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Actualité des médias n°15 (avril 2018)

par Benjamin Lagues, Jérémie Fabre,

Avec cet article, nous poursuivons notre série d’information mensuelle sur l’actualité des médias [1]

I. Du côté des journalistes, des médiacrates et de leurs œuvres

- Fermeture de la chaîne NoLife – La chaîne indépendante de télévision NoLife, spécialisée dans la couverture des jeux vidéo et des « cultures japonaises », n’a plus suffisamment d’argent pour continuer à émettre. La chaîne s’arrêtera donc sous peu. NoLife était une chaîne historique du secteur : «  Lancée le 1er juin 2007, Nolife est un rêve de geek devenu réalité : à l’époque, le jeu vidéo, les jeux de rôle, les mangas et la musique japonaise sont quasiment invisibles à la télévision » explique ainsi Le Monde.

- Autre coup d’arrêt pour un titre de presse : Têtu «  Premier média sur l’information LGBT » d’après la description que le titre faisait de lui-même, le magazine cesse de paraître. D’après Adrien Naselli, ancien rédacteur en chef du journal qui a donné un entretien au Média, cette fermeture s’expliquerait par «  le changement de direction [qui a eu lieu à l’été 2017] et l’arrivée à la tête du journal de personnes qui ne connaissent ni la presse ni la place de Têtu dans le paysage médiatique.  » Malgré cet arrêt de la parution du journal papier, Adrien Naselli considère que Têtu a de l’avenir sur internet grâce à « une communauté importante sur les réseaux sociaux, très engagée ».

- RSF veut lutter contre la désinformation – L’organisation non gouvernementale Reporters sans frontières (RSF) a lancé une «  initiative pour la fiabilité de l’information » afin de favoriser « le respect des processus de production journalistique et à donner des avantages concrets à ceux qui les mettent en oeuvre » a annoncé l’organisation sur son site. D’autres acteurs, comme l’Agence France-Presse (AFP), sont partenaires de l’initiative. Concrètement, le dispositif consiste à «  créer un référentiel pour le journalisme sous la forme d’indicateurs sur la transparence des médias, l’indépendance éditoriale, la mise en oeuvre de méthodes journalistiques et le respect des règles déontologiques. » In fine, les titres et blogueurs qui respecteront ces règles se verront certifiés. Une certification qui permettra à ces sources d’être plus visibles grâce à « un traitement privilégié par les algorithmes des moteurs de recherche et des réseaux sociaux. » Google et Facebook ont en effet annoncé, chacun à leur manière, vouloir privilégier les sources fiables. Une affaire à suivre...

- Les Echos refusent une interview trop réécrite d’une ministre – Le quotidien économique Les Echos a refusé de publier une interview de la ministre des Transports Elisabeth Borne au motif que l’entretien avait été trop réécrit par l’équipe du Premier ministre. D’après France Info, « la ministre et ancienne directrice de la stratégie de la SNCF tenait pourtant des propos "prudents" dans cet entretien destiné à être publié le 13 mars (...). Mais le sujet est sensible. Et "la volonté de contrôle sur cette ministre ’technique’’ était visiblement telle du côté des services d’Edouard Philippe que ceux-ci ont largement amendé ses propos, ce que n’a pas accepté le quotidien économique. » Un choix qui honore la rédaction des Echos, et qui rappelle la décision récente du quotidien régional La Voix du Nord de ne plus permettre de relecture des entretiens politiques [2].

- Grève à la SNCF : les journalistes télé interdits d’accès aux gares – La SNCF assume interdire l’accès aux gares, lors des grèves, pour les journalistes de la télévision. Raison invoquée, d’après des propos rapportés par L’Express : « On n’est pas en capacité d’encadrer un journaliste (...) partout en France, c’est impossible, ingérable pour nous.  » Résultat : « Toute autorisation de tournage doit être associée à la présence d’un attaché de presse en gare.  » En revanche, la SNCF juge tout à fait gérable de tourner et transmettre des images « maison » aux journalistes.

- Manifestation à Paris : un photographe blessé à la tête par un CRS – Les violences policières contre les journalistes continuent. Le 3 avril dernier, un photographe indépendant affirme avoir été matraqué par un CRS, ce qui lui a valu, selon Buzzfeed news, des « blessures sérieuses avec notamment une plaie à la tête de 7 cm.  » Au-delà de ce cas, le Syndicat national des journalistes (SNJ) a dénoncé deux autres agressions de photographes pendant une autre manifestation, celle du 19 avril à Paris. Selon lui, l’un « pourrait perdre l’usage d’un doigt » et l’autre « a eu la clavicule brisée ».

