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Premier bilan : Un an après ... (décembre 2000)

Fin des dérives de France Culture (2) ?

par Henri Maler,

Un an après la mise en place de la nouvelle grille de France Culture, une chronique de Jean-Claude Guillebaud parue décembre 2000 semble annuler les fortes critiques qu’il formulait dans un autre chronique parue en novembre 1999. Complément ou reniement ? La confrontation de ces deux textes fournit l’occasion de tracer un premier bilan...

Deux chroniques de Jean-Claude Guillebaud

- Il y a un an environ, dans l’une des ses chroniques du Nouvel Observateur , Jean Claude Guillebaud - sous le titre "la fracture médiatique" - soulevait quelques sérieux problèmes sur la fameuse "nouvelle grille" de France culture. On pouvait lire notamment ceci [1] :

<< Parmi tous les reproches adressés à Laure Adler, au sujet de la nouvelle grille de France Culture, il en est un qui mérite une attention particulière car il dépasse - de très loin - le cas d’espèce. En faisant abusivement appel à des personnalités ou commentateurs archiconnus, la nouvelle directrice aurait pris le risque d’aggraver ce syndrome mondain, cet effet club, ces cumuls en cascade qui sont, comme on le salt, I’une des plus funestes fatalités du " tout-médiatique ". Ce danger, quoi qu’on dise, est bien réel. Invoquer le professionnalisme des chroniqueurs en question ou le pluralisme de leurs sensibilités ne suffit pas, me semble-t-il, à régler la question.N’importe quel auditeur, en effet, ne peut manquer d’être frappé par cette uniformisation insidieuse de l’appareil médiatique, de plus en plus englué dans une sorte d’autisme, volontaire ou non. A cela, il existe plusieurs raisons, toutes liées à l’époque. La starisation des commentateurs, débouchant elle-même sur des cumuls abusifs, procède d’une logique largement imputable à l’hégémonie audiovisuelle -cette nouvelle " féerie " -ayant triomphé à partir de la fin des années 70. A cela s’ajoute la nouvelle course à l’audience, obsession qui habite désormais aussi bien la presse écrite que l’édition, le théâtre ou le cinéma. Convoquer des signatures déjà connues, c’est se garantir (pense-t-on) un résultat minimal, mais c’est aussi faire plus ou moins son deuil de la diversité, du renouvellement, de la fraîcheur, de la colère, de la critique sociale. >>

- Un an après, Jean Claude Guillebaud - sous le titre "Pratique de l’éloge" - considère que tous les problèmes ont pratiquement disparu [2] :

<< A écouter France Culture en cette rentrée 2000, on retrouve une espèce de bonheur. Une remarque simple : à bien examiner, explorer, écouter la grille de France Culture, telle qu’elle s’offre à nous en cette rentrée 2000, on est tenté par un exercice qui n’est plus guère pratiqué dans le petit monde carnassier des médias : la pratique de l’éloge. C’est ainsi. Habité soi-même par l’esprit critique, on en oublierait, à force, de consentir au compliment quand il s’impose. Tout de même !
L’an dernier, alors même qu’un vent mauvais - changements, révoltes, bagarres et soupçons obliques - agitait la station, on parlait de France Culture à longueur de colonnes. En pointant voluptueusement ses " problèmes "... Maintenant qu’une espèce de bonheur est trouvée, on regarde ailleurs. Injuste...Osons cette fois confesser nos plaisirs radiophoniques. Pour rien. Pour le simple bonheur de les égrener. Il nous semble en effet, à nous auditeurs précautionneux, que Laure Adler n’a pas perdu son pari ! Oh, certes, tout n’est pas parfait dans sa boutique. Il y reste du bla-bla et quelques poses rémanentes. Mais que de réussites, mes maîtres ! >>

Et Jean-Claude Guillebaud d’égrener la liste des émissions qui font son bonheur, avant de conclure son aimable distribution des prix par son éloge le plus appuyé, en nous invitant, pour nos dimanches, à "ne plus jamais manquer la nouvelle émission d’Aline Pailler, " Au feu du jour " (à 16 heures)".

Et Jean-Claude Gullebaud de poursuivre :

<< On vous suggère, avec insistance, d’y aller voir. Ancienne députée européenne sur la liste du PC, protestataire rieuse mais militante infatigable, tempérament combatif et accent qui chante, Aline Pailler donne l’impression de fureter sans cesse là où les foules journalistiques ne vont plus guère. Non point à la table des ministres ou à celle des " nouveaux maîtres " mais chez les " petits " du coin de la rue. Elle le fait en mêlant les éclats de rire et les coups de gueule. On y cause, sans détour, de la vie qui va et des injustices qui fâchent. C’est superbe. (...) . >>

Avant de conclure : << Tout cela - et on en oublie ! - justifie assez que l’on veille, obstinément, sur France Culture... >>

Pour lire le texte intégral des deux chroniques de Jean-Claude Guillebaud

 Cette seconde chronique annule-t-elle la première ? Complément ou reniement ?

