Ce rapport, dont nous publions un extrait là-bas, dresse un panorama historique, règlementaire et technique de la TNT ; il revient également sur le rôle de l’Arcom et sur la procédure d’attribution des fréquences. Si sa lecture ne nous semble pas superflue, nous nous contenterons, ici, de nous concentrer sur les 47 propositions qui y sont formulées. [3]
Renforcement des pouvoirs de l’ARCOM
« Régulateur faible qui peine à préserver un paysage médiatique diversifié et respectueux de la bonne tenue du débat démocratique », l’Arcom (ex-CSA) est au cœur du débat. Plusieurs propositions visent donc :
– À faire en sorte que des sanctions arrivent plus rapidement (proposition n°35) ;
– À faire en sorte que les sanctions soient plus importantes (propositions n°36 et 38) ;
– À élargir le périmètre de contrôle et de sanction, notamment la « représentation de la diversité de la société » (proposition n°6) et la « juste représentation des femmes » (proposition n°5), le respect du « principe de laïcité, incompatible avec la diffusion d’émissions à caractère religieux » et du « principe d’une réfutation des théories pseudo-scientifiques » (proposition à titre personnel du rapporteur n°VIII)
Pour cela, deux propositions visent à donner des moyens à l’Arcom :
– Renforcement des effectifs (proposition n°23)
– Octroi d’un « pouvoir d’enquête sur pièces et sur place pour constater le fonctionnement et l’indépendance des rédactions » (proposition n°32)
Indépendance des rédactions
Cette proposition s’inscrit dans une volonté portée par le rapporteur de donner plus de pouvoir aux journalistes :
– Mettre en place un agrément des journalistes sur la nomination du directeur de la rédaction (proposition à titre personnel du rapporteur n°VI)
– « Attribuer à la rédaction des chaînes un droit d’opposition sur les décisions ayant des conséquences directes sur le contenu éditorial de l’information » (proposition à titre personnel du rapporteur n°IX)
La commission d’enquête formule aussi une proposition visant à remplacer l’obligation de mettre en place un comité d’éthique [4] par un renforcement des prérogatives « des institutions représentatives du personnel, des syndicats, des sociétés de journalistes et du Conseil de déontologie journalistique et de médiation » (proposition n°28).
Renforcer le pluralisme
Le contexte autour de cette commission d’enquête a aussi été marqué par une décision du Conseil d’État rendue en février : « Saisi par l’association Reporters sans frontières, le Conseil d’État juge que, pour apprécier le respect par une chaîne de télévision, quelle qu’elle soit, du pluralisme de l’information, l’Arcom doit prendre en compte la diversité des courants de pensée et d’opinions représentés par l’ensemble des participants aux programmes diffusés, y compris les chroniqueurs, animateurs et invités, et pas uniquement le temps d’intervention des personnalités politiques. » Plusieurs propositions du rapport de la commission d’enquête tentent d’y répondre, plus ou moins directement, que ce soit en standardisant l’affichage relatif aux intervenants (proposition n°13), en prenant en compte les émissions d’infotainment (proposition n°12), en inscrivant dans les conventions « la part de chiffre d’affaires et le temps d’antenne à consacrer à la recherche et à la présentation des faits d’actualité » (proposition n° 14), en mettant en place des indicateurs (proposition n°30), en rendant « obligatoire l’expression pluraliste et l’équité des temps de parole par tranche horaire » (proposition n°27) ou en « renonçant à la fonction d’éditorialiste » (proposition à titre personnel du rapporteur n°III).
La question majeure étant celle de la redéfinition des modalités d’attribution et de reconduction des fréquences, plusieurs propositions s’y attèlent (notamment les propositions n°16, 17, 18, 20 et 21). La proposition n°15 qui, vise à « faire du respect par les éditeurs de leurs obligations prévues par la loi ou leur convention un critère essentiel lors de l’attribution ou de la reconduction », doit se lire en parallèle de la proposition n°38 : « Prévoir que la réitération du non-respect des obligations légales ou conventionnelles par un éditeur doit entraîner le retrait de l’autorisation d’émettre qui a été délivrée. » C’est depuis ce point de vue qu’Aurélien Saintoul écrit que « compte tenu du nombre des rappels à l’ordre dont elles ont fait l’objet et de leur incapacité avérée à assurer constamment la maîtrise d’antenne à laquelle la loi les oblige, il ne comprendrait pas que les chaînes CNews et C8 puissent se voir en l’état renouveler leurs autorisations de diffusion. »
Faut-il s’attendre à ce que ces propositions – qui vont, pour une grande partie d’entre elles, dans la bonne direction – soient prises en compte d’une façon ou d’une autre ? Et que soient favorisés « la diversité de l’offre et les nouveaux entrants », comme l’appelle la proposition n°17 ? Prochaine étape en juillet, puisque l’Arcom va procéder aux auditions des candidats aux fréquences TNT. Quoi qu’il en soit, la commission d’enquête aura au moins permis de mettre sur le devant de la scène politique et médiatique la question de l’attribution des fréquences et du (non-)respect des conventions. Un enjeu loin d’être nouveau.
