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Retraites : les débats déséquilibrés de « C à vous »

par Pauline Perrenot, Quentin Hurel,

Du 2 janvier au 3 février 2023, nous avons visionné l’émission « C à vous », diffusée quotidiennement sur France 5 de 19h à 20h (53 minutes). Elle est animée par Anne-Élisabeth Lemoine, rythmée par les éditoriaux de Patrick Cohen et ponctuée des interventions de différents chroniqueurs (Pierre Lescure, Émilie Tran Nguyen, Matthieu Belliard et Mohamed Bouhafsi). Pendant un mois, la contre-réforme des retraites y a occupé une place prépondérante. Au prix d’un déséquilibre flagrant de l’information et du « débat ».

Pendant un mois, et quoique de manière inégale, le projet de contre-réforme fut traité dans 21 éditions de « C à vous », déclinées comme suit :


(cliquer sur l’image pour agrandir et zoomer)


Un premier constat s’impose : comme la totalité des magazines d’actualité audiovisuels, « C à vous » est une émission de commentaire qui réserve ses micros à des « professionnels de la parole publique » : majoritairement des élus (anciens ou actuels) et des éditorialistes, suivis par les porte-parole et représentants syndicaux. En un mois, on ne compte que deux micro-sujets où purent s’exprimer des travailleurs : le 4 janvier, 26 secondes furent généreusement dédiées à la question de la pénibilité des métiers de l’automobile et le 24 janvier, 3 minutes et 30 secondes d’antenne furent accordées aux égoutiers de Paris, dont les journalistes filmèrent brièvement les conditions de travail avant de solliciter leur avis, plus brièvement encore, sur la contre-réforme des retraites. Ajoutons à cela, les jours de manifestations, deux séquences résiduelles de micro-trottoir : 50 secondes le 19 janvier et 1 minute 45 le 31 janvier, auxquelles s’ajoutent 40 secondes de prises de parole de lycéens. Pour le journalisme de terrain donc, on repassera.

Comme ailleurs dans l’audiovisuel, le format privilégie l’interview en plateau et le journalisme de commentaire. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que dans cette catégorie, « C à vous » a fait montre d’une conception toute particulière du pluralisme. Sur le papier, on compte 12 défenseurs de la réforme contre 9 opposants [1]. Un décompte qui ne suffit pas à lui-même, toutefois, tant l’inégalité des conditions d’expression allouées aux différents intervenants est importante [2]. À conditions égales (un « seul en plateau » d’une durée supérieure à dix minutes), les promoteurs de la contre-réforme des retraites sont deux fois plus représentés que leurs adversaires (6 contre 3 [3]). Parmi les premiers à disposer d’un dispositif favorable figurent les élus (Éric Ciotti, Olivier Véran, Aurore Bergé et Gabriel Attal), et les éditorialistes (Alain Duhamel et François Lenglet). À ce sujet, le service public n’a pas hésité à s’assurer (exclusivement) les services de journalistes favorables à la réforme des retraites et déjà omniprésents dans les médias privés : Alain Duhamel et François Lenglet – intervenant quotidiennement sur BFM-TV pour l’un, RTL et TF1 pour l’autre –, mais également deux invitations (en moins de deux semaines) à Nicolas Beytout, travaillant à L’Opinion et Europe 1. Quelle audace !


Pluralisme ?


Du côté des « détracteurs » de la réforme, France 5 a, là encore, joué à ne pas trop se faire peur. Parmi les huit – nous excluons Roger Pol-Droit, interrogé sur le sujet pendant moins de trois minutes –, François Hollande et Arnaud Montebourg captent une invitation chacun. Deux intervenants d’autant plus illégitimes à incarner « l’opposition » qu’ils n’y jouent absolument aucun rôle – ni au Parlement, ni a fortiori au sein du mouvement social – et qu’ils furent, de surcroît, respectivement président de la République et ministre lorsque fut imposé le précédent recul social sur le terrain des retraites [4] ! Du reste, et afin de mesurer la teneur de « l’opposition » qui fut proposée aux téléspectateurs, seule suffit la teneur de quelques-unes des questions adressées à François Hollande :

- Anne-Élisabeth Lemoine : Donc si je vous comprends, il aurait suffi à Emmanuel Macron d’accélérer la réforme mise en place pendant votre présidence, la réforme Touraine, sans toucher à l’âge légal, et là, vous n’auriez rien trouvé à redire ? [...] Il aurait fallu attendre la fin du quinquennat ? [...]

