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Etats généraux de la création audiovisuelle (3)

Intervention de Jean-Pierre Marchand aux Etats généraux

au nom de la Société des Réalisateurs de Films (SRF)
par Jean-Pierre Marchand,

Au cours des Etats Généraux de la création audiovisuelle (Théatre National de Chaillot - 20 mars 2000) - dont nous publions par ailleurs la résolution finale et le dossier préparatoire, Jean-Pierre Marchand, intervenant au nom de la SRF, présente une analyse et des propositions qui sont aussi celles des initiateurs de la lettre ouverte au gouvernement et aux parlementaires - « Dis-moi qui te paie, je te dirai qui tu es » - à laquelle Acrimed a apporté sa contribution.

Intervention de Jean-Pierre Marchand, au nom de la SRF


L’idée en est venue, il y a 12 ans à des responsables politiques, de droite et de gauche, ils se sont passé le relais. L’idée est venue que les merveilleux mécanismes de régulation du marché pouvaient bien s’appliquer à l’Audiovisuel. Ils ont vendu TF1 au mieux disant.

Après tout, informer, cultiver, distraire, c’est à la portée de toutes les compétences. À quoi bon se compliquer la vie en chargeant l’Etat de cette mission ? Etc... On connaît le discours néo-libéral.

Il s’est trouvé par ailleurs, des gens pour considérer la production et la diffusion de messages et d’œuvres comme une affaire, un business, pour parler français.

On les appelle des opérateurs.

Certains vendent leurs programmes à des spectateurs. C’est le système du péage. Correct.

D’autres ne vendent pas leurs programmes à des spectateurs. Ils vendent leurs spectateurs aux annonceurs publicitaires.

À des gens qui ont pour objectif non d’aider les citoyens à échanger leurs idées, comprendre le monde où ils vivent, se reconnaître et assumer leurs différences, découvrir, en spectateurs d’œuvres infiniment différentes, ce que, dans son opacité, la vie quotidienne leur masque, en un mot à se cultiver.

Mais à des gens qui ont pour objectif de vendre leurs produits par tous les moyens, y compris celui qui consiste à séduire par les méthodes les plus viles, le public le plus large, celui qu’on a défini comme le plus petit commun dénominateur.

Et même, plus simplement, de faire admettre comme naturel le type de relations humaines le plus favorable au développement du commerce.

On aurait pu croire que, même amputé de sa chaîne emblématique, la survie d’un système de Service Public allait permettre de satisfaire d’autres objectifs.

Mais le type de financement retenu, une redevance dont le taux s’est résolument maintenu à l’abri des fluctuations du coût de la vie pour laisser place à la déferlante publicitaire, consacre l’anéantissement d’un service public régulateur, et pèse d’un poids décisif sur la conscience des citoyens.

Et nous ne vivons pas une époque où la qualité de citoyen peut être prise à la légère.

Au point où nous en sommes, l’état des lieux est fait. Les mécanismes sont connus. On ne peut pas dire que les responsables des chaînes de Service Public manquent d’intelligence ou d’ambition : ils n’ont pas les moyens de les satisfaire.

On ne peut pas dire qu’il manque d’auteurs, scénaristes et réalisateurs, qui, dans leur infinie diversité soient capables d’offrir au public dans son infinie diversité ce qu’il attend et ce qu’il n’attend pas et ce qu’il va découvrir. Ce que l’un va acclamer, l’autre rejeter. De quoi rire, de quoi pleurer, de quoi parler.

IL FAUT APPRENDRE À RESPECTER LE PUBLIC.

Alors pourquoi condamner ce qui nous reste de chaînes investies d’une responsabilité publique à un système de financement qui nie cette évidence ?

Depuis des mois, un projet de loi sans ambition use ses fonds de culotte sur les banquettes du Parlement et les fauteuils des ministères.

Il ne peut y avoir de demi-mesure.

Il faut savoir que la moindre part du financement réservée aux annonceurs leur permettra d’infléchir le programme dans le sens qui leur convient. Il faut vouloir qu’un ensemble de chaînes de Service Public, mettant en œuvre une politique de programmes cohérente, serve de modèle aux opérateurs privés.

Qui ne sont pas des imbéciles.

Et qui sauront s’en inspirer.

Il faut supprimer toute trace de financement publicitaire direct des chaînes de Service Public.

Il faut du courage, mesdames et messieurs qui dirigez la politique de notre pays.

Qui n’est pas sans influence sur celle de l’Europe à qui nous avons déjà montré la voie.

Mais la politique, c’est des combines ou du courage. Pour changer le cours des choses, il faut une volonté politique. C’est la prise de conscience et la pression de la société civile qui peuvent créer les conditions de cette volonté politique.

La télévision publique ne retrouvera sa vocation que si l’on met en œuvre une stratégie de rupture dont le premier acte doit être la réforme de son mode de financement.

Cette réforme entraînera une redéfinition claire des espaces publics et privés et permettra à chacun, dans l’ensemble assaini de l’audiovisuel, d’accomplir ses missions et de tenir son rôle.

Le changement de direction doit s’accompagner d’un ensemble de mesures clair, symbolique, simple dans son application, efficace et équitable, lisible pour l’opinion publique, et surtout progressif dans son évolution et ses résultats :

1. SUPPRESSION DE LA PUBLICITÉ sur F2, F3, La Cinq (abandon de cinq milliards de recettes publicitaires qui retourneront sur l’ensemble du marché de la publicité, média et hors media, de façons différentes)

2. EN CONTREPARTIE, création d’une CONTRIBUTION CULTURE ET COMMUNICATION, applicable à l’ensemble du marché de la publicité (média et hors media), de façon modulée en pourcentage suivant les secteurs, et qui permettrait de retrouver le financement abandonné.

Elle sera directement affectée à la T.V. publique et ne tombera pas dans le budget général.

Cette taxe aurait le grand avantage d’indexer les ressources de la T.V. publique sur l’évolution du marché de la publicité. Elle aurait donc le même référent que les T.V. commerciales.

La T.V. publique retrouverait sa liberté en termes de programmation, et de création, avec l’assurance de ressources qui ne seraient pas liées au bon vouloir des parlementaires et du gouvernement et n’exigerait pas une augmentation brutale de la redevance.

Cette proposition a déjà été avancée il y a douze ans par un groupe de travail qui rassemblait sociologue, publicitaire, juriste, spécialiste des finances, réalisateur de télévision (Pierre Bourdieu, Ange Casta, Max Gallo Claude Marti, Jean Martin, Christian Pierret). La presse et les radios s’en sont largement fait l’écho. Elle a failli déboucher sous le gouvernement de Michel Rocard qui avait donné son accord. Elle a été écartée à la suite de pressions très fortes...

On mesure aujourd’hui ce que seraient les ressources de la T.V. publique puisque, à pourcentage constant, elle se calculerait non plus sur les 45 Milliards de 1988, mais sur 200 Milliards.

NOTES
(1) Ressources 1999 : Groupe TF1, 13,2 Milliards - France 2, 5,5 Milliards (Redevance + pub)
(2) 1999 En France, les chaînes de T.V. Publiques et commerciales ont diffusé plus de 3.000 heures de publicité au travers de 480.000 spots publicitaires. (Sources SOCODIP et IREP). Le marché de la publicité qui s’élevait déjà à 45 Milliards en 1988 frôle aujourd’hui les 200 Milliards.

 
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