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John McCain et le Washington Post : un hommage et des omissions (Fair)

par FAIR,

Ici comme ailleurs, la disparition des « grands hommes » est souvent l’occasion, notamment pour les journalistes, d’accomplir un véritable rite de célébration. Il n’est pas rare que leur plume, tantôt lyrique, tantôt enflammée, prenne quelques libertés avec les faits. Comme le souligne l’observatoire états-unien des médias Fair, dans l’article que nous reproduisons ici, l’hommage récent rendu au sénateur républicain John McCain fut à cet égard un monument d’approximations où choix visuels douteux rimèrent avec omissions fâcheuses. Au-delà d’une simple « maladresse » journalistique, c’est bien l’amnésie dont sont régulièrement frappés les médias dominants en de telles circonstances qui interroge, ces derniers se faisant une fois encore les relais dociles de la représentation dominante d’un personnage dominant.

Dans l’édition du Washington Post du 27 août dernier est paru un éditorial signé par la chroniqueuse conservatrice Jennifer Rubin louant le sénateur américain récemment décédé John McCain pour son engagement supposé en faveur des « droits de l’homme ».

Dans l’article, Rubin s’enflamme pour l’incontestable « champion disparu » des droits de l’homme qui «  incarnait pour autrui le modèle d’une société libre ». Assez paradoxalement, elle ajoute « qu’à l’exception, peut-être, de l’armée américaine, aucun groupe ne devait davantage au sénateur républicain d’Arizona John McCain que la communauté des droits de l’homme ».

Il y avait néanmoins un problème que l’on qualifiera de visuel : en guise de photo pour illustrer sa chronique, le Washington Post a utilisé une photo de McCain s’exprimant aux côtés de Oleh Tyahnybok, célèbre leader néo-nazi ukrainien.



Tyahnybok, fasciste notoire, a entre autres appelé à combattre la soi-disant « mafia judéo-moscovite » sur la BBC le 26 décembre 2012. Le leader d’extrême-droite s’est élevé contre le rôle des « judéo-bolchéviques » dans l’histoire de son pays et estime qu’il existe encore aujourd’hui « une cabale/ un groupuscule d’oligarques juifs qui contrôlent l’Ukraine ». (citation extraite du Jewish Telegraphic Agency du 25 mars 2009).

John McCain a participé à des réunions avec Tyahnybok qui se tenait à ses côtés lorsque le sénateur a prononcé un discours en Ukraine fin 2013 comme le rapportait Business Insider à l’époque dans son édition du 16 décembre 2013. Selon la légende de l’image d’illustration choisie par le Washington Post, McCain « saluait les manifestants lors d’un rassemblement populaire de l’opposition à Kiev, le 15 décembre 2013 ». Mais le journal ne disait rien de l’homme qui se tenait aux côtés du sénateur de l’Arizona ni de ses positions politiques extrémistes, aux antipodes des droits de l’homme.

McCain s’était rendu dans ce pays d’Europe de l’est, accompagné par le sénateur Chris Murphy, pour saluer le mouvement d’opposition de droite d’alors. En février 2014, ce mouvement fut victorieux : le gouvernement ukrainien pro-russe démocratiquement élu fut renversé par un coup d’État dans lequel les mouvements fascistes jouèrent un rôle de premier plan. (se reporter au numéro de Fair paru le 7 mars 2014).

(…) [1]

Dédouaner un va-t-en-guerre

Fermant totalement les yeux sur les accointances de John McCain avec des figures comme Tyahnybok, les grands médias occidentaux n’ont, pour la plupart, pas ménagé leurs efforts pour dresser le portrait du belliciste infatigable que fut le sénateur républicain en héros supposé des droits de l’homme. Jugez plutôt :

_ - « Sénatrice K. Ayotte : McCain fut un champion des droits de l’homme » (CNN, le 26 août 2018)
- « John McCain, un franc-tireur dont on a beaucoup à apprendre » (Nicholas Kristof dans le New York Times, le 25/08/18)
- « John McCain, la conscience révolutionnaire de l’Amérique » (Eli Lake dans Bloomberg, le 28/08/18)
- « John McCain, le sénateur qui a mis les droits de l’homme et Israël au cœur de sa politique étrangère, meurt à 81 ans » (Jewish Telegraphic Agency, le 25/08/18)
- « Le diplomate John McCain sera irremplaçable selon ses collègues sénateurs » (Daily Beast, le 28/08/18)

