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Étudiant-e-s en journalisme, nous demandons un meilleur traitement médiatique du conflit israélo-palestinien

Nous relayons cette tribune parue sur le site de Blast et dans L’Humanité le 3 juin 2024.

Étudiant·e·s en journalisme, nous réclamons un traitement médiatique à la hauteur des enjeux du conflit israélo-palestinien. Depuis des mois, nous observons avec effroi, dans ces médias où nous travaillerons plus tard, des fautes déontologiques graves qui participent à la déshumanisation du peuple palestinien et à la normalisation de crimes de guerre.

Peut-on prétendre couvrir sérieusement ce conflit en passant sous silence les bombardements continus de civils, participant à leur invisibilisation ?

Si nous prenons la parole, c’est que nous croyons au rôle fondamental du journalisme, mais ne nous reconnaissons pas dans ces pratiques. Après sept mois d’horreur dans la bande de Gaza, nous appelons à un sursaut éthique de la profession.

Nous ne sommes pas seul·e·s à ressentir ce malaise. En interne, des syndicats et sociétés de journalistes s’inquiètent du traitement pro-israélien du conflit par leur média. Une réalité qui s’étend à des titres de droite comme de gauche, publics comme privés. Et quand ce n’est pas la censure, c’est l’autocensure. Par peur de perdre de l’audience ou de parler d’un sujet trop « touchy », journalistes et rédactions ne s’en emparent pas.

Le traitement partial du conflit par la plupart des médias à grande audience a été documenté par Arrêt sur Images et l’association Acrimed. Nous déplorons ce cadrage médiatique biaisé, qui fausse la compréhension des enjeux et occulte le désastre humanitaire.


Trou noir journalistique


Presque aucun journaliste occidental n’a pu mettre un pied sur ce territoire en guerre, résultat d’un blocus informationnel organisé par Israël. Nous appelons les médias français à dénoncer cette atteinte à la liberté de la presse, pas seulement à la constater.

Selon un rapport de Reporters sans frontières, au moins 103 journalistes palestinien·ne·s ont été tué·es par l’armée israélienne entre le 7 octobre 2023 et le 7 mars 2024. Un bilan que l’on sait provisoire et qui ne prend pas en compte les fixeur·se·s sur place, tout autant en danger. Parlons-en. Où est notre « solidarité » à l’égard de nos consoeurs et confrères, gravée dans la charte mondiale d’éthique des journalistes ?

Nous avons été habitués dans les médias français à entendre parler de « riposte israélienne », de « frappes chirurgicales », de « droit d’Israël à se défendre » ou encore de « boucliers humains du Hamas » : autant d’éléments de langage de l’armée israélienne qui tendent à légitimer son action.

Les attaques sans précédent du 7 octobre n’étaient pas un coup de tonnerre dans un ciel calme. Elles s’inscrivent dans un contexte de colonisation et d’occupation qui dure depuis plusieurs décennies. La situation actuelle doit être historicisée.

Trop souvent, la hiérarchisation de l’information favorise les polémiques au détriment de la couverture de la situation à Gaza. Les controverses sur Sciences Po ont par exemple fait passer au second plan la découverte de charniers à Khan Younès. Cela s’accompagne d’une sous-médiatisation des voix palestiniennes et de celles et ceux qui les défendent, régulièrement taxé·e·s d’antisémitisme.

Dans les médias, la guerre est sans cesse commentée et débattue sans mesure de la gravité de la situation. Cette éditorialisation donne une place équivalente aux opinions et aux faits. Sur ce sujet, le public mérite des expert·e·s.

Nos écoles ont aussi un rôle à jouer. Par le passé, elles ont su s’exprimer clairement sur des thématiques médiatiques d’actualité, comme lors du 5 juillet 2023 : « la CEJ (conférence des écoles de journalisme) s’inquiète de la situation au Journal du Dimanche », ou en signant une « Charte pour un journalisme à la hauteur de l’urgence climatique ».

Nous appelons aujourd’hui les directeur·trice·s d’école de journalisme à adopter un positionnement clair sur le traitement médiatique de ce conflit au sein de la CEJ.

La profession doit prendre conscience de l’importance d’un traitement équilibré du conflit. Il en va de notre crédibilité à l’égard du public et de la confiance qu’il nous accorde.

Nous, journalistes en formation, craignons pour notre futur métier.


Signataires :

685 journalistes en formation à l’Ecole supérieure de journalisme de Lille (ESJ), au Centre universitaire d’enseignement du journalisme de Strasbourg (CUEJ), au Centre de formation des journalistes de Paris (CFJ), au Centre de formation et de perfectionnement des journalistes (CFPJ), à l’Ecole des hautes études en sciences de l’information et de la communication (CELSA), à l’Ecole de journalisme de Grenoble (EJDG), à l’Ecole de journalisme et de communication d’Aix-Marseille (EJCAM), à l’Ecole de journalisme de Sciences Po Paris (EDJ), à l’Ecole publique de journalisme de Tours (EPJT), à l’Institut de journalisme de Bordeaux Aquitaine (IJBA), à l’Ecole de journalisme de Toulouse (EJT), à l’Institut pratique du journalisme de Dauphine-PSL (IPJ), à l’Ecole de journalisme de Cannes (EJC), à l’IUT de Journalisme de Lannion, à l’Institut français de presse (IFP), au Master de Journalisme de Sciences Po Rennes et au Master de Journalisme bilingue de la Sorbonne Nouvelle.

 
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