Accueil > Critiques > (...) > Journalisme sur le journalisme et les médias

Composition des plateaux télé : sur France Télévisions, on s’autocongratule

par Maxime Friot,

Médiation ou service après-vente ?

« Chaque jour, ou presque, nous recevons à la médiation des courriels qui critiquent la qualité ou la pertinence de tel ou tel invité. C’est vraiment un sujet d’irritation récurrent pour certains d’entre vous, et un problème de crédibilité comme de confiance pour les médias » introduit le médiateur de France Télévisions, Jérôme Cathala, le 12 avril sur France 3. Et pour atténuer « l’irritation » et rétablir la « confiance », rien de tel qu’une petite causerie dans un douillet entre-soi : sont conviés en plateau Bruno Gaston, producteur de « C à vous » et « C dans l’air » ; Nicolas Daniel, directeur des magazines de France Télévisions ; et Gilles Bornstein, présentateur de l’émission « Votre instant politique » (Franceinfo), éditorialiste, et rédacteur en chef de l’émission « L’événement » (France 2). En d’autres termes, le pouvoir éditorial se répond à lui-même [1].

L’exercice du médiateur, sur France Télévisions comme partout ailleurs, est rodé : il s’agit généralement de montrer, « dans l’explication et la pédagogie », que tout va bien dans le meilleur des mondes. De confisquer la parole, tout en feignant de la prendre en compte. De faire croire que l’on « entend » les reproches, pour mieux asséner que ces derniers sont infondés. Comment pourrait-il en être autrement puisque la critique médiatique n’est autorisée que sous la forme de témoignages de téléspectateurs mécontents, dont quelques lignes sont généralement lues ou résumées à l’antenne ? Un dispositif confortable, qui ignore superbement études et travaux étayés, qui analyseraient par exemple les travers des émissions d’actualité politique. Le catalogue d’Acrimed en est pourtant garni, qu’il s’agisse d’articles concernant l’entre-soi des plateaux de « C dans l’air », le déséquilibre et la partialité de ceux de « C à vous » (que nous critiquions en février dernier) ou encore de la médiocrité des émissions politiques « spéciales » de France 2.

Un médiateur – censément indépendant – se doit de tenir compte de la parole des deux parties pour proposer une solution. Le médiateur médiatique, lui, porte aux oreilles des haut-gradés de l’entreprise qui l’emploie ce qu’il veut bien retenir des critiques qu’il reçoit. Écoutons-le dans ses œuvres : « il y a une certaine incompréhension, Bruno Gaston, de la part des téléspectateurs, et notamment des fidèles de "C dans l’air" […] : ils se demandent parfois pourquoi on revoit régulièrement les mêmes personnes sur le plateau ». C’est ce qui s’appelle prendre des pincettes ! On le voit, il s’agit avant tout de permettre au mis en cause de se dédouaner... sans contradiction :

Bruno Gaston : Il faut bien connaître les sujets, il faut être bon à l’oral, il faut être capable de les expliciter, il faut avoir les bonnes informations. Et donc certains de nos invités – on est très contents et très fiers de pouvoir les accueillir régulièrement – sont les invités qui cochent toutes ces cases. […] Quand vous combinez […] la nécessité de trouver un quatuor d’intervenants qui soient compétents et informés sur un certain sujet, la nécessité d’avoir certains invités qui reviennent, même si nous on fait attention à ce que cette récurrence soit pas trop soutenue, plus notre souci d’être paritaire, on arrive à notre travail quotidien [sic].

« Compétents et informés » les Christophe Barbier, Yves Thréard, Nathalie Saint-Cricq, Alain Bauer, Pascal Perrineau, Dominique Reynié, Hervé Gattegno et autres éditocrates et sondologues invités (là et ailleurs) en permanence ? Défense de rire. Rappelons, par exemple, que le premier avait aligné les plantages en série, avant de soutenir, pour se justifier, que « la vérité de 6h50 n’est pas celle de midi ». Un dicton à haute valeur journalistique ajoutée, pour sûr...

Puis le producteur de relativiser les critiques :

Ensuite, c’est toujours pareil. C’est-à-dire que certains invités laissent personne indifférent. Évidemment Alain Bauer, de par sa façon de s’exprimer, peut-être par ce qu’il véhicule, peut-être qu’il agace un certain nombre de téléspectateurs… Probablement. Ensuite, c’est toujours la même chose, vous en avez autant qui trouvent qu’Alain Bauer vient trop souvent que de gens qui nous écrivent pour nous dire qu’ils préfèreraient qu’il vienne encore plus souvent. C’est toujours pareil. On s’emploie à être le plus équilibré possible, et à ce qu’aucun des invités ait un rond de serviette trop souvent posé sur la table.