- Émilie Tran Nguyen : Menacer les élus [de coupures d’électricité dans les permanences], c’est un nouveau pas franchi dans la contestation ?

- Patrick Cohen : Puis après les élus, ça pourrait être des polémistes, des éditorialistes, des journalistes aussi qui prennent position pour la réforme !

Patrick Cohen craindrait-il un blackout sur le plateau de « C à vous » ?

Certes, deux véritables opposants – Alexis Corbière (LFI) et Yvan Ricordeau (CFDT) – avaient été invités... avant la présentation du texte officiel par la Première ministre. Face au premier (2/01), le sujet fut d’ailleurs traité de manière marginale : 5 minutes 30, top chrono [5]. Quant au second (4/01), s’il a disposé d’un temps de parole légèrement plus important (12 minutes environ), les journalistes l’ont moins invité à exposer des arguments de fond qu’ils ne l’ont questionné sur « la menace d’une mobilisation sociale d’ampleur [...] agitée hier [par Laurent Berger] ». En d’autres termes, la légitimité des grèves était en question, avec, en sous-texte, la dénonciation d’un certain « jusqu’au-boutisme » des syndicats :

- Il n’y a que la rue pour faire bouger le gouvernement ?

- Est-ce que la retraite est réformable en France ? [Oui, bien sûr.] Bien sûr ?!

- Quels que soient les aménagements autour de ce texte de loi, si l’âge de départ à la retraite est reculé à 64 ans, vous appellerez immédiatement à la mobilisation ?


Sans oublier une interrogation à propos de « ce que craint le gouvernement » : « c’est presque plus le retour des Gilets jaunes [...] qu’une mobilisation syndicale. Vous le ressentez ça ? » Le reste de l’entretien est encadré par l’épouvantail du « déficit budgétaire », qui déclenche mécaniquement deux interruptions-réflexes chez Patrick Cohen : « Donc il y a besoin d’une réforme. [...] Donc il y a besoin d’une réforme. » Du reste, deux jours plus tard face à Frédéric Dabi, la présentatrice Anne-Élisabeth Lemoine résumera tout le bien qu’elle pense de l’opposition : « L’opposition à cette réforme, elle est toujours aussi forte dans l’opinion française ? […] Donc ils sont contre une réforme dont ils ne connaissent pas les détails ? » (6/01)


Syndicalisme : point trop n’en faut pour « C à vous » !


Passée la présentation de la réforme par Élisabeth Borne, trois syndicalistes seront invités en trois semaines. Sollicités l’un et l’autre au soir des deux grandes journées de mobilisation (19/01 et 31/01), François Hommeril (CFE-CGC) et Fabrice Angei (CGT) n’en remportent pas moins qu’une demi-part de gâteau : aucun ne s’exprime seul en plateau. Nicolas Beytout, tête d’affiche de L’Opinion et intervenant de surcroît quotidiennement sur Europe 1, est convié à ces deux reprises. Pour quoi faire ? « Équilibrer » une balance déjà fortement déséquilibrée ? Le mirage de ce type de « duel » est connu, et il s’est ainsi produit... ce qui devait nécessairement se produire. D’abord, un temps de parole syndical rogné et parasité par les interruptions intempestives de Nicolas Beytout, doublées d’une morgue non déguisée, particulièrement manifeste à l’égard du responsable cégétiste. Exemple :

- Fabrice Angei : On voit bien qu’avec cette réforme des retraites, c’est bien notre socle social, notre modèle de société qui est attaqué là-dessus. C’est bien ça qui est attaqué. Et donc [coupé]

- Nicolas Beytout : Ouais, c’est le travail. C’est de savoir s’il faut travailler plus.

- F. A. : Le travail c’est autre chose [coupé]

- N. B. : Ben non, ben précisément ce n’est pas autre chose. [Rires]

- F. A. : On peut travailler tous en travaillant moins. Parce que nous, on porte les 32 heures [coupé]

- N. B. : Non ça... le partage du temps de travail, ça n’a pas très bien marché !

