Quelle société civile ? Quels mouvements sociaux ? L’art de tout mélanger…
Le dossier débute par une analyse générale des mouvements sociaux signée Jan Aart Scholte. Dès les premiers paragraphes, on se demande de quoi l’on parle. Le chapô de l’article annonce que la "société civile se bat pour un avenir plus juste", mais on apprend une colonne plus loin que celle-ci est composée de "groupes d’experts plus ou moins proches des pouvoirs, d’associations d’homme d’affaire, d’ONG de développements, de syndicats, d’églises,[…]" bref, comme le résume un encadré, tous les groupes qui ne sont ni "l’Etat [ni] le marché" et qui "influent sur les politiques publiques et les choix politiques, mais sans participer directement à l’exercice du pouvoir". Une définition tellement vague qu’elle permet tous les amalgames : "D’un côté, des "conformistes" veulent renforcer les règles existantes : ce sont souvent des associations d’homme d’affaires, des groupes de réflexion, des fondations qui soutiennent sans complexe le néolibéralisme. De l’autre des "réformistes" et des "transformistes" se font les défenseurs d’une autre mondialisation, plus ou moins radicalement différente."
Alors que tout le dossier est consacré à cette seconde catégorie (les altermondialistes), ceux-ci sont donc mis sur le même plan que les "think tanks" ou les participants au forum de Davos. On peut se demander à quoi sert un tel amalgame. Peut-être à renvoyer dos-à-dos les deux catégories (une technique qui, on le sait, profite toujours aux dominants). Peut-être à expliquer aux altermondialistes que, bon, ils ne sont pas tous seuls et qu’il faut écouter tous les points de vues, et blablabla. Peut-être à renvoyer tout le monde dans l’illégitimité puisque, comme il est dit, "on ne peut éluder la question de la légitimité : à quel titre les organisations de la "société civile" sont-elles habilitées à exercer une influence sur les aspects politiques de la mondialisation ?" Et à quel titre on t’a demandé des commentaires ?
Mais nous ne sommes qu’au début de nos surprises.
Quelques lignes plus loin, on apprend en effet que leur nouvelle puissance "leur vient surtout de la carence de gouvernement mondial". On lira de même, dans un autre article, que "les ONG ont le pouvoir que les Etats veulent bien leur concéder." Pour Alternatives Internationales, il n’y a
donc pas de doute : les altermondialistes sont là "car la nature à horreur du vide" !
Tenez-vous bien : "la régulation étatique traditionnelle est devenue insuffisante face à des catastrophes écologiques qu’aucune frontière n’arrête, des flux financiers qu’aucun contrôle des changes ne gouverne plus, des firmes globales qu’aucune fiscalité ne contraint vraiment ou des MIGRATIONS QU’AUCUNE LEGISLATION NE DECOURAGE TOTALEMENT."
Oui, vous avez bien lu. Les altermondialistes sont tous des chevènementiste (ou des lepénistes ?) qui s’ignorent. Ce qu’ils veulent c’est plus d’Etat (mondial) et moins d’immigrés !
ATTAC ? Un ramassis de benêts…
Plus loin, un article signé Bruno Ozenfant s’intéresse à ATTAC. Et l’on passe du dénigrement aux conseils avisés…
Tout d’abord, qu’est-ce qui explique le succès d’ATTAC ? La démission de la "gauche" politique ? L’augmentation des inégalités ? Le besoin de résister au lavage de cerveau ambiant ? Que nenni ! Son succès vient de la bêtise de ses adhérents !
"La recette ? Nombre d’observateurs avancent la simplicité d’un argumentaire qui fait de la mondialisation la cause de tous les maux de la planète et de la France en particulier. […] Avec le risque de donner un principe explicatif unique aux malheurs du monde et de n’aborder concrètement que les problèmes du Nord." Ben oui… parce que les intellectuels d’Alternatives Internationales, comme tous les intellectuels de pouvoir, savent bien que le monde est "complexe", qu’on ne peut pas changer les choses aussi facilement, que gnagnagna. Pour aider le Sud, il ne faut surtout pas s’en prendre au capitalisme (colonialisme), non, non, non. "La cause est donc entendue. L’arrivée d’ATTAC a été plus que salutaire. Grâce à elle, les associations de développement ont retrouvé du tonus." C’est tout l’intérêt d’ATTAC ? Ben oui !
Aussi, on comprend que l’auteur ait très très peur des vilains communistes qui vont venir, un couteau entre les dents, lui augmenter sa feuille d’impôts : "Car derrière la revendication démocratique portée par tous, se cache parfois le vieil anti-impérialisme léniniste - pour qui la naissance du mouvement antimondialisation a fait office de divine surprise."
Mais surtout on se rend compte que, chez ces esprits éclairés pour qui le monde est complexe et leur adversaires sont des imbéciles, la bonne vieille équation "critique de gauche = anticapitaliste = léniniste = stalinien" a encore de beaux jours devant elle…
Surtout, pas de vagues…
On ne sera donc pas surpris de voir ces deux articles se terminer presque identiquement.
Scholte analyse doctement : "quand le capitalisme dérive au-delà du moralement et socialement supportable, il provoque des mouvements de contestation qui incite à sa réforme."
Et Ozenfant conclut : "Les réformistes, fussent-ils radicaux, et les révolutionnaires pourront-ils cohabiter longtemps au sein d’ATTAC ? Si la stratégie de rupture l’emportait, nul doute que les associations de solidarité s’en éloigneraient. […] elles savent que le combat contre les inégalités mondiales leur commande de négocier avec les acteurs dominants plutôt que de se cantonner dans la diabolisation."
Bref, surtout pas de vagues, les œuvres charitables s’occupent de nos pauvres…
Pablo Achard