L’avantage, avec ces « gens qui nous écrivent » sans avoir le droit à la parole, c’est qu’on peut leur faire dire n’importe quoi, en s’arrangeant pour rester au juste milieu de toutes les critiques ! Jamais avares de pédagogie, les journalistes profitent généralement du passage du médiateur pour infliger aux spectateurs quelques leçons supplémentaires, pour leur expliquer ce qu’on essaie d’expliquer :

Bruno Gaston : On s’emploie, avec « C dans l’air », à essayer d’expliquer les sujets d’actualité. Expliquer ça veut dire enjamber la tentation qui consisterait à distribuer les bons et les mauvais points, dire « c’est tout blanc, c’est tout noir », et essayer de raconter, y compris quand il n’y a pas de vérité qui peut s’exprimer, des notions qui de temps en temps sont des notions qui peuvent laisser matière à réflexion, voire à un peu d’idéologie.

Le directeur des magazines de France Télévisions, Nicolas Daniel, vient à la rescousse, et précise les causes de l’uniformité des plateaux de « C dans l’air » :

C’est pas une émission de débat, c’est pas une émission de points de vue au départ. C’est pas ça qu’on attend de « C dans l’air » en premier. C’est pas « pour ou contre ». Généralement ce sont des gens qui ont une expertise, et ce qu’on va leur demander c’est un décryptage et une expertise sur un sujet donné, et ce qu’on attend d’eux généralement, il y a quatre personnes en plateau, c’est que leurs expertises se complètent, pas qu’elles s’opposent.

Si les invités de « C dans l’air » sont tous d’accord – pardon, « se complètent » –, c’est qu’ils ont une « expertise » et pas de « point de vue ». Et qu’on a pris soin d’éloigner des experts qui penseraient différemment... Merci pour cette « pédagogie » !

Résumons le message véhiculé pendant les 40 minutes que dure l’émission : les professionnels font de leur mieux, dans le respect des règles de l’Arcom. De quoi satisfaire le médiateur, en conclusion de l’émission : « Merci pour l’ensemble de ces explications et de toutes ces précisions. Je crois quand même que vous avez vraiment aidé les téléspectateurs à mieux comprendre la problématique des invités, qui sont si importants pour nos émissions. » Assurément !

On ne peut s’empêcher de partager, pour finir en beauté, l’enthousiasme de Gilles Bornstein : « Je travaille avec Caroline Roux. [...] Elle est d’une neutralité absolument extraordinaire, et d’une absence de préjugés intellectuels qui est vraiment tout à fait notable. » Dont elle donnait une preuve tout à fait notable (et extraordinaire) dans la dernière émission « L’événement » en date, le 23 mars :


Sans compter l’affection toute particulière de cette vedette du service public pour la critique des médias, qu’elle assimilait, en 2019 face à Benoît Hamon... à une « prise d’otages ». Il n’y a pas à dire : « l’auto-analyse » des chiens de garde est toujours à couper le souffle !


Maxime Friot


Addendum – la réponse du médiateur sur Twitter :

Bonjour. Merci de cette critique mesurée de notre modeste émission. Rajoutons peut-être quelques éléments d’info :

1/ Les messages des téléspectateurs sont lus durant l’émission et sont rarement très positifs.

2/ Il y a toujours un ou deux téléspectateurs invités qui donnent leur point de vue et peuvent discuter avec les autres invités.

3/ Il y a effectivement des représentants de @Francetele, c’est le principe de l’émission car ils doivent répondre aux interpellations du public

4/ Il n’y a pas beaucoup de médias qui acceptent de s’interroger sur ses pratiques, sur ce qu’en pensent les téléspectateurs. Et qui parlent à l’antenne des critiques et commentaires qui lui sont faits.

5/ Nous prenons toujours en compte les opinions critiques qui nous sont adressées et allons donc essayer de progresser.

 
Acrimed est une association qui tient à son indépendance. Nous ne recourons ni à la publicité ni aux subventions. Vous pouvez nous soutenir en faisant un don ou en adhérant à l’association.

Notes

[1Un téléspectateur était présent « en distanciel », destinataire (très) compréhensif des exercices de pédagogie des professionnels.

A la une

France Inter, Sciences Po et la Palestine : « nuance » ou calomnie ? (3/3)

Comment France Inter défigure un mouvement étudiant.