Accueil > Critiques > (...) > Secteur public : Des programmes de "Service public" ?

JT de l’été : comparaison fragmentaire entre TF1 et France 2

par Jamel Lakhal, Johann Colin,

Quelles sont les différences entre les JT de TF1 et les JT de France 2 ? Une comparaison estivale et fragmentaire permet de se faire une première idée, en attendant les comparaisons plus étendues que nous allons proposer.

Comme chaque été, en l’absence d’évènements majeurs, les JT des deux chaînes ronronnent doucement pour accompagner les vacanciers dans leur transhumance annuelle et reposer ceux qui ne partent pas : faits divers, infos sensationnelles et promotion du terroir. Vacances certes, mais pas pour tout le monde. Le travail de « pédagogie », lui, n’a pas droit au farniente, surtout quand il s’agit d’accompagner les « réformes ».

Un été sur France 2 : La course à l’audimat

La méthode Jean-Pierre Pernaut semble faire des émules (13H - TF1). Ouverture sur la météo, faits divers au kilomètre [1], sujets politiques au compte-goutte [2], la recette a un franc succès en termes d’audience. De quoi susciter la jalousie des responsables de la rédaction de France 2 décidée à rivaliser avec Jean-Pierre Pernaut sur son propre terrain avec ses propres armes. Mais les résultats ne suivent pas, comme le souligne le Canard Enchaîné du 5 septembre 2007 : « Ses grand-messes du 13 heures et du 20 heures plafonnent à 22% de part d’audience (avec de jolis plongeons jusqu’à 11% à la mi-journée), tandis que celles de TF1 oscillent entre 40% et 56% ».

C’est la crise à France 2. La société des journalistes proteste ouvertement au sujet de la qualité déplorable des journaux télévisés de la chaîne et Laurent Delahousse aurait signifié son intention d’abandonner la présentation des JT en raison de l’ambiance régnant dans la rédaction. Arlette Chabot directrice de l’information, ne se laisse pas atteindre. Elle réagit en nommant « un nouveau rédacteur en chef du 20 heures (Thierry Thullier) et promet plein de sujets sur "l’Europe et l’environnement" » tout en déclarant au Monde : « Désormais, nous allons mettre le paquet et cela va se voir très rapidement à l’antenne » (Le Canard Enchaîné, le 29 août 2007).

Ce qui s’est vu pendant tout l’été ? Le 30 juillet, la mort de Michel Serrault qui occupe près de 21 minutes du JT, alors que le projet de loi sur le service minimum dans les transports publics doit se contenter de 2 minutes. Les cheminots auraient sans doute dû jouer dans « La cage aux folles »… « Entre le 11 et le 21 août, par exemple, sur onze heures et demi d’infos, près de trois heures trente (soit un tiers) ont été consacrées aux faits divers, presque systématiquement en ouverture. » Le 14 août, pas un mot sur les mauvais chiffres de la croissance au 20 heures. Le 16 août au 20 heures, Françoise Laborde préfère ne pas questionner son invitée Christine Lagarde, la Ministre de l’Economie, sur la nouvelle du jour : la censure par le Conseil constitutionnel du crédit d’impôt sur les intérêts immobiliers. Le « sujet » est expédié séparément en 16 secondes. Le 31 août, « plus d’une heure et demi [est consacrée à la diffusion en direct] de la messe donnée en hommage à feu la princesse lady Di » (Le Canard Enchaîné du 5 septembre). Le 13 heures a dû être décalé à 14h15.

La période des vacances une fois terminée, les responsables de la rédaction de France 2 ont-ils repris leurs esprits ? Pas du tout, ou plutôt pas encore. Le 3 septembre au 20 heures, ouverture sur les inondations en Grèce. Le 6 septembre, ouverture sur la mort de Luciano Pavarotti au 13 heures et au 20 heures, à raison de 4 sujets matin et soir, de plus de 7 et de 8 minutes pour chaque traitement [3]. Les sujets du soir sont suivis des dernières nouvelles sur les efforts de recherche de Steve Fossett. Le 7 septembre au 20 heures, ouverture sur la Coupe du Monde de rugby avec 4 sujets de plus de 5 minutes…

Eh bien, dansez maintenant !

