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Apologie du harcèlement sexuel sur RMC ?

par Ugo Palheta,

Ancien rugbyman, Vincent Moscato présente une émission consacrée au sport, tous les soirs de la semaine sur RMC. Le 3 octobre 2011, lui et ses chroniqueurs reviennent sur la coupe du monde de rugby, plus particulièrement sur la défaite de l’équipe de France contre les Tonga et l’accusation de harcèlement dont font l’objet trois joueurs anglais. L’occasion d’un déferlement de sexisme.

Pour commencer, les faits. Les joueurs anglais auraient dérobé le talkie-walkie d’une femme de ménage de l’hôtel où ils sont logés, avant que l’un d’entre eux, seulement couvert d’une serviette de bain, exige un « baiser australien », la scène étant filmée avec son téléphone mobile par un autre joueur. « Quand j’ai demandé ce que c’était, il a répondu que c’était une fellation la tête en bas », a expliqué la jeune femme, après s’être enfuie en pleurs de la chambre. Une opportunité pour parler du harcèlement sexuel ou des violences faites aux femmes dans le milieu du sport professionnel ? Hélas, non.


« Des couilles, des couilles et encore des couilles »

Analysant la défaite de la France face aux Tonga dans une assemblée uniquement composée d’hommes, Vincent Moscato et son chroniqueur, Sébastien Chabal, en ont une interprétation subtile et font une recommandation pertinente pour le prochain match face à l’Angleterre :

- Vincent Moscato : « C’est pas la moustache qu’il faut se faire pousser [référence à la décision du sélectionneur français de se laisser pousser la moustache après le match contre les Tonga]. »
- Sébastien Chabal : « Toi tu parlais, il faut se faire pousser des couilles, voilà, je crois qu’aujourd’hui la règle des 3C faut la sortir : des couilles, des couilles et encore des couilles ».

D’autant que les Anglais savent eux-mêmes respecter cette « règle des 3C », comme Vincent Moscato nous l’apprend au terme d’une fine analyse historique : « Je crois que, sincèrement, ils ont envahi le monde, pas parce qu’ils étaient des couilles molles. Tu vois c’étaient les rois sur les mers, sur les airs, partout, parce que c’étaient des mecs qui avaient des couilles, c’est tout, simplement. Des couilles, des couilles et encore des couilles  ».

Mais il y a plus que ces propos de comptoirs, et le sexisme radiophonique s’amplifie avec l’évocation du scandale qui touche l’équipe d’Angleterre.

La présentation de « l’affaire » augure du ton de la « discussion » : outre une déclaration d’intention fort révélatrice (« le sujet, justement, nous excite quelque peu, mon cher Richard »), ce sont des extraits du « Journal du hard » (émission pornographique de Canal+) qui sont diffusés, avant que le journaliste anglais invité à s’exprimer pour l’occasion affirme : « La coupe du monde de la troisième mi-temps on l’a déjà gagnée ». Le sujet introductif se clôt sur une « grivoiserie » qui permet d’emblée de minimiser l’affaire en question : « Attention messieurs les Français : les Anglais, au bord du dérapage, ne sont toutefois pas partis en sucette » [rires gras].


La « spécialité » de Di Meco

Mais la suite va nous faire tomber bien plus bas. Il n’est à aucun moment question de s’interroger sur les comportements des joueurs anglais dans cette affaire, et ce qu’ils peuvent éventuellement révéler. Bien au contraire : ce qui importe à nos chroniqueurs de bistrot c’est de savoir, comme le demande un journaliste de RMC à Vincent Moscato, si « c’est un contexte propice à la performance ? ». Celui-ci commence, ironique : « Les Anglais vont être très choqués. Ils sont très choqués dans un groupe de rugby. Ouais, voilà, c’est une histoire terrible pour ce groupe, qui va être affecté ». Le groupe est « très choqué ». Et la femme de ménage ?

Puis le voilà qui exprime sa profonde pensée, qu’il vaut la peine de citer in extenso : « Non mais, sincèrement, c’est quoi ça ? Moi ce que je trouve, c’est que ça va tuer le métier des femmes de chambre. Ils vont mettre dans tous les hôtels du monde des gros barbus, des Maoris, des machins, elles se tuent le boulot elles-mêmes ! À un moment donné, les patrons d’hôtel vont dire : “Bon, bah, fini, maintenant on va prendre des durs, des tatoués, pour faire le ménage, des gros, comme ça y aura plus une histoire”. Parce que là ça va être la course à l’échalote ».