- F. A. : Si, ça marche [coupé]

- N. B. : Bah les 35 heures, ça n’a pas très bien marché !

- F. A. : Bah écoutez, il y a y compris des entreprises aujourd’hui qui expérimentent les 4 jours avec les semaines de 32 heures et il y a des pays qui le font aussi en Europe [coupé]

- N. B. : Non. Je ne sais pas si on doit débattre sur le temps de travail mais la France est le pays qui, en durée hebdomadaire et en durée de la vie entière, travaille le moins. Et comme le disait Patrick [Cohen], on a un sujet qui est qu’on fait entrer moins de recettes alors qu’on continue à dépenser davantage.

Circulez.

Ensuite, une disqualification bête et méchante des opposants en général... et de certains en particulier. Le 31 janvier, alors qu’un magnéto diffuse deux réactions d’étudiants dans les manifestations, l’éditocrate ne se tient plus :

Nicolas Beytout : Ce jeune qu’on a entendu est manifestement un militant politique, en tout cas sûrement très politisé. Et je ne le vois pas atteint au cœur de son angoisse personnelle sur « qu’est-ce que je ferai dans 42, 43, 44 ans »... [...] J’[avais] pas beaucoup de copains qui se projetaient en se disant « plus que 43 ans et demi, plus que 43 ans, plus que 42 ans et demi » ! Je pense que là, on est dans une posture qui est soit celle de la politique, soit celle de gens qui ont une espèce de conscience de leur vieillesse qui, en tout cas, moi, m’étonne aujourd’hui !


Enfin, une prescription à tout-va du « prêt-à-penser ». La mobilisation dans le privé ? « Le climat n’est pas éruptif comme on pourrait le penser. » L’opposition dans le pays ? « L’opinion est hostile à la réforme, mais elle pense qu’elle va passer. » L’acharnement du gouvernement ? « Il était plus que temps qu’on ait un langage de fermeté. » Affaires classées. L’émission avec François Hommeril, interrompu et pris à partie par Nicolas Beytout – « Je me demande comment ça fonctionne dans votre tête ! » – était du même tonneau. Rendons grâce au service public d’avoir ainsi plébiscité, par temps de mobilisation sociale, un éditocrate réputé pour ses analyses de haute volée, et dont le niveau fut une nouvelle fois confirmé : « Il y a un autre phénomène qui a aussi aidé à faire passer cette journée, ce jeudi noir, et à le rendre un peu moins désagréable. C’est le vélo. En 2010, en 2019 un peu plus, en 2010, on circulait très peu à vélo dans la ville, il y avait peu de vélo à Paris et aujourd’hui, c’est plus simple. » (19/01) Vous avez dit « nombrilisme » ?

Terminons le panorama du traitement des « opposants » avec la réception de Laurent Berger. La quasi-totalité de l’entretien consiste, pour les journalistes, à délégitimer la contestation. Les uns après les autres, tous les ressorts sont mobilisés. Opposer les stratégies syndicales entre elles ? Fait :

- Anne-Élisabeth Lemoine : La CFDT ne voulait pas s’associer à ces blocages, dans les raffineries, les centrales EDF, les ports, les docks. Pourquoi ? Parce que la CGT y va trop fort et trop tôt ?

Pronostiquer de manière performative le retournement ou la résignation de « l’opinion » ? Fait :

- Anne-Élisabeth Lemoine : Est-ce que vous allez lancer un appel à la grève, par exemple pendant les vacances scolaires ? [Elles] s’étalent en France sur trois zones pendant un mois... Parce que ça, ça peut agacer les Français !

- Patrick Cohen : Ce que vous venez de dire en creux, c’est que les perturbations décidées par certains syndicats et notamment la CGT peuvent nuire à la popularité du mouvement anti-réforme. [Anne-Élisabeth Lemoine :] Et faire un cadeau au gouvernement !

- Anne-Élisabeth Lemoine : [L’opinion est] opposée mais résignée. Un sondage à vous soumettre : effectivement, 72% des Français rejettent la réforme [...]. Et pourtant, 71% des Français pensent que la loi sera votée et appliquée. Il y a une forme de résignation Laurent Berger.