Sur la même période, quand France 2 daigne s’intéresser aux questions sociales, la différence de traitement avec la chaîne du groupe Bouygues n’est pas non plus évidente. Illustration avec le thème du temps de travail.

Le 10 juillet 2007, une fable nous est contée par TF1 dans son journal de 20h présenté par Patrick Poivre D’Arvor. Elle pourrait s’intituler : La Cigale Française et la Fourmi Norvégienne.

Premier épisode : la Cigale Française. A l’occasion de l’examen par le Parlement du projet de loi sur le travail, l’emploi, et le pouvoir d’achat, un sujet est consacré aux heures supplémentaires en France. Denis Cadeau, reporter, présente ainsi les choses : « C’était l’une des promesses phares de la campagne de Nicolas Sarkozy : permettre aux salariés de travailler plus pour gagner plus. Un slogan qui va devenir réalité à partir du 1er octobre avec des heures supplémentaires exonérées de charges sociales, et qui ne seront pas soumises à l’impôt sur le revenu. C’est une façon d’inciter les français à travailler un peu plus longtemps sans toucher aux 35 heures. Car aujourd’hui, 37 % seulement des salariés font des heures supplémentaires (...) Mais en moyenne, les salariés français ne font que 55 heures d’heures (sic) supplémentaires par an contre 220 heures de maximum autorisé ».

37 % « seulement » ! Et qui ne font que 55 heures supplémentaires ! Excusez du peu. Pour TF1, les heures supplémentaires sont un dispositif qu’il convient d’exploiter à fond : 55 heures par an, c’est 165 heures de pas assez ! En attendant mieux... Mais au fait, parle-t-on d’heures supplémentaires réelles ou déclarées ? Peu importe, ce qu’on retiendra est que le manque à gagner pour le patron est énorme. Heureusement, TF1 est là pour « inciter les français à travailler un peu plus longtemps ». Bien sûr, toutes les personnes interviewées lors du reportage (un technicien et une directrice générale) vont dans le même sens. Quand il s’agit de chasser la cigale, on ne ménage pas sa peine...

Deuxième épisode : la Fourmi Norvégienne. Comme beaucoup de médias, TF1 affectionne particulièrement le « modèle scandinave ». Nous partons cette fois-ci pour la Norvège où, nous explique PPDA, « le marché de l’énergie représente une formidable manne financière, et grâce à cela, ce pays s’est construit un modèle social unique au monde » [4]. Le reportage de Delphine Kluzek commence par nous allécher : 15 jours de travail puis 4 semaines de repos, salaires de 8000 euros par mois... Un véritable paradis sur terre... Si l’on peut dire, car il s’agit en fait des conditions très particulières des techniciens de plates-formes pétrolières (ou gazières, on ne comprend pas très bien) off-shore.

Le reportage laisse pourtant entendre que c’est le lot quotidien de tous les Norvégiens : « Depuis 30 ans, l’exploitation des hydrocarbures a fait des Norvégiens des citoyens parmi les plus riches du monde. Le Produit National Brut, c’est-à-dire la richesse par habitant, dépasse aujourd’hui les 32 000 euros, c’est quasiment 50% de plus qu’en France. A Stavenger où sont installées toutes les compagnies pétrolières, le chômage, ça n’existe pas ». Delphine Kluzek nous dévoile alors le secret d’une telle réussite : « A la différence des émirs du golfe, ceux qu’on appelle les cheiks aux yeux bleus ne flambent pas leur pactole. Depuis 10 ans, le gouvernement place toutes les recettes fiscales tirées de l’or noir dans un fonds destiné à financer les retraites du futur : 250 milliards d’euros investis en actions dans 3500 sociétés sur toutes les places boursières du monde ». Autrement dit, les retraites des Norvégiens sont financées par des fonds de pension.

Delphine Kluzek conclut, tout sourire : « Dès l’an prochain, les richesses de ce fonds de pension pourraient dépasser le revenu national brut de la Norvège, c’est-à-dire la totalité de ses ressources annuelles. Et grâce à la gestion prudente de cette formidable cagnotte pétrolière, le modèle social norvégien est sans doute pour longtemps un 5 étoiles comparé à la plupart des systèmes européens ». Comme celui des français, qui ont flambé leur pactole dans un système de retraite par répartition ? Moralité : Cigale Française, tu sais ce qu’il te reste à faire : suis l’exemple de la Fourmi Norvégienne, va travailler, et place ton argent dans des fonds de pension étrangers.