Vincent Moscato est donc inquiet pour la pérennité des emplois dans l’hôtellerie. Mais il l’est à un autre titre : cette affaire pourrait créer un précédent, et amener à mettre sur le devant de la scène des choses que « tout le monde a fait » : « Des histoires comme on a vécues, qui sont peut-être vraies sur DSK, tout ça, c’est pas la question. Mais là va y avoir répétition : tous les mois va y en avoir une. Chaque fois que va y avoir une équipe de France. [Il s’adresse à un autre chroniqueur : Éric Di Meco, ancien footballeur] Au foot, ça, je pense que vous allez pas y couper. Parce que ça, Éric, quand même, on se le disait : tout le monde l’a fait. T’es là, t’es en petite tenue : la femme de chambre elle rentre, t’as le chichi sur le côté, ça c’est ta spécialité ».


RMC, le 3 octobre 2011

« La vie de groupe c’est d’aller sortir le chichi à la femme de ménage »

Mais ce n’est sans doute pas le pire, puisque nos chroniqueurs se demandent ensuite si les comportements reprochés aux trois Anglais – tout simplement une forme de harcèlement sexuel – ne constitueraient pas… ce qui manque à l’équipe de France. Comme à son habitude, c’est Vincent Moscato qui annonce la couleur : « ça soude un groupe ». Le journaliste de RMC insiste : « C’est pas un peu ce qui nous manque ? Aller faire un peu tout et n’importe quoi en dehors du terrain ? » Réponse de Moscato : « C’est terne un groupe qui n’est que dans le travail. À un moment donné ça fait trois mois qu’ils sont ensemble, il faut un peu s’amuser ». Le harcèlement sexuel n’est donc rien d’autre qu’un amusement absolument nécessaire à la cohésion d’une équipe, comme l’affirme Éric Di Meco :

« Les infos que tu me donnes m’inquiètent. Parce que j’suis sûr que vous allez pas me contredire : les équipes les plus dures avec lesquelles j’ai joué, que ce soit en équipe de France ou en club, c’est chaque fois où on avait en dehors du terrain des comportements comme ça. Parce qu’on a fait des horreurs, tous, c’est pour ça qu’on est un peu emmerdé quand on parle de ça, mais on a tous fait des horreurs. Moi j’ai des souvenirs de stage… […] Et généralement, quand tu es dans la connerie comme ça, […] ça soude le groupe et t’as envie de mourir sur le terrain pour ton pote avec qui t’as fait des conneries pendant le week-end. Et ça, justement, j’ai pas l’impression que les Français soient capables de faire des trucs comme ça. Et ce que font les Anglais, parce que c’est vrai qu’ils sont nuls […], mais par contre quand à la fin il a fallu aller chercher la victoire, bah ils ont été capables. Et peut-être que c’est ces petites conneries qu’ils font ensemble, des trucs qui font que tu vas te défoncer pour ton pote… […] La vie de groupe c’est d’aller sortir le chichi à la femme de ménage. On est trois, on rigole ».


RMC, le 3 octobre 2011


Bel aveu, puisque ce qu’Éric Di Meco exprime, en s’appuyant sur son passé de sportif de haut niveau, c’est ce précepte proprement sexiste que l’humiliation des femmes (ces « petites conneries » comme il le dit) accroît la solidarité des hommes. À travers ce prisme, la conclusion n’est pas difficile à énoncer : si l’équipe de France s’est inclinée face aux Tonga, c’est que les joueurs français n’ont pas pris assez de soin à humilier les femmes de ménage de leur hôtel. Une nouvelle fois, ici par le biais des grands médias, ce sont les violences et les humiliations quotidiennes faites aux femmes qui sont naturalisées, banalisées et légitimées.


Ugo Palheta

P.-S. : Nous avons été menacés de procès en diffamation par les services juridiques de RMC si nous ne retirions pas cet article : c’est hors de question. Nous nous sommes bornés à modifier le titre, en ajoutant un point d’interrogation. La question mérite en effet d’être posée. Est-ce diffamatoire de le faire ? On relit ! « La vie de groupe c’est d’aller sortir le chichi à la femme de ménage. On est trois, on rigole ». Faut-il rappeler que de tels comportements, s’ils étaient avérés, pourraient tomber sous le coup de la loi ? (le 6 octobre 2011)

 
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