- Notre-Dame-des-Landes : information sous contrôle – Innovation à l’occasion de la tentative d’évacuation de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes : les gendarmes deviennent journalistes. Ceux-ci ont en effet abondamment filmé leur travail lors de cette évacuation. Pour une raison simple : leur couverture médiatique des événements permettrait, pour les téléspectateurs, «  un jugement objectif » d’après le ministre de l’Intérieur Gérard Collomb... D’après un communiqué du Syndicat national des journalistes (SNJ), Gérard Collomb «  assume le fait d’avoir écarté des journalistes professionnels pour montrer au public des images “contrôlées” de l’évacuation des Zadistes de Notre-Dame-des-Landes. » Toujours d’après le SNJ, «  lors de leur arrivée sur les lieux, nos confrères ont été parqués en bord de route puis évacués de la zone, sous escorte, avec interdiction de filmer. Certains sont parvenus à regagner la ZAD par des chemins de traverse, ils ont été contrôlés, menacés, interdits d’accès. » Cette mise sous cloche médiatique de Notre-Dame-des-Landes s’est de plus accompagnée de violences contre les journalistes présents. Ainsi, Libération évoque le cas de deux journalistes « blessés au cours d’opérations menées par les forces de l’ordre », tandis que le SNJ, évoque des confrères «  parqués ». Dans les deux cas, les journalistes auraient été touchés par des « grenades à effet de souffle » jetés par les policiers et / ou des gendarmes.

- Le Média et Reporterre s’excusent après avoir diffusé une fausse nouvelle – L’étudiant dans le coma suite à l’intervention des forces de police au sein de l’université de Tolbiac n’existait finalement pas. Reporterre, qui avait publié un article affirmant qu’un étudiant avait été grièvement blessé pendant l’évacuation de l’université a finalement reconnu que l’information était fausse, notamment suite à une enquête de Libération. Suite à cette enquête et à son propre travail de vérification, le journal en ligne a fini par « conclure que les témoignages ne sont pas fiables. Il n’y a pas eu de blessé grave à Tolbiac le 20 avril.  » Le Média, qui avait lui aussi publié un article affirmatif, l’a supprimé par la suite. Dans un communiqué, la rédaction dit « [reconnaître] son erreur et [présenter ses] excuses [aux] Socios ainsi qu’à ceux qui [les] suivent. »

II. Du côté des entreprises médiatiques et de leurs propriétaires

- Nominations à la tête de l’AFP, France Médias Monde et Radio France – À l’issue de plusieurs votes et après l’abandon de son seul concurrent, le sortant Emmanuel Hoog, lâché par l’Elysée, Fabrice Fries a finalement été élu PDG de l’Agence France-Presse (AFP). Le Canard enchaîné du 18 avril a dressé un portrait inquiétant de son parcours : Fabrice Fries prend la tête de l’AFP après 22 ans de pantouflage dans divers groupes du CAC 40 et après avoir divisé par deux le chiffre d’affaire de la société de conseil Publicis, dont il a été le patron de 2008 à 2016. Cette nomination est d’autant plus étonnante que son prédécesseur Emmanuel Hoog a été débarqué par le conseil d’administration de l’AFP pour une gestion semblable de son budget… À France Médias Monde, après deux mois d’une situation ubuesque [3], Marie-Christine Saragosse a finalement retrouvé ses fonctions de PDG. D’après Le Monde, Le CSA a précisé avoir « apprécié l’expérience et la compétence de Mme Saragosse qu’attestent tant son parcours professionnel que les actions qu’elle a engagées depuis son premier mandat à la tête de l’entreprise ». Enfin, du côté de Radio France, le CSA a sans surprise nommé Sibyle Veil pour remplacer l’ancien PDG Mathieu Gallet. Pour Libération, le CSA a joué la carte de la continuité, Sybile Veil faisant partie de l’équipe de direction précédente. Détail loin d’être anodin, la nouvelle patronne de Radio France a le bon goût d’être une proche du président de la république Emmanuel Macron, camarade de promotion à l’ENA en 2004…

- Plusieurs magazines avalés par Czech Media Invest – Après lui avoir vendu ses radios internationales (en République tchèque, Pologne, Slovaquie et Roumanie), le Groupe Lagardère a annoncé qu’il allait aussi céder plusieurs de ses magazines (Elle, Version Femina, Art & Décoration, Télé 7 Jours, France Dimanche, Ici Paris et Public) au groupe tchèque Czech Media Invest. D’après Le Canard enchaîné du 18 avril, les ventes à la découpe de ce qu’il reste de l’empire médiatique Lagardère représenterait la moitié des profits du groupe, masquant artificiellement une situation très précaire. Seuls Europe 1, Paris Match et Le Journal du dimanche devraient échapper à cette grande braderie médiatique. Le groupe Czech Media Invest a quant à lui annoncé être en négociation pour racheter 91 % des parts de l’hebdomadaire Marianne, actuellement propriété de Yves de Chaisemartin. D’après Le Monde, le dirigeant de ce puissant groupe tchèque, le milliardaire Daniel Kretinsky, a « été épinglé dans l’enquête des “Panama Papers”, car il possède la société Wonderful Yacht Holdings, basée aux îles Vierges britanniques. »

