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Afghanistan : bavures de presse

par Henri Maler,

La chose est courante, si courante qu’on finirait presque par ne plus en percevoir l’indécence, et l’effet – sinon l’intention – de propagande : Qu’un « pays ami » ou « allié » (selon la définition de ce mot dans le vocabulaire médiatique de la guerre) cause la mort de civils dans une opération militaire, on s’empressera de qualifier la chose de « bavure ». On en trouvera ici même de nombreux exemples, qu’il s’agisse du conflit afghan, de la guerre contre l’Irak, ou de la dernière intervention de l’armée israélienne à Gaza. Un mot qui fait partie de ce Lexique de guerre, dont l’utilisation, même inconsciente ou automatique, n’excuse pas l’obscénité.

Dernier exemple en date : le 22 février 2010, où l’on apprenait qu’un bombardement de l’Otan avait – à nouveau – tué des civils en Afghanistan.

 Lefigaro.fr, après avoir titré, comme en témoigne l’URL restée inchangée, « Afghanistan : L’Otan tue 21 civils dans un bombardement », a finalement préféré présenter l’organisation militaire sous un meilleur jour :

C’est dans le corps de l’article que l’on apprend qu’il s’agissait d’une… « bavure », et même mieux, d’une simple « erreur » :

Nouvelle bavure de l’Otan en Afghanistan. La force internationale de l’Alliance atlantique (Isaf) a tué au moins 27 civils dimanche [21 février], dans un bombardement aérien (…).
Ces décès constituent une nouvelle erreur des forces internationales qui sont accusées régulièrement par Hamid Karzaï de ne pas prendre assez de précautions dans leurs bombardements et de tuer trop de civils.

 Libération a choisi un titre qui, avec un raffinement cultivé fort à propos, fait écho à celui du film Mortelle randonnée :

Le 16 avril 1999, Libération faisait déjà preuve d’une cinéphilie toujours utile en temps de guerre et titrait « Autopsie d’une bavure », pour évoquer le bombardement par l’Otan d’un convoi civil, faisant 75 victimes. Dix ans plus tard, rien n’a changé – à part le titre du film.

Le responsable des euros de Libération doit être tellement fier de cet article – où l’on évoque trois fois une « bavure », et toujours sans guillemets – que celui-ci était déjà payant à l’heure de la capture d’écran.

 Pendant ce temps, Lemonde.fr, lui, s’est borné à recycler des dépêches d’agence :

Une « bavure », donc, de l’avis général, et sans guillemets. Mais au fait, qu’est-ce qu’une bavure ? À l’origine, nous dit Le Petit Robert [1], le mot désigne une « trace laissée par les joints du moule sur l’objet moulé ». D’où, par analogie, la « trace d’encre empâtant une écriture, un dessin ». Et par extension, il signifie « erreur pratique, abus, conséquence fâcheuse ». Avec, pour ce dernier sens, cet exemple, tiré d’un Monde plus « pudique », Le Monde du 27 mars 1970 : « La police a de la peine à éviter ce qu’on nomme pudiquement des bavures ».

Le Robert Historique nous donne cette ultime précision : depuis les années 50, le mot peut désigner « une erreur grave, voire tragique ». L’usage de ce terme est-il pour autant anodin ? Simple question : si, à l’occasion d’un conflit armé dans un pays étranger, des dizaines de civils français étaient tués, parlerait-on aussitôt, sans prise de distance et sans plus de précautions, de « bavure » ? Rien n’est moins sûr.

 
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Notes

[1Édition de 1987.

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