Dans l’implication (à ne pas confondre avec l’engagement), Les Echos réussissent là où Libération (au hasard …) se fourvoie et nous fourvoie depuis le début (lire : Libération, quotidien "branché" sur l’altermondialisme) : le supplément adopte une position claire, servie par une mission affichée à la « Une » dans l’éditorial : « Si nous publions aujourd’hui ce voyage au cœur du mouvement de contestation de la mondialisation, c’est que son existence est devenue une réalité que le monde économique ne peut plus ignorer. (…) il faut faire avec » (sic) (Nicolas Beytout). Et pour« faire avec », il est nécessaire de savoir … avec qui : le quotidien Les Echos se consacre à cette noble entreprise.
Dans la forme, le dossier est composé de plusieurs sections, déclinées avec un pragmatisme très « pro » et une efficacité toute martiale. Il commence avec la présentation de « l’histoire de la mondialisation », en plantant le décor : la « montée de la société civile » et du « mouvement tiraillé ». Puis il évoque les « mécanismes de fonctionnement des ONG » (ce sont les vedettes du FSE - Attac, Oxfam, Greenpeace…, et le quotidien s’attache essentiellement à leur financement venant des entreprises et des Etats). Vient alors le moment d’exposer les « réponses des gouvernements » et des « entreprises », dont on se doute qu’elles sont plutôt bonnes. Le quotidien propose aussi un planisphère des « ONG qui comptent » et une cartographie des « 7 familles d’alter mondialistes engagés dans la contestation » (« anti-marques », « écologistes », « financiers », etc…) … avec leur « cibles ». L’adresse aux lecteurs est implicite mais transparente : « Connaissez vos ennemis ».
Au passage, le dossier évoque avec révérence les entreprises férues de développement durable qui trouvent là une tribune à leur communication. Et, évidemment, il conduit au fil des pages au poncif du moment : l’impasse politique d’un mouvement dont on apprend, en s’attardant sur le cas français, qu’il « tisse des liens étroits mais complexes avec le mouvement social ». L’argumentaire de la plupart des éditorialistes est ici ressassé une fois encore : « le mouvement alternatif est partagé entre un réformisme actif et un activisme radical », « les partis (sont) entre méfiance et récupération » et « les syndicats (sont) divisés ».
Le vénérable quotidien achève de tenter d’impressionner son lectorat avec 5 pages d’« idées », de bibliographies et d’entretiens réservés aux adversaires de l’altermondialisme. On notera dans ce bouquet : une interview d’Alain Juppé (qui déplore que « nous (soyons) le seul grand pays d’Europe où près du quart du corps électoral se tourne vers les options démagogiques ») et une autre d’Hubert Védrine (qui affirme que « l’idéologie (sic) société civile est trompeuse ». )
Le sommet est atteint … en quatrième de couverture avec la rubrique « Vérités et Mensonges ». Le quotidien réussit là, par un tour de magie à faire pâlir les alchimistes qui ont échoué à transformer le plomb en or, à changer les griefs des altermondialistes en une véritable défense de la mondialisation libérale. Qu’on ne s’y trompe pas : placé à cet endroit pour que le lecteur CSP + des Echos pressé et rétif à ouvrir ce dossier le voie, il a pour but de rappeler à celui qui a eu le courage de le parcourir (et pour peu qu’il ait été déboussolé par ce supplément-fleuve), à quel endroit il doit penser. Il sera alors conforté dans l’idée que « la pauvreté recule » (c’est statistique, bien sûr), que « les échanges, c’est la croissance », ou que « les multinationales (ne) dirigent (pas) la planète »...
A feuilleter cette somme, la fin poursuivie par des Echos devient transparente. On est en droit de se demander à qui doit profiter ce cahier spécial. Certainement pas à la majorité de Français qui ne lit pas cette presse économique, et que les médias depuis deux semaines « mésinforment » de toutes les façons. Ce supplément s’adresse bien aux quelques 450 000 lecteurs de la presse économique. Pour eux - les soldats CSP+ qui regardent avec envie leurs PDG et autre fins stratèges du libéralisme - , Les Echos font une démonstration de zèle et de force. Poussé à reconnaître l’ampleur du mouvement, face au concurrent La Tribune (à écraser) qui a choisi la sobriété sur le FSE (un article), Les Echos montre qu’il maîtrise le sujet. Mais surtout, s’il présente, de force plutôt que de gré, les altermondialistes avec une certaine gravité, c’est pour rassurer son lectorat avec un manuel de 24 pages : que ces braves gens débattent autant qu’ils voudront … le libéralisme économique est l’avenir radieux de l’humanité.
Un simulacre d’exhaustivité au service de la pensée de marché.