Ô stupeur et consternation ! Alors qu’il nous semblait que des médias pouvaient créer d’innombrables confusions et contribuer à les diffuser, Philippe Corcuff ne semble pas s’en être aperçu [2]. Notre grand maître es-critique des médias ne dit rien de ce confusionnisme-là !
En revanche, il a beaucoup à pourfendre s’agissant de la critique des médias réellement existante. Cela occupe un sous-chapitre de quelques pages délicieusement intitulé : « La critique manichéenne des médias, de la gauche radicale à l’extrême droite » (p. 162-167). Si vous pressentez un généreux amalgame (confusionniste), vous ne serez pas déçus.
- Depuis plus de 15 ans (et cette fois encore), Philippe Corcuff dénonce la critique des médias « manichéenne » et « complotiste » d’Acrimed, mais aussi de Noam Chomsky, de PLPL [3], de Serge Halimi, de Pierre Rimbert et du Monde Diplomatique. La recette ? Opposer à ces critiques dans la mêlée, le cas échéant virulentes et satiriques, les ouvrages de sociologie du journalisme et d’économie des médias dont ces critiques s’inspirent ! Un seul exemple : légataire universel de la sociologie de Pierre Bourdieu, Philippe Corcuff attribue manifestement à un dérèglement de la pensée de ce dernier la publication aux éditions Raisons d’agir (impulsées notamment par ses soins), du méchant ouvrage de Serge Halimi Les nouveaux chiens de garde, sans oublier le soutien qu’il a apporté à la création d’Acrimed [4].
- Depuis plus de 15 ans (et cette fois encore), Philippe Corcuff, juché sur ses propres épaules de géant de la critique des médias, non seulement s’est borné à nous opposer des cours de sociologie des médias sans esquisser la moindre critique concrète des médias, mais surtout ne nous a opposé aucun argument précis, fondé sur les quelques 6300 articles publiés sur notre site.
En revanche, il avait en avril 2004, pour illustrer l’une de ses chroniques dans Charlie hebdo un titre faussement interrogatif – « Les journalistes sont-ils tous des vendus ? » – qui nous attribue généreusement des critiques qui n’ont jamais été les nôtres, illustrées par une liste de mots dont la plupart sont inventés par le petit trafiquant de guillemets. Ce qui permet à ce péremptoire adepte de la « complexité », d’abattre des fantômes sans jamais étayer ses affirmations sur la moindre analyse précise de ce qu’il condamne sans le réfuter.
« Propagande », « connivence », « manipulations », « mensonges », « vendus au capital »... : la critique gauchiste des médias nous a appris le sens de la complexité. Le nouveau Petit manuel de l’observateur critique des médias […] et Pierre Rimbert (pour le journal qui pue : PLPL), s’inscrit dans un tel firmament de subtilité. « Surveiller la presse » est son mot d’ordre ! Mais pourquoi le mouvement altermondialiste, si critique à l’égard de la malbouffe, apparaît-il friand d’une nourriture intellectuelle pauvrement standardisée ? Pourtant, une autre critique des médias est possible […].
À quoi répondait déjà l’article que nous avons publié en 2004 : « Philippe Corcuff, critique "intelligent" de la critique des médias » (suivi de « Une crise de nerfs de Philippe Corcuff »).
Depuis, le maître a affiné sa critique, comme on peut le vérifier dans un entretien publié en 2008 [5]. Un paragraphe permet de vérifier la finesse de ses griefs :
[…] On rencontre chez PLPL-Le Plan B-Acrimed-Halimi-Rimbert etc. des problèmes analogues à ceux que j’ai rencontrés à Charlie Hebdo : une critique des complots mis en scène dans les médias au moyen d’une rhétorique du complot, une critique du simplisme médiatique au moyen de procédés simplistes, une critique de la diabolisation des points de vue dissidents au moyen de la diabolisation d’autres points de vue, une critique de l’anti-intellectualisme en recourant à des méthodes disqualifiant la rigueur intellectuelle, une critique de la manipulation médiatique des faits recourant à un usage approximatif, voire fantaisiste, des faits, une critique des mensonges médiatiques au moyen de mensonges, etc.
- Depuis plus de 15 ans (et cette fois encore), Philippe Corcuff décrète sans autre argument que sa hautaine suffisance que La Fabrique du Consentement de Noam Chomsky et Edward Herman était corrompu par le conspirationnisme. Le trafiquant en guillemets déjà évoqué plus haut réussi le tour de force de réfuter Noam Chomsky pour « conspirationnisme » grâce à quelques citations mal traduites, sorties de leur contexte et, parfois, abusivement tronquées.
À quoi répondait déjà notre article publié en 2006 : Corcuff et la « théorie du complot ».
Depuis, Corcuff a confirmé ses critiques indigentes et reproduit littéralement, en 2021, dans La grande confusion ce qu’il avait déjà écrit en 2008, dans la revue québécoise À bâbord !
Depuis plus de 15 ans, et cetera…
Mais cette fois, le pire est atteint. Corcuff soutient que notre critique a suscité l’existence de disciples concurrents qui partagent le même simplisme : « Largement de gauche au départ, la critique manichéenne des médias […] va faire des émules à droite et à l’extrême-droite. » Au fond, selon Philippe Corcuff, notre critique et celles de toutes les droites, parce qu’elles partagent les mêmes fondements, seraient équivalentes. Au point de les renvoyer dos-à-dos ?
Bravo l’artiste !
Henri Maler
Post-scriptum (24 mars 2021) : Un grand remplacement ?
Dans un entretien publié le 22 mars sur le site de Conspiracy Watch, Philippe Corcuff éructe un acte de décès de notre critique des médias et prononce son remplacement analogique par la critique d’extrême droite. Décidemment, les falsifications haineuses de notre cher Philippe sont irremplaçables !
N’oublions pas, non plus, combien la critique manichéenne des médias venant de la gauche radicale, avec PLPL, puis Le Plan B, pour la rhétorique de l’insulte, et ACRIMED, sous une forme plus soft, a accoutumé dans les années 1990-2000 la critique de gauche à se concentrer sur les supposées manipulations cachées de « méchants » et de « traîtres ». Aujourd’hui ce manichéisme anti-médias de gauche risque de ne plus intéresser que les archéologues et les historiens des idéologies, tant l’ultraconservatisme a mis la main sur le conspirationnisme anti-médias, avec des postures dotées d’analogies vis-à-vis du gauchisme simpliste qui l’a précédé, mais sans la connexion à un horizon d’émancipation : chez Elisabeth Lévy, Mathieu Bock-Côté, Zemmour, Soral, les sites d’extrême-droite dit de « réinformation », avec la figure de l’ancien député européen du Front national Jean-Yves Le Gallou, ou leurs échos confusionnistes sur les réseaux sociaux [6].