- Un mois d’avril chargé pour Vincent Bolloré – Début avril a eu lieu l’audience du procès en diffamation qu’a intenté le milliardaire breton Vincent Bolloré à France Télévisions. En cause : la diffusion d’un documentaire de l’émission Complément d’enquête sur les conditions de travail des employés du Groupe Bolloré au Cameroun. D’après Télérama, qui a assisté à l’audience, la décision du tribunal tombera le 5 juin. Ce même mois, Vincent Bolloré a annoncé qu’il quittait ses fonctions de président du Conseil de surveillance de Canal+. Il laisse ainsi les commandes à une équipe qu’il a imposée au cours de la réorganisation brutale du groupe depuis 2014. D’après Le Monde, « Une source syndicale relativise la portée réelle de ce départ : “Il reste quand même le premier actionnaire de Vivendi. Ça ne change pas grand-chose. Jean-Christophe Thiery et Maxime Saada [ses successeurs] ont tous les deux appliqué à la lettre la politique de Bolloré.” A l’avenir, il n’y a pas de raison de prévoir d’inflexion stratégique, d’autant que M. Bolloré restera membre du conseil de surveillance de Canal+. » Quelques jours plus tard, nouvelle surprise, et de taille : le 19 avril, Vincent Bolloré annonce qu’il quitte la présidence du conseil de surveillance de Vivendi (la maison mère de ses activités médiatiques), et cède sa place à son fils, Yannick Bolloré. Dans un article très documenté, le site Les Jours évoque les raisons qui peuvent avoir poussé Vincent Bolloré vers la sortie : une personnalité trop clivante dans le cadre de négocations compliquées avec Mediaset en Italie, ou encore la crainte d’être rattrapé par la justice dans des malversations de son groupe en Afrique… Cette dernière piste s’est justement confirmée quelques jours plus tard, lorsque Vincent Bolloré a été placé en garde à vue puis mis en examen par police judiciaire de Nanterre pour « corruption d’agent public étranger, complicité d’abus de confiance et faux et usage de faux. »

- Lobbying tous azimuts de TF1 – Après avoir obtenu du CSA l’autorisation de couper son journal télévisé de 20h d’une page de publicité [4], TF1 milite désormais auprès des députés pour une troisième coupure de publicité pendant les films. D’après Le Figaro, TF1 présente cette demande comme d’un moyen de « pallier la baisse de ses ressources publicitaires (-15 % en 10 ans) et la concurrence des géants américains (...) le groupe demande aussi l’ouverture de la publicité au secteur du cinéma et aux promotions de la grande distribution (réservées jusqu’ici à la radio et à la presse), un "allègement de la pression fiscale" sur les chaînes et un "durcissement de la réponse graduée" pour lutter contre le piratage ». Sur un autre sujet, TF1 peut crier victoire : l’Autorité de la concurrence a autorisé fin avril le rachat de l’éditeur de sites web Aufeminin au groupe allemand Axel Springer. D’après Le Monde, l’opération de 365 millions d’euros devrait permettre à TF1 de se renforcer dans les médias en ligne et le commerce électronique, et lui assurer l’accès à « 129 millions d’utilisateurs dans le monde, dont 20 millions en France. » Pour l’Autorité de la concurrence, « l’opération ne pose pas de problème de concurrence sur les marchés de la vente d’espaces publicitaires » en raison de la présence massive de Google et Facebook sur ce secteur.

- Le CSA valide la prise de contrôle de NextRadioTV par SFR – La concentration des médias se renforce à nouveau… Le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) a validé la prise de contrôle de NextRadioTV (BFMTV, RMC…) par SFR (Libération, L’Express…), propriété d’Altice, groupe du milliardaire Patrick Drahi. Cette autorisation fait suite à celle de la décision de l’Autorité de la concurrence en juin 2017. Cette décision du CSA a néanmoins fait l’objet d’une curieuse négociation : en échange de cette autorisation, NextRadioTV a dû modifier ses conventions de service concernant la chaîne Numéro 23 (dont le rechat par NextRadioTV avait été autorisé non sans mal par le CSA [5]) afin de réaffirmer ses engagements en terme de « diversité ». D’après La Lettre Pro, la chaîne devra respecter « une parité hommes/femmes à l’antenne » et « rendre accessible au moins 50% des programmes aux personnes sourdes ou malentendantes. »

- Un studio de jeu vidéo porte plainte contre Le Monde et Mediapart – Le studio parisien Quantic Dreams a porté plainte en diffamation contre Le Monde et Mediapart pour une enquête sur les conditions de travail de ses salariés. Cette enquête dénonçait notamment de nombreuses infractions au code du travail, des montages financiers opaques et une affaire de harcèlement au travail. Le magazine spécialisé Canard PC, qui s’était associé à Mediapart pour cette enquête, n’aurait de son côté reçu que des lettres de mise en demeure restées sans suite. D’après le site spécialisé Gamekult, il s’agirait « d’un premier cas de procès opposant un studio de jeu vidéo à des journalistes. »

Jérémie Fabre et Benjamin Lagues, grâce au travail d’observation collective des adhérent.es d’Acrimed

 
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