Du côté des journalistes, des éditocrates et de leurs œuvres
- Lobbying gagnant des syndicats de journalistes sur les aides à la presse – Pas d’aide financière aux rédactions qui n’ont pas de journalistes reconnus par la carte de presse. C’est en substance la proposition du ministère de la Culture à propos des aides à la presse. À la question de savoir qui bénéficiera de ces aides, La Lettre A relate que « la rue de Valois a retiré une dérogation [au futur décret] datée du 24 septembre accordée à la presse technique et professionnelle qui lui aurait permis de bénéficier des aides publiques sans employer de journalistes à partir du moment où le titre comporte un "comité éditorial". » Et détaille les sources du conflit : « Cette exception était favorable à la Fédération nationale de la presse d’information spécialisée (FNPS), dont certains titres de la presse agricole ou juridique sont conçus par des rédacteurs non-journalistes. Elle a soulevé les foudres de l’intersyndicale (SNJ, SNJ-CGT, CFDT et FO) et motivé en partie un communiqué accusateur, le 28 juillet, qui a, en partie, infléchi la position de l’exécutif. » La décision finale n’a pas encore été prise : ce projet de décret est toujours en discussion avec les organisations de journalistes et les autres acteurs concernés.
- Aux Échos, plus de transparence réclamée pour parler de LVMH – Les lecteurs et lectrices des Échos peuvent-ils avoir confiance dans leur journal ? Pas sûr, car ils et elles n’ont pas toujours connaissance d’un conflit d’intérêt majeur : les journalistes de la rédaction traitent parfois d’entreprises qui appartiennent au propriétaire du journal, LVMH… sans le mentionner explicitement. Pour mémoire, Les Échos appartiennent à LVMH, un groupe de luxe dirigé par Bernard Arnault, 1ère fortune de France. Cette situation a fait réagir la société des journalistes du quotidien économique. D’après La Lettre A, la « Société des journalistes des Échos a interpellé le directeur de la rédaction, Nicolas Barré, afin que la mention "propriétaire des Échos" soit systématiquement apposée quand sont cités LVMH, ses holdings et filiales ou Bernard Arnault. » Un règle qui existe depuis 2010… mais qui n’est donc pas respectée.
- CNews triche sur les temps de parole et les sondages politiques – CNews fait fi des (faibles) contraintes imposées par le CSA et met la rigueur de côté... pour soutenir son champion Éric Zemmour dans la campagne électorale. Le Monde donne le 1er exemple : la chaîne a montré à l’antenne une étude d’intentions de votes, dont le total atteignait… « 103 % d’intentions de vote, puis 106 % après que la chaîne a rendu à M. Jadot les trois points dont elle l’avait amputé dans un premier temps. » La commission des sondages, pourtant très amène avec les fabricants de sondages, a dénoncé l’utilisation par CNews de ladite étude. Pure médias donne le 2e exemple : tenu de faire exister un minimum de pluralisme à la télévision et à la radio, le CSA veille au temps de parole accordé à chaque camp politique. La chaîne d’info de Bolloré, mais aussi LCI, ont récemment « rééquilibré artificiellement les temps de parole des responsables politiques par des rediffusions nocturnes. En octobre, CNews et LCI [ont mis en œuvre cette pratique] avec pour principaux "bénéficiaires" les représentants de la France insoumise et du gouvernement. » (Voir notre article sur le sujet).
- Ouest-France renonce aux sondages sur l’élection présidentielle – « Ouest-France ne réalisera aucun sondage [d’intentions de votes] avant l’élection. » Vous avez bien lu : dans un contexte de déluge sondagier, c’est la décision qu’a prise le quotidien le plus diffusé en France. Pour expliquer ce choix éditorial, François-Xavier Lefranc, rédacteur en chef du journal, critique vertement l’utilisation médiatique des sondages : « Au soir du 21 avril, Jean-Marie Le Pen créait la surprise en se qualifiant et Lionel Jospin était éliminé. La leçon n’a jamais été retenue : à chaque élection, on veut connaître le résultat avant même que les Français aient voté. Cette année où l’on est allé jusqu’à imaginer convoquer les sondeurs pour désigner les candidats, on atteint des sommets. » Cette décision de Ouest-France n’a pas plu à un éminent représentant des éditocrates, pour lesquels les sondages sont un « outil de travail » indispensable : Jean-Michel Aphatie. L’Observatoire des sondages a ainsi relevé sa réaction :
Est-ce qu’on peut imaginer une élection sans sondage ? C’est-à-dire une élection à l’aveugle. Une élection à l’aveugle ce serait un problème parce que les partis politiques feraient les sondages pour voir où ils en sont, où en est leur candidat dans les intentions de vote, si tel ou tel événement de campagne a de l’impact, de l’influence et donc du coup ils intoxiqueraient les journalistes qui eux ne commanderaient pas de sondage. Si tout le monde fait comme Ouest-France on « gaufre » complètement une élection.
Sans commentaire, mais une recommandation pour Jean-Michel Aphatie : lire notre dossier sur les sondages et leurs mésusages médiatiques.