Délégitimer le soutien des élus à la contestation ? Fait :

- Émilie Tran Nguyen : Qu’une maire [Anne Hidalgo] décide de fermer sa mairie pour soutenir cette contestation, c’est son rôle ?

Faire passer la CFDT pour un syndicat « jusqu’au-boutiste » ? Fait :

- Patrick Cohen [à propos du congrès de la CFDT en juin 2022, où les adhérents entérinèrent leur refus de l’augmentation de la durée de cotisations et du relèvement de l’âge légal]  : Avec ce vote, la CFDT a fermé une porte. Elle a réduit les options de l’exécutif et vous a privé d’une marge pour négocier. [...] Le durcissement de la CFDT rend impossible tout accord syndical sur une réforme des retraites, du moins paramétrique, il rend quasiment automatique un front uni des confédérations comme on l’a vu dans la rue la semaine dernière. D’où ma question Laurent Berger : la CFDT est-elle encore un syndicat réformiste ?


Face aux opposants, ce type d’obstruction a une conséquence : l’exposition un tant soit peu étayée d’un contre-projet pour les retraites est inexistant dans « C à vous ». On notera aussi la surreprésentation du Parti socialiste, et la quasi-absence d’autres représentants de gauche – ce qui n’empêche pas « C à vous » de taper sur le groupe La France insoumise, cible journalistique par excellence. Le 30 janvier, pour traiter le débat parlementaire, Émilie Tran Nguyen fait par exemple le choix de la caricature : une chronique inepte, qui se contente de sélectionner les termes « violents » avec lesquels les députés Nupes qualifient le projet de loi, surlignés à l’écran façon « Quotidien », en invisibilisant totalement l’argumentaire de fond.



Et la journaliste de conclure, pour le spectacle :

Les membres de la Nupes qui réclament de la douceur et qui dénoncent la violence le matin la promettent pourtant l’après-midi. Notamment le député Sébastien Jumel, qui a beaucoup fait réagir en remettant sur la table les possibles coupures de courant des élus.

Vous avez dit « médiocrité » ?


Place centrale pour le gouvernement


Le traitement des ministres et des soutiens du gouvernement n’a que peu de chose à voir avec celui des opposants. Notons, d’emblée, que ces derniers disposent généralement non seulement d’un temps d’expression plus important dans l’émission, mais également d’un meilleur calendrier. Dans la semaine suivant la présentation du texte officiel par la Première ministre (10 janvier), les invités sont ainsi exclusivement des défenseurs de la réforme : Éric Ciotti (10/01) et Olivier Véran – porte-parole du gouvernement (11/01) [6]. Le second dispose de 30 minutes pour faire part de sa « pédagogie ». Quant au premier, il est invité à préciser pendant une vingtaine de minutes si « en l’état, Les Républicains vont apporter leur soutien et leurs voix à la réforme des retraites d’Élisabeth Borne » (Anne-Élisabeth Lemoine). Et le moins que l’on puisse dire, c’est que la rédaction de « C à vous » les encourage en ce sens. Émilie Tran Nguyen : « C’est une question de responsabilité mais c’est aussi ce que vous demandaient les électeurs. Le Figaro rapporte hier que vous avez reçu, et ça vous a étonné d’ailleurs, de nombreux courriers des électeurs LR qui vous encourageaient à tout faire pour que cette réforme voie le jour. »

Si les interviews ne sont pas dénuées de contradiction, le temps d’antenne et l’agenda de l’émission n’en restent pas moins enfermés dans le cadrage gouvernemental, et ponctués des réflexes journalistiques traditionnels par temps de mobilisation sociale. Un bel exemple : à la veille de la première journée de grève (18/01), la rédaction ne choisit pas seulement de donner la parole à Aurore Bergé, présidente du groupe Renaissance à l’Assemblée nationale. Elle débute l’entretien de cette dernière par une revue de presse qui annonce un « jeudi noir », une « journée noire » et la « pagaille », établit des constats lumineux – « Il n’y aura pas de trains » –, édicte des conseils démobilisateurs – « Évitez de vous déplacer » –, et livre aux téléspectateurs quelques réactions de « Français » triés sur le volet : « On va être emmerdé » ; « Ils nous emmerdent » ; « Je comprends le droit de grève mais en fait vraiment, vous nous cassez les pieds ». Le décor est planté... Si Aurore Bergé ne se voit pas intégralement dérouler le tapis rouge, l’accompagnement du gouvernement reste plutôt de mise, y compris quand il s’agit d’encourager les entraves au droit de grève :

