« Les grands médias furent rares à s’émouvoir »
Les attaques aériennes de la coalition internationale qui ont tué au moins 85 civils syriens mardi 19 jullet – soit une victime de plus qu’en France lors de l’attentat de Nice le 14 juillet, n’ont même pas été mentionnées en « une » de deux des plus grands journaux américains (le New York Times et le Los Angeles Times) et n’ont fait l’objet que de quelques lignes en « une » du Washington Post et du Wall Street Journal, les reportages étant relégués respectivement en pages 15 et 16.
Selon le London Telegraph du 19 juillet dernier, ces frappes aériennes ont tué « plus de 85 civils après que la coalition les a pris pour des combattants de l’Etat islamique ». Huit familles figuraient parmi les victimes dont certaines n’avaient « pas plus de 3 ans ». Le même jour, l’organe de presse indépendant The Intercept estimait que le bilan humain pourrait largement dépasser la centaine de morts. Selon Stars and Stripes, agence d’information qui émane du ministère de la Défense [états-unien], le Pentagone n’a pas contredit ces chiffres, affirmant qu’une enquête était en cours.
Comme beaucoup l’ont fait remarquer sur Twitter, le nombre de morts était à peu près équivalent à celui du récent attentat de Nice qui a fait l’objet de plusieurs « unes » dans le New York Times et le Los Angeles Times, et auquel le Washington Post et le Wall Street Journal ont consacré de longs articles ; l’attaque aérienne [du 19 juillet], en revanche, a été loin de bénéficier de la même couverture médiatique et les grands médias furent rares à s’émouvoir, contrairement à ce qui s’est produit lors de l’attentat de Nice.
Faux arguments et vrais prétextes
Ceux qui y voient une « fausse équivalence » avancent deux « bonnes raisons » à cette dissymétrie flagrante : 1) les morts dans les frappes aériennes ont été victimes d’un « accident » et 2) la Syrie est un zone de guerre où il faut s’attendre à la mort de civils. Aucune de ces réponses n’est réellement convaincante, en tout cas pas assez pour justifier une quasi absence en « une » des grands journaux.
Concernant les morts accidentelles censées être moins importantes que les crimes délibérés, il resterait à expliquer pourquoi les victimes de catastrophes naturelles que personne n’a voulues font régulièrement les gros titres. Car ce n’est pas l’intentionnalité qui importe à ceux qui couvrent ces événements, mais bien le nombre de victimes. Encore faut-il savoir si ces morts ont effectivement été accidentelles, ce qui n’est pas sûr à l’heure qu’il est, ou si l’armée américaine a utilisé une stratégie – telle que les « signature strikes » [Ndt : que l’on peut définir comme des frappes « préventives » suite à des comportements ennemis suspects] – dont on sait qu’elles augmentent considérablement les probabilités de tuer des civils.
Quant à l’argument de la zone de guerre, selon Airwars, groupe occidental qui recense les civils morts suite aux frappes de la coalition dirigée par les Etats-Unis, le nombre total de civils morts depuis le début des frappes aériennes en septembre 2014 s’élève à 190. L’augmentation de ce chiffre de près de 50% en quelques jours constituerait en réalité un changement radical par rapport à la situation habituelle – qui justifierait largement qu’elle fasse l’objet d’une couverture médiatique digne de ce nom.
Tous les organes de presse mentionnés ci-dessus ont bien évoqué les « dizaines de morts » consécutives aux attaques aériennes menées par les États-Unis, ce qui montre qu’ils les ont considérées dignes d’intérêt. Mais pas suffisamment, semble-t-il, pour les mettre en valeur auprès du public américain.
Adam Johnson pour FAIR
(Traduit par Thibault Roques pour Acrimed)