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Affaire Dupont de Ligonnès : les médias plaident la « méprise »

par Philippe Merlant,

« Histoire d’une méprise » (Le Parisien), « L’énorme méprise » (L’Union), « Une méprise inédite » (Le Courrier de l’Ouest), « L’incroyable méprise » (Ouest France), « La méprise » (Le Républicain lorrain)… Ce 13 octobre 2019, les titres des quotidiens se ressemblent… à s’y méprendre ! Si l’on y ajoute la « fausse piste » (La Nouvelle République), le « mystère » (Les Dernières Nouvelles d’Alsace), le « coup de théâtre » (Le Télégramme) ou « L’enquête ratée » (La Dépêche du Midi), il n’y a guère que Le Midi libre à oser titrer « L’erreur » (tout en faisant état, en pages intérieures d’une… « méprise » !)

Note : cet article est tiré du dernier numéro de notre revue Médiacritiques, à commander sur notre boutique en ligne, ou à retrouver en librairie.

Une quinzaine de quotidiens ont fait leur titre, ce dimanche-là, sur la fausse arrestation de Xavier Dupont de Ligonnès. Ils étaient une dizaine de plus à évoquer, la veille, « l’incroyable fin de cavale » (Le Courrier de l’Ouest) ou à titrer simplement « Arrêté » (Le Parisien, Le Midi libre). « Arrêté » : c’est aussi le titre qu’avait choisi La Provence, mais en y ajoutant un point d’interrogation. Et le quotidien de Marseille d’utiliser le mode conditionnel : « Ce serait un coup de tonnerre […] aurait été arrêté […] les enquêteurs restent prudents. » Preuve que la « méprise » n’avait rien d’inéluctable, et qu’une autre information était possible le 12 octobre…

Les autres médias ne se sont pas embarrassés d’autant de nuances. À l’oubli systématique du conditionnel est venu s’ajouter celui de la citation des sources (LCI), le recours à des explications hasardeuses (France Info affirme qu’il est « difficile de reconnaître » [de Ligonnès] – et pour cause ! – en précisant qu’il a « certainement grimé son apparence »), voire à la psychologie de comptoir (encore France Info, pour expliquer pourquoi le suspect ne semble pas inquiet à l’aéroport : « Visiblement, ces huit années de cavale lui auront permis d’acquérir une certaine aisance »). Non seulement l’information était fausse, mais elle a donné lieu, des heures durant, à des flots de commentaires, d’interprétations, et d’hypothèses en tout genre.

Pareil fiasco aurait dû donner matière à examen de conscience. Certes, les rédactions ont retracé le 13 octobre « la chronologie d’une information erronée » (AFP), « les coulisses d’une fausse piste » (BFM-TV) ou le « récit d’un emballement » (Le Monde). Mais pas un mot sur les dysfonctionnements qui conduisent à produire de fausses informations. Pas un mot sur la course au scoop, la prépondérance donnée aux faits divers (pourquoi Le Parisien a-t-il choisi de déprogrammer le dossier sur les Kurdes prévu en « une » ?), la confiance aveugle dans les sources policières : l’information « est vérifiée puisqu’elle vient de la police », explique même CNews !

Pas un mot sur le fonctionnement des chaînes d’info en continu. Pas un mot sur ce que le Syndicat national des journalistes (SNJ) dénonce comme « une maltraitance de l’information, provoquée par une absence de rigueur et le syndrome du panurgisme ». Non, au contraire : le directeur de France Info se félicite d’« avoir pris toutes les précautions nécessaires dans le traitement de cette affaire ». Juste la faute à pas de chance… Et comme la meilleure défense, c’est l’attaque, certains n’hésitent pas à ruer dans les brancards : « Faute de coupable dans ce mystérieux dossier, il est question pour certains de condamner la presse dans son ensemble », fustige le Huffington Post.

Dans cet exercice d’autojustification, l’usage du mot « méprise » ne relève pas du hasard. « L’essence de la méprise consiste à ne la pas connaître », affirmait Blaise Pascal. Le Wiktionnaire cite comme premier synonyme le mot « confusion ». Et l’expression « À s’y méprendre » sous-entend que s’il y a confusion entre deux choses, c’est à cause d’une trop grande ressemblance entre elles. On peut tenter de contrecarrer la tendance à l’erreur, il n’y a pas grand-chose à faire contre « la méprise », qui relève simplement d’un trop-plein de confusion dans l’ordre du réel lui-même. Ou pour le dire autrement : c’est la réalité qui se trompe, pas le journaliste…


Philippe Merlant

 
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