L’air du temps

Travailler plus, donc, et même (surtout) le dimanche. Comme sa jumelle privée (vraie ou fausse, c’est là, semble-t-il, la seule incertitude qui demeure), France 2 fait œuvre de pédagogie auprès des téléspectateurs. « L’ouverture dominicale des magasins, on en reparle aujourd’hui, se réjouit ainsi Olivier Galzi (France 2, 13h, le 19 juillet 2007) avec une situation particulièrement complexe à Plan de Campagne dans les Bouches-du-Rhône. C’est la plus grande zone commerciale de France, et elle est en passe de devenir un symbole de la lutte contre le travail le dimanche ». En fait, la situation n’a rien de complexe : un centre commercial viole la loi en ouvrant ses magasins le dimanche, et France 2, farouche défenseur du shopping dominical, vole à son secours.

Le reportage de Stéphane Depinoy tient lieu d’argumentaire en faveur de l’ouverture dominicale. Et surtout contre les syndicats : « En ligne de mire, les syndicats qui bataillent pour la fermeture dominicale. (...) Pour les salariés, la bataille judiciaire est donc comme une épée de Damoclès ! ». Des salariés, tous favorables au travail le dimanche, sont donc interviewés, ainsi qu’un commerçant accusant les syndicats de vouloir « faire fermer des enseignes 2 par 2, 3 par 3 », et une cliente (dont Stéphane Depinoy nous assure que « la plupart soutiennent l’ouverture des magasins le dimanche », sans qu’on sache d’où il tient cette information) qui résume : « Je trouve que les syndicats, à ce niveau-là, ils devraient pas trop s’en mêler ! ». Ils ne se seront en tout cas pas mêlés du reportage, puisqu’une fois de plus France 2 n’a pas jugé utile de leur donner la parole, pas plus qu’à aucun opposant à l’ouverture dominicale des commerces [5].

C’est que l’heure est grave : « Quatre grandes enseignes viennent d’être condamnées à respecter le repos du dimanche sous peine d’astreinte : 5 000 € par salarié », s’indigne Stéphane Depinoy. Condamnées à respecter la loi, quelle injustice ! Comme l’annonçait Olivier Galzi en introduction du sujet, « pour l’heure, les syndicats ont gagné la première manche, judiciaire ». « Pour l’heure » seulement, comme si on attendait une revanche. Car quand la loi est mauvaise, il n’y a qu’à la changer. Stéphane Depinoy se réjouit ainsi : « De nouvelles dérogations ne seraient pas impossibles, en attendant le futur texte de loi sur le travail dominical prévu fin 2007 ». Chic, une réforme, aurait-il pu ajouter. Et pour que celle-ci soit à la hauteur de leurs plus folles espérances, les médias ne se doivent-ils pas de sensibiliser l’opinion ? France 2 ne ménage pas sa peine en la matière, elle qui a déjà consacré plusieurs reportages tout aussi impartiaux sur le sujet (avec déjà le bon soldat Stéphane Depinoy) [6].

Réduire un problème social général, comme celui que soulève le travail du dimanche, aux intérêts (compréhensibles) des clients… ou célébrer le « bonheur inespéré » de quelques bénéficiaires de l’assouplissement de la carte scolaire, comme si le problème pouvait être traité à partir de leur (compréhensible) satisfaction : c’est la même logique de dépolitisation qui est à l’œuvre dans les JT de France 2.

La chaîne, en effet, n’a pas attendu le mois de septembre pour préparer la rentrée. Le 24 juillet, au journal de 13h, Olivier Galzi annonce : « Conséquence de l’assouplissement de la carte scolaire, il y a eu cette année 25 % de demandes en plus pour changer son enfant d’établissement. Les chiffres seront communiqués demain mais nous nous les sommes procurés et, première bonne nouvelle  : les demandes de changement pour la prochaine rentrée en 6ème ou en seconde seront satisfaites à 80% ». L’« assouplissement » de la carte scolaire, loin d’être une mesure discutable donnant lieu à débat, est donc d’abord pour France 2 une « bonne nouvelle ».

