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Les mots et les images (2)

Des images coupables ?

A lire ou à entendre ce que disent nos grands médias professionnels sur le " conflit israélo-palestinien ", il faudrait croire que les mots sont innocents et que les images sont coupables.

(9 avril 2002, actualisations : 14 et 16 avril 2002)

 Ainsi, dans Marianne du 10 décembre 2001, on lisait :

« La guerre des images est meurtrière pour Israël. Pour des raisons objectives, d’abord : on ne voit pas la bombe qui explose dans un bus, ni le terroriste suicidaire entraînant les passants dans la mort. La caméra arrive avec les ambulances. En revanche, la caméra est présente quand Tsahal réprime une manifestation et quand les enfants palestiniens courent sous les bombes larguées par les hélicoptères. A quoi s’ajoute le sens de la mise en scène acquis par les Palestiniens, passés maîtres en l’art des enterrements publics [sic] avec expression de la colère et de la douleur. » (Source : PLPL n°8)

Qui nous dira en quoi des images d’une bombe et de l’auteur d’un attentat-suicide rendrait plus horribles les images des corps déchiquetés des victimes des attentats ? Mais que l’on imagine quel procès - légitime - aurait valu à son auteur leur attribution à une " mise en scène " d’israéliens " passés maître " dans un art quelconque.

 Quatre mois plus tard - le temps d’une profonde réflexion, dans Le Monde, Dominique Dhombres, dans sa chronique quotidienne de " critique " de la télévision du 02 ou 03 avril 2002 écrit - sous le titre faussement interrogatif " Télévision : angéliser Arafat ? " :

« Les journaux télévisés contribuent à "créer un climat" parce qu’ils tendent "à angéliser Arafat et à diaboliser le premier ministre israélien". Cette phrase de Roger Cukierman, président du Conseil représentatif des institutions juives de France, mérite réflexion après la demi-douzaine d’actes anti-juifs du week-end. (...) Yasser Arafat avait incontestablement le beau rôle, comme samedi soir lorsqu’on le voyait, à la lueur des bougies, lancer un appel au secours au monde entier. Mais, d’autres soirs, ce sont les images sanglantes des attentats-suicides et la douleur des survivants qui occupent le devant de la scène. On ne voit pas, et pour cause, les kamikazes palestiniens. On voit beaucoup les soldats israéliens. Est-ce que cette couverture est équilibrée ? La question mérite d’être posée. »

On pourrait être tenté de lui objecter que l’on voit beaucoup de victimes des attentats-suicide et peu de victimes de l’armée israélienne. Mais cette tentative d’ « équilibrer » les propos de Dominique Dombres répondrait sur son terrain : éminemment friable.

Une critique de la télévision qui se borne à s’interroger sur le degré de culpabilité des images omet de mentionner une terrible absence : combien de journaux télévisés quotidiens - si l’on excepte quelques mini-reportages occasionnels - montrent et disent l’oppression, l’humiliation, la misère, le dénuement vécus par les palestiniens depuis plus de trente ans dans les territoires ocupés et depuis plus de cinquante ans dans les camps de réfugiés en dehors de la Palestine ?

 Françoise Giroud (Le Nouvel Observateur, 4 avril 2002) s’inquiète aussi du "choc des images", mais en termes savants :

« Les télévisions ne montrent jamais les victimes israéliennes. Non que ce soit un parti-pris, mais les juifs n’exhibent pas leurs morts, ils les enterrent discrètement. Alors, la capacité compulsionnelle du public est sollicitée à sens unique par l’image. »

 Anne Sinclair, soucieuse des effets des images sur la « capacité compulsionnelle du public" », a, elle aussi, protesté, mais, à la différence de Françoise Giroud, en accusant ses confrères et ses consoeurs de parti pris, puisqu’ils ne distingueraient pas entre les bonnes et les mauvaises victimes. Dans une dépêche à l’AFP (dépêche du 8 avril 2002, 17 h 18), on pouvait lire ceci :

« "La journaliste Anne Sinclair, présente dimanche à Paris à la manifestation de soutien aux Israéliens, estime mardi, auprès de l’AFP, que "la communauté juive française a le sentiment que les médias prennent extrêmement violemment partie" dans le conflit du Proche-Orient. Les médias français "ne font que rendre un seul côté de l’histoire, alors que les deux côtés sont tragiques, ont besoin d’un Etat, de la paix. On ne donne qu’un point de vue, avec un peuple opprimé et avec un peuple massacreur". "J’observe et constate que, journalistiquement, la balance n’est pas tenue égale : il se passe un attentat à Jérusalem avec 15 morts dans une caféteria, une pizzeria, les caméras sont immédiatement dans les territoires auprès des familles vivant les représailles. Ce n’est pas du journalisme, c’est une façon de prendre parti !",s’exclame-t-elle. »

Des "familles vivant les représailles" doit signifier : "familles palestiniennes pleurant leurs morts". Mais ce serait encore trop dire ou trop montrer. Pour tenir la balance égale - selon l’élégante expression d’Anne Sinclair - , il faudrait supprimer l’un de ses plateaux !

On se doute dès lors qu’il y a tout lieu de déplorer que, malgré l’armée israélienne, des images montrent distinctement "des familles vivant des représailles" à Jenine.

(Documentation : Acrimed et PLPL)

 
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