- Anne-Élisabeth Lemoine : Comment concilier le droit de grève et le droit à la libre circulation, tous les deux sont constitutionnels, ça veut dire qu’il faut un service minimum ? Il faut l’étendre ?

- À quel moment on peut étendre le service minimum ? À partir du moment où le mouvement est reconduit comme le souhaite d’ailleurs Philippe Martinez de la CGT partout où c’est possible ?


Bien sûr, de la contradiction point ici ou là. Les éditos de Patrick Cohen parviennent – parfois, seulement ! – à démystifier la communication gouvernementale. Sourcés et davantage axés sur le « fact-cheking » que sur la prescription d’opinion, ils prennent notamment à revers le slogan d’une réforme dite « juste » [7]. La limite du genre ? Les raisonnements sont la plupart du temps enfermés dans une perspective comptable et négligent l’information sur les alternatives (progressistes), systématiquement laissées dans l’angle mort. Au point d’aboutir à des « débunkages » étriqués, comme celui concernant les inégalités d’espérance de vie (13/01), que commentait notamment Arrêt sur images. En d’autres termes, le cadrage gouvernemental reste bel et bien dominant dans l’agenda de Patrick Cohen, qui ne figure certes pas parmi les éditorialistes aveuglés par « la-réforme », mais n’en demeure pas moins partisan d’une réforme systémique telle que l’avait conçue Emmanuel Macron en 2019. La retraite à 60 ans, défendue par une large partie de la gauche, est de ce fait disqualifiée... par omission : aussi pointu soit-il, un « fact-checkeur » demeure un journaliste sélectionnant ses informations, choisissant de traiter telles études pour éclairer tels points de vue plutôt que d’autres, en plus de ne pas être à l’abri de succomber aux sirènes de la communication gouvernementale ! Le 8 février dernier, si Patrick Cohen taclait la « fausse promesse » du gouvernement concernant une « retraite minimale à 1200 euros », il oubliait de préciser que lui-même avait dûment relayé le mensonge un mois plus tôt, à l’instar de la quasi-totalité de ses confrères et consœurs :

[Sur le passage de 65 à 64 ans], le dialogue a payé et la première ministre fait référence, effectivement, à la proposition qui a été votée au Sénat à l’initiative des sénateurs LR. Même chose quand Élisabeth Borne annonce que la pension minimum sera revalorisée à 1 200€ pour tous les retraités, futurs et actuels. Cela concerne 2 millions de personnes. C’était une annonce très attendue. La Première ministre l’a présentée comme une évolution de sa réforme, en oubliant que c’est ce qu’avait promis pourtant Emmanuel Macron durant sa campagne présidentielle. (10/01)

Oups !


Terrain de jeu pour éditocrates


Enfin, soulignons qu’aux nombreuses invitations adressées par « C à vous » aux responsables politiques « pro-réforme » s’ajoutent celles des journalistes VRP. Hormis le cas Beytout, déjà abordé, les émissions avec Alain Duhamel (27/01) et François Lenglet (3/02) valent au moins autant le détour. Face au journaliste de BFM-TV, Patrick Cohen se charge de l’introduction en avançant « deux éditos » prospectifs contradictoires... Dans le premier, Patrick Cohen évoque la possibilité d’un projet « condamné » compte tenu de l’opposition de la population. Dans le second, il prend cette option à revers – c’est dire l’inanité de l’exercice « édito » ! – en adressant un soutien au gouvernement :

Patrick Cohen : Les réformes des retraites sont impopulaires par nature. [...] Le soutien à la mobilisation reste majoritaire, mais ce n’est pas encore un raz-de-marée. D’après Odoxa pour Le Figaro [...], ce soutien a même reculé ! De quelques points en une semaine. Regardez : 63% contre 66%. [...] L’opinion commune est encore que la réforme va passer, [...] l’opposition en tant que telle n’est pas si forte, avec une gauche engluée dans ses querelles de partis et un RN pétri de contradictions. [...] La bataille peut être longue et rude mais Emmanuel Macron sait parfaitement que s’il recule sur une réforme dont il a fait un totem, son quinquennat sera terminé.

