fois, 15 fois, 25 fois au standard de France Inter. Je passe la parole à Thomas Legrand. »

Pour paraphraser, mais prudemment, Nicolas Demorand s’adressant à BHL, on ne peut pas être « sûr » que cela le « fait jouir au fond » d’exercer un tel pouvoir sur France Inter, que ce n’est pas « un rapport de jouissance quasi physique et sexuel. ». Mais on peut être certain que la médiacratie et BHL n’en ont pas fini d’être amoureux.

C’est pourquoi il n’est guère surprenant de voir quarante-huit heures plus tard, le 21 février, ce même Nicolas Demorand recevoir pendant quarante minutes ce même Bernard-Henri Lévy, dans l’émission politique dominicale de France 5, « C Politique ». Parce que « l’amour, ça se fait à deux »

Henri Maler
- Avec Ricar au montage vidéo et le concours du Plan B

 
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Notes

[1Transcription du Nouvel Obs.com, révisée. La vidéo complète est ici.

[2Quelques questions plus loin, Demorand tend une nouvelle perche à ce dernier : « Vous êtes très violemment attaqué par la presse, également. Le Nouvel Observateur de cette semaine vous compare dans une chronique de Delfeil de Ton à Balkany, Monsieur Balkany. BHL, Botul, Balkany même combat ? Bon… » Et encore : « Quelle est votre réaction contre le torrent qui se déchaîne contre vous sur Internet ? […] » Puis : « Mais vous qui êtes philosophe, vous ne vous interrogez jamais sur la haine que vous suscitez, Bernard-Henri Lévy ? »

[3La suite n’est pas mal non plus.
- Nicolas Demorand : « C’est le syndrome de Stockholm entre vous et les médias, ça se joue à deux ? […] »
- Bernard-Henri Lévy : « Ça se joue à un. Le Nouvel Observateur dont je parlais tout à l’heure ils ont lancé en effet cette glorieuse affaire Botul, cette immense fièvre journalistique pour laquelle ils sont félicités ici et là. Avant de faire ça, ils ont quand même lancé le tintamarre dont vous parlez. Ils ont été les premiers à insister auprès de mon éditeur, pour avoir ma première interview, pour griller les autres journaux. Ils ont organisé le premier tintamarre dont vous dites qu’il est ma drogue dure, c’est la leur. »
- Nicolas Demorand : « Mais c’est votre drogue dure les médias, BHL, vous pouvez le dire »
- Bernard-Henri Lévy : « Ça dépend. Quand il s’agit de gagner la partie sur la Bosnie. Quand il s’agit d’alerter les gens sur le Darfour. Quand il s’agit de dire qu’il y a un inconnu dans l’Illinois qui s’appelle Barack Obama et que je pense qu’il sera président des États-Unis. Évidemment que j’ai envie des médias et que j’ai besoin des médias pour le dire. Heureusement qu’il y avait les médias il y a quelques semaines pour Haïti. A ce compte là, oui, les médias c’est très important. Ce n’est pas une affaire de drogue dure ou de jouissance. »
- Nicolas Demorand  : « Donc “philosophe médiatique”, ce n’est pas une insulte pour vous ? »
- Bernard-Henri Lévy : « Mais bien sûr que non ce n’est pas une insulte. Je défends des choses qui me tiennent suffisamment à cœur. Je mène des combats depuis 30 ans, depuis 32 ans, qui sont suffisamment importants pour moi, que je ne serais pas obligé de mener, que je mène et heureusement qu’il m’est arrivé d’avoir les médias avec moi et que je les ai le plus souvent avec moi pour mener ces combats. Bien entendu ! ».

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