Elvis Bruneaux
Annexe : les propositions en intégralité
Propositions du rapporteur Proposition n° 1 : Défendre dans les instances internationales et européennes l’affectation de la bande 600 MHz à la TNT, afin de préserver cet usage après 2031.
Proposition n° 2 : Actualiser et élargir la liste des événements sportifs et culturels d’importance majeure et réserver leur diffusion en clair aux seules chaînes de la TNT.
Proposition n° 3 : Prévoir que l’application de visibilité des chaînes de la TNT sur les écrans connectés garantisse l’anonymat des utilisateurs et l’absence de recueil de leurs données personnelles.
Proposition n° 4 : Renoncer à l’ouverture des secteurs interdits de publicité télévisée, ainsi qu’au développement de la publicité segmentée sur la TNT.
Proposition n° 5 : Donner à l’Arcom le pouvoir de sanctionner le manque de représentation de la diversité de la société française.
Proposition n° 6 : Inscrire dans la loi l’obligation de progrès des chaînes de la TNT dans la juste représentation des femmes et de la diversité, sous le contrôle de l’Arcom.
Proposition n° 7 : Demander à l’Arcom de mener, en partenariat avec l’Ina, une étude sur l’évolution historique de la classification des programmes étant soumis à la signalétique jeunesse.
Proposition n° 8 : Soumettre la diffusion des programmes jeunesse à une obligation plus stricte d’alternance d’œuvres de fiction et d’émissions éducatives et inviter l’Arcom à réaliser une étude et à produire des normes sur le contenu et le rythme des programmes destinés à la jeunesse.
Proposition n° 9 : Interdire les messages publicitaires destinés explicitement aux enfants de moins de 12 ans.
Proposition n° 10 : Faire progresser de manière quantitative et qualitative les obligations d’accessibilité des programmes aux personnes malentendantes et malvoyantes, à commencer par ceux de La Chaîne parlementaire.
Proposition n° 11 : Favoriser la production de programmes originaux alternatifs en mettant en place des circuits de financement publics et privés alternatifs.
Proposition n° 12 : Classer les programmes d’infotainment comme une sous-catégorie des programmes d’information politique et générale.
Proposition n° 13 : Fixer des normes de présentation des personnes intervenant à l’antenne et de leurs engagements politiques, en application de la décision du Conseil d’État du 13 février 2024.
Proposition n° 14 : Préciser dans les conventions des chaînes se présentant comme d’information la part de chiffre d’affaires et le temps d’antenne à consacrer à la recherche et à la présentation des faits d’actualité.
Proposition n° 15 : Faire du respect par les éditeurs de leurs obligations prévues par la loi ou leur convention un critère essentiel lors de l’attribution ou de la reconduction d’une autorisation d’émettre sur la TNT.
Proposition n° 16 : Prévoir qu’une chaîne qui n’aurait pas atteint les objectifs économiques et opérationnels prévus par le plan d’affaires annexé à son dossier de candidature ne peut voir son autorisation renouvelée sans une mise en concurrence.
Proposition n° 17 : Revoir la procédure d’appel à candidatures et les critères de manière à favoriser la diversité de l’offre et les nouveaux entrants, dans le cadre d’un dialogue compétitif ouvert et transparent entre l’Arcom et les candidats.
Proposition n° 18 : Mettre en place dans les dossiers de candidature un engagement social, permettant à un candidat à l’attribution d’une autorisation d’émettre de s’engager à reprendre une partie définie des salariés et sous-traitants du titulaire précédent évincé.
Proposition n° 19 : Limiter la possibilité de négocier au sein des conventions les engagements pris dans le cadre du dossier de candidature remis initialement par le candidat.
Proposition n° 20 : Rendre un caractère obligatoire au respect des obligations originales des conventions jusqu’à l’expiration ou à la remise de l’autorisation d’émettre, même en cas de modifications tendancielles des conditions économiques.
Proposition n° 21 : Faire des engagements en matière sociale (masse salariale, conditions d’emploi, conditions de travail, relations avec les fournisseurs) un critère de choix des candidats et d’obligations chiffrées au sein des conventions, dont l’Arcom devra assurer le contrôle avec des moyens d’enquête adaptés.
Proposition n° 22 : Renforcer la transparence de l’action du collège de l’Arcom en publiant tous les contacts existants entre ses membres et les éditeurs et en établissant des comptes rendus intégraux des réunions, notamment pour des décisions affectant l’attribution des autorisations d’émettre et la conclusion ou la modification des conventions.
Proposition n° 23 : Poursuivre le renforcement des effectifs de l’Arcom afin de lui permettre d’exercer pleinement les missions confiées par le législateur et les règlements européens.
Proposition n° 24 : Confier à l’Arcom une étude sur la stratégie des chaînes sur les réseaux sociaux.
Proposition n° 25 : Refondre les règles de lutte contre la concentration des acteurs dans le domaine des médias sur la base de seuils définis par le législateur et d’une analyse à la fois transversale et multicritères visant essentiellement à préserver le pluralisme des acteurs.