Des « deux éditos », Duhamel choisit évidemment le second... et acquiesce : « [Le quinquennat] sera à la fois vide de sens, vide de prestige et même vide d’objectifs identifiables. » Infatigable, le dinosaure médiatique prophétise que « l’opinion » finira par « se résigner ». L’exemple du CPE en 2006, lorsque Jacques Chirac retirait un texte pourtant voté ? « Ça a été ridicule et Chirac ne s’en est pas remis ! » La contestation ? « La question est de savoir si les syndicats seront gérables et si les Français seront gérés. [Rires] » L’action des mairies contre la réforme ? « Un peu ridicule aussi. Les mairies font du blocage, elles bloquent un service public. » Même dispositif, même carnaval le 3 février avec François Lenglet. Un seul extrait, pour ne pas abrutir nos lecteurs :

- Anne-Élisabeth Lemoine : François Lenglet, est-ce qu’il y a une sorte de schizophrénie sociale des Français, qui sont heureux au travail, mais qui ne veulent pas travailler plus longtemps ?

- François Lenglet : Oui, je crois.

Inutile de développer davantage : depuis un mois, l’éditocrate a le loisir de répéter tout le bien qu’il pense de cette réforme sur les chaînes qui l’emploient : le groupe TF1 et RTL.


***


Surreprésentation des défenseurs de la réforme ; iniquité des dispositifs ; deux poids, deux mesures dans le traitement des invités selon qu’ils sont élus de la majorité ou syndicalistes ; tapis rouge aux éditorialistes déjà omniprésents dans des médias privés ; caricature de la gauche politique, marginalisée au profit d’anciens ministres socialistes n’exerçant plus de fonction dans le paysage politique ; absence manifeste d’information sur les alternatives progressistes à « la-réforme » et de reportage sur le mouvement social ; invisibilisation des travailleurs... Du 2 janvier au 3 février, le traitement de la réforme des retraites et de la mobilisation sociale par « C à vous » a pâti des biais médiatiques traditionnels par temps de réforme. Et derrière un « pluralisme » de façade, ce « rendez-vous incontournable » (autoproclamé) du service public manie l’information et le « débat » comme la majeure partie des magazines d’actualité audiovisuels : en les mutilant.


Quentin Hurel et Pauline Perrenot

 
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Notes

[1Nous avons exclu de la catégorie des « défenseurs » le député du Modem Richard Ramos, sans pour autant le classer dans l’opposition : critique de la réforme en l’état, il croit néanmoins en des « améliorations » du texte et reste un fervent défenseur du précédent projet de retraite à points macroniste... Nous n’avons pas non plus comptabilisé le sondologue Frédéric Dabi, qui n’exprime aucun point de vue tranché au cours de son interview.

[2Roger Pol-Droit est invité le 13 janvier. Le sujet des retraites est abordé de manière totalement anecdotique puisqu’il est interrogé sur le sujet pendant moins de trois minutes.

[3Yvan Ricordeau, François Hollande et Laurent Berger sont les seuls opposants seuls en plateau à avoir été interrogés pendant plus de dix minutes sur le sujet.

[4La loi Touraine de 2013-2014 fut à l’origine de l’augmentation de la durée de cotisations.

[5Alexis Corbière fut prioritairement interrogé sur les crises au sein de La France insoumise.

[6Les 12 et 13 janvier sont conviés Daniel Cohn-Bendit (autre défenseur de la réforme), et Roger Pol-Droit, mais ces derniers s’expriment respectivement moins de trois minutes sur le sujet.

[7« D’un point de vue financier, [la solution du recul de l’âge légal] est la plus efficace et d’un point de vue social, c’est la plus injuste », affirme-t-il par exemple le 5 janvier, avant de détailler davantage le 11 janvier : « Ce sont bien les carrières modestes et précoces qui se retrouvent les plus pénalisées. »

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