Qu’il existe des émissions de qualité sur France Culture, personne ne songe à le contester. Si la "nouvelle grille" ne s’est pas traduite par une dégradation systématique, tant mieux.... Si les actions de défense de France Culture n’ont pas été totalement vaines, tant mieux aussi... Si la course à l’audience à tout prix semble avoir été freinée - faute de résultats significatifs, si ce n’est par conviction..., tant mieux encore...Mais veiller sur France Culture, ce n’est pas s’endormir à son chevet.

On peut avoir les émissions elles-mêmes des avis très différents : rien de plus normal. Mais que l’on puisse apprécier telle émission ou détester telle autre, ne change rien aux problèmes de fond. Quoi que l’on pense de notre amie Aline Pailler et de ses émissions - , ce n’est évidemment pas un programme d’une heure tous les quinze jours qui permet de résorber "la fracture médiatique". Quelle que soit la qualité de tel ou tel de leur propos, des journalistes multicartes auxquels Laure Adler a loué l’antenne ont proliféré. Ils ont relégué nombre de professionnels de la station : les pigistes de luxe vivent aux dépens des plus précaires. La plupart des médias ont été servis ou se sont servis, au risque de refermer ce petit monde sur lui-même. Ainsi quand Jean-Marie Colombani, du Monde, invite Alain Minc, Président de la société des lecteurs du Monde pour parler des son livre-dont-tout-le-monde-parle, nous tenons un exemple des dérives inscrites dans des choix de fond.
Si la qualité de certaines émissions "justifie assez que l’on veille, obstinément, sur France Culture... ", encore convient-il de préciser sur quoi soit porter notre vigilance :

Une vigilance maintenue

Il y a un an environ, le collectif d’animation d’Acrimed rendait public un communiqué - sous le titre "Fin des dérives à France Culture - où l’on pouvait lire notamment :

<< Des questions décisives ont été soulevées par les auditeurs et par les personnels (notamment lors de la récente grève) : elles concernent la définition même de ce que doit être une radio culturelle publique. Elles demeurent à ce jour sans réponse. (...) Le débat ne peut être clos aussi longtemps que des réponses n’auront pas été apportées par les responsables de la station aux questions suivantes :

 Faut-il soumettre à la logique de la concurrence (et, si oui, avec qui et pourquoi ?) une radio comme France Culture dont la spécificité doit précisément beaucoup au fait qu’elle n’a pas été mise en concurrence avec les radios commerciales existantes ? Autrement dit, faut-il ou non soumettre France Culture à la logique de l’audience alors que cette radio a une originalité qui est irréductible à un taux d’écoute instantané, les sondages mesurant les audiences rassemblées par les programmes pour les publicitaires et non la qualité culturelle des émissions diffusées ?

 Faut-il, pour assurer le renouvellement de l’audience de la station dont parle sa directrice, Laure Adler, et dont tout le monde reconnaît la nécessité, renoncer à satisfaire un public dont la fidélité est fondée sur des exigences de qualité qui devraient être renforcées, et non pas abandonnées ? Ou bien s’agit-il, sous couvert de « rajeunissement » et de « modernité », de faire de France Culture une chaîne généraliste comme une autre ? Peut-on accepter que le directeur d’une telle radio, quels que soient ses mérites personnels, puisse décider souverainement de l’avenir d’une station qui est le produit d’une lente et patiente création collective ?

 Faut-il entériner le cumul des fonctions et la confusion des rôles qui conduisent à demander à des journalistes de la presse écrite d’exercer le métier de producteur auquel ils ne sont pas préparés et d’occuper l’antenne aux heures de grande écoute pour faire de France Culture le simple appendice parlé de leurs journaux ?

 Faut-il poursuivre, à France Culture, la politique de recrutement de notables de la presse (qui sont déjà largement présents dans les autres médias), au détriment des producteurs de la chaîne, relégués à des heures de faibles écoute ou précarisés quand ils ne sont pas brutalement mis à l’écart alors qu’ils possèdent la compétence pour exercer le métier original de médiateur culturel qu’ils ont inventé ? Ou faut-il, au contraire, comme nous le souhaitons, accorder enfin à ces derniers un statut qui les protège contre des décisions arbitraires de la direction de la station ? Et, dans le même esprit, faut-il ou non assurer à la fiction radiophonique les moyens de se développer et donner, à cette fin, des garanties durables aux réalisateurs et aux comédiens ? >>

Pour relire le communiqué "Fin des dérives à France Culture"

Un an après, force est de constater qu’ aucun des problèmes soulevés n’a reçu de réponse satisfaisante.

Henri Maler

 
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Notes

[1TéléObs, supplément télé du Nouvel Observateur, 20-26 novembre 1999, p. 8

[2 Le Nouvel Observateur N°1881 Semaine du 23/11 au 29/11/2000

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