Quelques heures seulement après l’attentat, Olivier Truchot anime un plateau sur BFM-TV en compagnie de Bruno Jeudy, Gilles Clavreul, et Laurent Joffrin. Aux alentours de 18h50, la discussion opère un virage : d’une attaque raciste commise par un ancien candidat FN, le débat dérive progressivement – et d’une manière qui semble absolument naturelle parmi les débatteurs – vers… le « communautarisme » musulman, la laïcité et la lutte contre la radicalisation ! Vous avez dit « indécent » ?
Alors que la discussion porte sur les réactions de différentes personnalités politiques, et sur le climat de ces dernières semaines, tout commence par une intervention de Laurent Joffrin qui va (sans doute involontairement) remettre dix pièces dans la machine :
- Laurent Joffrin : Les pouvoirs publics doivent quand même répéter, comme je le fais pour la 22 000ème fois que la masse des musulmans, comme ceux de cette mosquée, n’ont rien à voir avec les attentats et avec la violence terroriste. Rien du tout.
- Olivier Truchot : Mais ça c’est dit Laurent, dit et redit ! C’est dit par les présidents successifs, Hollande, Macron !
- Laurent Joffrin : Mais à chaque fois, il y a une partie de la droite et de l’extrême droite qui disent : « Ce sont des naïfs, […] ils n’osent pas remettre en cause […] le "communautarisme" ». C’est un mot très flou, et en fait la plupart des gens qui dénoncent le « communautarisme », c’est pour dénoncer les musulmans.
- Bruno Jeudy : Oui mais alors à ce moment-là Laurent, la mise en garde contre le communautarisme, c’est aussi le fait d’Emmanuel Macron. […]
- Olivier Truchot : C’est Macron aujourd’hui même qui a dit : « Il faut lutter contre le communautarisme », et il l’a dit aux musulmans, donc voyez ! Il a demandé qu’il fallait être plus offensif.
Et c’est ainsi que le débat déraille. Oublieux de l’objet même de la discussion, les intervenants vont reprendre, comme en pilote automatique, le cours des débats hystérisés auxquels nous avons assistés pendant près d’un mois autour du voile ou de la « société de vigilance » [1]. Les propos des uns alimentent les propos des autres et personne n’alerte sur la sortie de route.
Gilles Clavreul s’empresse ainsi de mentionner que « les présidents successifs insistent très fortement » sur la nécessité de ne pas faire d’amalgames entre le terrorisme et l’immense majorité des musulmans. Quel était le sujet de départ, rappelez-nous ? Un attentat contre une mosquée et deux fidèles. Merci. Puis Laurent Joffrin embraye, et Olivier Truchot saisit la perche :
- Laurent Joffrin : Il faut définir aussi, ça veut dire quoi « communautarisme » ?
- Olivier Truchot : Bah c’est les gens qui se séparent de la République en vivant entre eux et en renonçant finalement à suivre ses règles, qui se séparent en quelque sorte de la République et des valeurs de la République. Et qui pensent que ces valeurs sont supérieures aux valeurs de la République.
- Bruno Jeudy : Et qui veulent pour certains que leurs valeurs religieuses notamment soient au-dessus des règles de la République.
Le sujet de départ, s’il vous plaît ? Bis. Et ce n’est que le début du feu d’artifice :
- Olivier Truchot : Bon, après, on peut dire qu’une fois qu’on aura mis fin à l’islamisme radical, celui qui tue, celui qui provoque des attentats, est-ce que ça fera pas tout simplement rebaisser la tension et calmer les choses ?
- Gilles Clavreul : Des deux côtés, enfin, il n’y a pas de raison particulière de privilégier un combat par rapport à un autre.
- Olivier Truchot : Non, mais ça enlèvera des arguments aux autres.
Bref, résumons : lorsqu’une mosquée et deux fidèles sont attaqués par un ex-militant frontiste, serait-ce le moment de pointer l’idéologie d’extrême droite ? Pas pour Olivier Truchot. La suite est à l’avenant. Les mosquées vont revenir au centre du débat… mais pas vraiment de la manière dont on pouvait l’imaginer :
- Olivier Truchot : Et de nouveau maintenant, il est prévu de renforcer la laïcité avec de nouvelles mesures. […] Comment expliquer que ce n’est pas très défini, ce n’est pas très clair ?
- Bruno Jeudy : Ce n’est pas si simple que ça. Il y a des questions assez complexes sur le financement des mosquées, etc. des choses assez complexes qui peuvent être matière à discussion pour l’exécutif. […] [Emmanuel Macron] veut plutôt se concentrer, et ça ne va pas faire plaisir à Laurent Joffrin, sur la lutte contre le communautarisme et l’islamisme.
Et puisqu’on y est, c’est la question du voile – cela faisait longtemps – qui refait son apparition (après avoir monopolisé les X soirées précédentes de la chaîne d’information) :
- Laurent Joffrin : Je ne dis pas que ça n’existe pas, je dis qu’il faut qu’on le définisse parce qu’autrement, on est dans la confusion la plus totale. […] Il y a une loi de 1905, la loi sur la laïcité, et il n’y a pas lieu de la modifier substantiellement.
- Olivier Truchot : Il y a un débat hein ! Les gens pensent qu’il faut la modifier parce que la France a changé et qu’elle ne ressemble pas à la France de 1905 ! […] Demain au Sénat par exemple, les sénateurs de droite vont déposer une proposition de loi qui veut interdire le port du voile lors des accompagnements scolaires.
Il aurait été dommage de ne pas en parler ! Olivier Truchot est soulagé. Mais avant de clore la discussion, il ose à l’envolée une dernière question, qu’il n’a probablement pas eu l’occasion de poser au cours des trois semaines qui ont précédé :
Mais l’islam politique, par exemple, c’est quoi précisément ? Et il faut lutter contre ça ?
À cet instant, il n’est pas inutile de rappeler que le sujet de départ est : un attentat islamophobe. Ter. Conclusion de « l’expert » :
Gilles Clavreul : On a l’impression d’une grande confusion dans tout ça, le Président a dit : « Il ne faut pas mélanger les sujets », […] mais on ne sait pas si on parle de terrorisme, de communautarisme, de structuration de l’islam voire d’immigration. Tous ces sujets se promènent les uns autour des autres sans qu’on arrive vraiment à fixer clairement le cadre. […] Il y a une panne de cadre, de définition des sujets dont on parle tous, tout le temps, toute la journée.
Une chose est sûre : quand le cadre médiatique bascule le plus naturellement du monde d’un attentat commis par un ancien candidat d’extrême droite contre les fidèles d’une mosquée, au danger du « communautarisme » musulman, à la laïcité « menacée » et à la radicalisation, il y a clairement une panne de cadre dans les débats de BFM-TV.
Pauline Perrenot
Post-scriptum : de l’art des bandeaux
Notons au passage la tournure de ce bandeau, qui confond un édifice avec des humains : comme l’indique le diaporama au-dessus, deux fidèles ont été visés, touchés et laissés dans un état grave par le tireur, qui n’a donc pas simplement visé… « une mosquée ».