Le reportage qui suit s’efforce de nous en convaincre. « Madame Françoise Anne est une mère comblée : son fils Nicolas changera bien d’établissement à la rentrée », nous explique le journaliste qui s’est penché pour l’occasion sur le cas particulier d’une famille demandeuse. Il poursuit : « Un bonheur inespéré. Il y a un mois, c’est une famille au bord de la crise de nerfs qu’avait rencontrée l’inspecteur d’académie ». « Mère comblée », « bonheur inespéré », « crise de nerfs », le tout sur fond d’images alternant la joie de la famille et la dispute avec l’inspecteur d’académie : tout est fait pour jouer sur l’émotionnel et pour évacuer le débat.

Viennent enfin quelques chiffres. Qu’en est-il des 80 % de demandes satisfaites évoquées par Olivier Galzi ? « Sur l’ensemble de la France, 68500 demandes ont ainsi été enregistrées, dont 13500 rentrant dans les nouveaux critères fixés pour la rentrée 2007. 80% des demandes ont pu être satisfaites  ». Ce sont donc 80 % des demandes «  rentrant dans les nouveaux critères  » uniquement qui ont été satisfaites, critères dont on ne saura rien par ce reportage. Tout juste celui-ci avoue-t-il que « selon le ministère de l’éducation nationale, les établissements les plus boudés n’ont perdu que 30 à 40 élèves, mais il s’agit souvent de leurs meilleurs éléments ». C’est dit bien tard et bien rapidement (c’est sur ces mots que se termine le sujet). Mais qu’importe : l’assouplissement de la carte scolaire n’est-il pas « un bonheur inespéré » ?

Bref, les JT du service public sont au service non de l’information de tous les publics, mais de la satisfaction partagée avec certains d’entre eux. Une télévision de consommateurs…

Le 19 juillet, l’un des commerçants de Plan de Campagne, en guise d’argument, déclarait plein d’espoir : « On est dans l’air du temps ». En effet... Et on dit merci qui ?

Johann Colin et Jamel Lakhal

NB  : Ces quelques éléments de comparaison entre les JT des deux chaînes ne sont qu’indicatifs. Certes, l’étude comparative des temps de parole politiques, publiée ici même (« La politique et le pluralisme à la télévision à l’épreuve des chiffres du CSA »), met en évidence une différence quantitative notable entre les chaînes publiques et les chaînes privées. Ainsi, sur la période 2001-2005, nous notions que « les deux principales chaînes publiques (France 2 et France 3) concourent pour plus de 70% à la parole politique, tandis que la contribution des trois chaînes privées hertziennes (TF1, Canal+ et M6) ne dépasse pas les 30%. » Mais qu’enseigne une approche à la fois quantitative et qualitative, non seulement des JT et des émissions politiques, mais de l’ensemble des programmes ? Nous en reparlerons.

 
Acrimed est une association qui tient à son indépendance. Nous ne recourons ni à la publicité ni aux subventions. Vous pouvez nous soutenir en faisant un don ou en adhérant à l’association.

Notes

[2Pour se faire une idée sur la façon dont il traîte les sujets politiques, lors des rares occasions où il se sent obligé de le faire, lire :« Journalisme politique ? Le questionnaire de Jean-Pierre Pernaut aux candidats ».

[3En général, les JT font une place à la culture quand des personnalités de la culture décèdent… ou, en fin de journal, pour des exercices de promotion.

[4Cette phrase aurait pu s’appliquer mot à mot à un autre pays : le Venezuela. Mais aux yeux des tenanciers des médias, pour ce pays, l’usage de la « formidable manne financière » pour le financement d’un certain nombre de programmes sociaux (éducation, santé, …) ne crée pas « un modèle social unique au monde » mais un populisme irresponsable et dangereux.

[5En général, dans les médias dominants, « n’émerge que trop rarement une parole vive, claire et pourvue d’arguments » du côté des mobilisations sociales. Sur ce point, on peut se reporter à Henri Maler et Mathias Reymond, Médias et mobilisations sociales – La morgue et le mépris  ?, Syllepse, 2007, p. 103 et le reste du chapitre III, « Les grognements du peuple ».

A la une