Proposition n° 26 : Tout en conservant l’interdiction de cession du contrôle d’une société détenant une autorisation d’émettre durant les cinq premières années, élargir l’assiette et augmenter le taux de la taxation des plus-values réalisées à l’occasion de la cession du contrôle d’une telle société.
Proposition n° 27 : Rendre obligatoire l’expression pluraliste et l’équité des temps de parole par tranche horaire.
Proposition n° 28 : Mettre fin à l’obligation de constituer un comité relatif à l’honnêteté, à l’indépendance et au pluralisme de l’information et des programmes, au profit d’un renforcement des capacités d’agir en matière de déontologie des institutions représentatives du personnel, des syndicats, des sociétés de journalistes et du Conseil de déontologie journalistique et de médiation.
Proposition n° 29 : Fonder les garanties reconnues aux journalistes sur des chartes éthiques nationales ou internationales plutôt que sur des chartes négociées au sein de chaque média.
Proposition n° 30 : Mettre en œuvre la décision du Conseil d’État du 13 février 2024 en exigeant des éditeurs que l’ensemble des courants de pensée et d’opinion puissent être représentés à l’antenne sur chaque sujet du débat politique et de société, au moyen d’indicateurs contrôlés par l’Arcom.
Proposition n° 31 : Prévoir que chaque média d’information soit doté d’une charte définissant sa ligne éditoriale.
Proposition n° 32 : Doter l’Arcom d’un pouvoir d’enquête sur pièces et sur place pour constater le fonctionnement et l’indépendance des rédactions.
Proposition n° 33 : Refondre la loi du 30 septembre 1986 dans un code de la communication numérique ayant vocation à élargir les règles applicables à l’ensemble des médias en ligne.
Proposition n° 34 : Supprimer le principe de la caducité des mises en demeure adressées aux éditeurs des chaînes de la TNT au bout de cinq ans.
Proposition n° 35 : Mettre fin à la pratique de l’Arcom d’envoyer une lettre de rappel à la réglementation ou une lettre de mise en garde, au profit d’une mise en demeure puis d’une sanction en cas de non-respect par l’éditeur de ses obligations légales ou d’une obligation prévue par un même chapitre de sa convention.
Proposition n° 36 : Permettre à l’Arcom de prononcer des amendes pouvant allant jusqu’à 10 % du chiffre d’affaires en cas de manquements répétés d’un éditeur à ses obligations légales ou conventionnelles.
Proposition n° 37 : Limiter l’office du Conseil d’État chargé de se prononcer sur les recours contre les décisions du CSA à celui de l’excès de pouvoir en cas d’erreur manifeste d’appréciation.
Proposition n° 38 : Prévoir que la réitération du non-respect des obligations légales ou conventionnelles par un éditeur doit entraîner le retrait de l’autorisation d’émettre qui a été délivrée.
Propositions à titre personnel du rapporteur Proposition à titre personnel du rapporteur n° I : Interdire la diffusion de programmes jeunesse les matins avant l’école, ou à défaut, obliger les chaînes à afficher un message sanitaire de prévention durant l’intégralité des programmes concernés.
Proposition à titre personnel du rapporteur n° II : Assurer une source de financement dynamique, spécifique, universelle et progressive comme la contribution à l’audiovisuel public et préserver les identités des sociétés le composant en renonçant au projet de rapprochement au sein d’une même holding.
Proposition à titre personnel du rapporteur n° III : Dans les programmes des chaînes d’information, renoncer à la fonction d’éditorialiste, intrinsèquement liée à la presse écrite d’opinion, au profit d’experts disposant de compétences et titres pour analyser les faits.
Proposition à titre personnel du rapporteur n° IV : Acter la fin de la TNT payante et prévoir la possibilité pour l’Arcom de ne pas réattribuer les cinq fréquences correspondantes.
Proposition à titre personnel du rapporteur n° V : Soumettre la délivrance de l’autorisation d’émettre sur la TNT à une redevance annuelle pour occupation du domaine public assise sur le chiffre d’affaires des éditeurs concernés.
Proposition à titre personnel du rapporteur n° VI : Insérer dans les conventions des chaînes proposant des émissions d’information des garanties en matière d’indépendance des rédactions vis-à-vis des intérêts et des interventions de l’actionnaire, notamment en prévoyant l’agrément du directeur de la rédaction proposé par l’éditeur.
Proposition à titre personnel du rapporteur n° VII : Élargir la composition du collège de l’Arcom en prévoyant d’y faire figurer deux députés de l’opposition.
Proposition à titre personnel du rapporteur n° VIII : Prévoir dans la loi du 20 septembre 1986 l’obligation pour les éditeurs de chaînes sur la TNT de respecter le principe de laïcité, incompatible avec la diffusion d’émissions à caractère religieux ; prévoir de faire respecter par l’Arcom le principe d’une réfutation des théories pseudo-scientifiques.
Proposition à titre personnel du rapporteur n° IX : Attribuer à la rédaction des chaînes un droit d’opposition sur les décisions ayant des conséquences directes sur le contenu éditorial de l’information.