Tous ces titres parlent d’un faucon néoconservateur adepte de la ligne dure qui a soutenu vaillamment l’invasion américaine illégale de l’Irak, qui a usé sans vergogne d’insultes racistes à l’encontre du peuple vietnamien et qui a milité ardemment en faveur d’une intervention militaire dans une bonne douzaine de pays. Il ne s’est par ailleurs jamais excusé pour les crimes de masse commis sur les civils en Asie du Sud-est pendant la guerre du Vietnam, auxquels il a pris part, préférant marteler que les Etats-Unis auraient dû bombarder de façon plus intense et moins ciblée. (Salon, le 4 juillet 2008).

Les organisations pour les droits de l’homme telles que Human Rights Watch et Human Rights First ne furent pas en reste : elles louèrent également le va-t-en-guerre conservateur, preuve que les discours droit-de-l’hommistes et les hautes sphères politiques, économiques et médiatiques dissimulent mal les intérêts américains en matière de politique étrangère.

McCain et les fascistes : suite…

En réalité, les liens qui unissent ce conservateur pur jus et les fascistes vont bien au-delà de la photo pour le moins maladroite choisie par le Washington Post.

En 2017, John McCain a ainsi accueilli un autre néo-nazi ukrainien dans son bureau, comme nous l’avons documenté avec Max Blumenthal sur Alternet le 23 juin 2017. McCain a tweeté une photo de sa rencontre avec Andriy Parubiy, fondateur du parti national-socialiste d’Ukraine, qui préside aujourd’hui le parlement ukrainien.

Malgré sa politique ouvertement fasciste, Parubiy peut s’enorgueillir de soutiens non seulement aux États-Unis mais aussi au Royaume-Uni.

Et ce n’est pas tout. En 2008, dans le Huffington Post, le journaliste Chip Berlet a détaillé la manière dont John McCain a siégé dans la commission consultative du Conseil américain pour la paix dans le monde, filiale américaine de la Ligue mondiale anti-communiste, groupe pro-fasciste.

Berlet observait alors que ce groupe conseillé par McCain « regroupait des conservateurs, des fascistes et des représentants des milices d’extrême-droite. » Il citait Geoffroy Stewart-Smith, homme politique britannique farouchement anti-communiste, qui décrivait la Ligue comme un « grand rassemblement de nazis, de fascistes, d’antisémites, de racistes brutaux, d’usurpateurs et autres opportunistes corrompus. »

Le soutien indéfectible de McCain pour les rebelles salafistes en Syrie suit le même schéma. Quelques mois à peine avant de faire son discours en Ukraine, McCain s’est rendu en Syrie où il a rencontré un leader rebelle qui a contribué au kidnapping d’une douzaine de pèlerins chiites libanais.

Le fait que de si nombreux grands médias puissent faire passer un belliciste de droite entretenant des liens avec les fascistes comme un « champion des droits de l’homme » et un « défenseur de la démocratie » témoigne des liens étroits entre les grands médias et les intérêts du gouvernement américain.

Lorsque Henry Kissinger, fort expérimenté en matière de crimes de guerre, reçut le prix Nobel de la paix, le musicien satiriste Tom Lehrer annonça la fin de sa carrière en plaisantant, déclarant que « la satire politique était désormais dépassée ».

La même conclusion s’impose lorsqu’un journal de référence illustre son hommage à un « champion » des droits de l’homme à l’aide d’une photo où l’on voit ce dernier prononcer un discours aux côtés d’un nazi.

Ben Norton (traduit par Thibault Roques)

P.S : Sans prétendre à l’exhaustivité, un rapide coup d’œil à la couverture de la disparition de John McCain par la presse française laisse penser que les journalistes hexagonaux ne sont pas allés chercher beaucoup plus loin que leurs confrères américains. Pour un pluralisme et une investigation dignes de ce nom, encore un effort !





 
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Notes

[1Nous concentrant sur la dimension médiatique, nous avons volontairement écarté quelques paragraphes éloquents sur le « parcours » de Oleh Tyahnybok que l’on pourra lire en anglais ici.

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