- Périco Légasse, élu, travaille toujours à Marianne – Lors des dernières élections régionales, le rédacteur en chef de l’hebdomadaire Marianne s’était présenté sur une liste Modem. Nous ironisions à l’époque sur la situation de la directrice de la rédaction (et épouse de Périco Légasse) Natacha Polony [2], qui assurait que « tout sera mis en œuvre, en bonne intelligence, pour qu’il n’y ait aucune confusion dans les pages de Marianne. » Pour Claire Léost, l’ancienne directrice du groupe, la situation était également fort simple : « Évidemment, s’il est élu, il quittera le journal et fera sa carrière ». Bilan des courses : Périco Légasse a été élu et siège aujourd’hui au conseil régional de la région Centre-Val-de-Loire. Et d’après Le Canard enchaîné du 20 octobre, « l’élu-journaliste n’a pas présenté sa démission à sa femme [Natacha Polony] ; laquelle, curieusement, n’a pas poussé son mari vers la sortie. »
Du côté des entreprises médiatiques et de leurs propriétaires
- Reworld Media réclame 1,2 million d’euros au magazine Epsiloon – Entre les ex-journalistes de Science et Vie et le propriétaire actuel du magazine, Reworld media, le combat n’est pas fini. Rappel des faits : comme nous l’écrivions en mars 2021, « après avoir racheté le magazine Science et Vie en 2019, le groupe Reworld Media fait à nouveau ce qu’il sait faire de mieux : détruire le journalisme. Face au rouleau compresseur d’un groupe spécialisé dans la production industrielle de « contenu » et la marchandisation de l’information, la rédaction de Science et Vie se mobilise. » Finalement, cette mobilisation a abouti au départ de 9 journalistes de Science et Vie et la création d’un nouveau magazine scientifique, Epsiloon, dont le premier numéro est sorti en juin 2021. Aujourd’hui, raconte Le Monde, Reworld media engage « des poursuites contre une partie de l’équipe démissionnaire, réclamant un total de 1,2 million d’euros » pour « dénigrement, diffamation, parasitisme et concurrence déloyale » supposés. De là à parler de procès-bâillon, il n’y a qu’un pas. Que nous franchissons.
- Les médias de feu Bernard Tapie suscitent des appétits – Suite au décès de l’homme d’affaires Bernard Tapie début octobre, des questions se posent sur l’avenir du Groupe La Provence (La Provence, Corse Matin), qu’il possédait à 89 %. D’après Le Monde, le « repreneur naturel » des parts de Bernard Tapie ne serait autre que Xavier Niel, déjà propriétaire de 11 % du Groupe La Provence (et, accessoirement, homme fort du Groupe Le Monde). Xavier Niel, qui s’est fortement implanté dans le sud de la France ces dernières années (rachats de Nice Matin et Var Matin), disposerait ainsi d’un droit de préemption sur les parts restantes du groupe, négocié directement avec Bernard Tapie de son vivant. D’après Le Figaro, un autre repreneur potentiel s’est également déclaré : « le groupe maritime international CMA-CGM, dirigé par Rodolphe Saadé et dont le siège social se trouve à Marseille. » L’affaire est compliquée par l’état de faillite de Bernard Tapie : le groupe est donc aujourd’hui dans les mains du Tribunal de commerce de Bobigny. C’est ce dernier qui tranchera sur le repreneur des parts de Bernard Tapie.
- Purges au groupe Lagardère – Suite à l’OPA lancée par Vivendi (propriété de Vincent Bolloré) sur Lagardère SA le mois dernier, le nouveau pouvoir se met en place dans les médias du groupe. Premier acte, détaillé par l’AFP : « Un projet de plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) prévoyant la suppression d’une trentaine de postes menace l’existence de trente stations régionales sur 71 des réseaux Virgin Radio et RFM, alertent les syndicats CGT Régions et CFDT-SNME Régions. Dans le détail, le groupe Lagardère, propriétaire des réseaux Virgin Radio et RFM, prévoit de “fermer 30 de ses 71 stations en régions (26 Virgin Radio et 4 RFM) et de supprimer 34 postes : 30 journalistes et 4 animateurs”, précisent les deux syndicats, dans un communiqué. » Deuxième acte : Hervé Gattegno, directeur général des rédactions du Journal du Dimanche et de Paris Match, est remercié. Vont le remplacer Jérôme Bellay au JDD, et Patrick Mahé à Paris Match, deux figures droitières, et, d’après Les Jours, peu suspectes de velléités anti-Bolloré...
- Vivendi monte au capital du principal groupe de médias espagnol – Non content de s’être constitué un empire médiatique en France en quelques années, Vivendi (propriété de Vincent Bolloré) s’attaque maintenant à l’Espagne. D’après Le Figaro, « Vivendi continue d’avancer ses pions dans le monde des médias de l’Europe latine. Après son incursion en Italie avec Mediaset, après avoir mis la main sur Editis, Prisma presse et Lagardère Group en France, Vincent Bolloré vise maintenant le groupe espagnol de médias Prisa. Il en détient déjà 9,936 % du capital et a sollicité auprès du ministère de l’industrie du commerce et du tourisme espagnol, la possibilité de monter jusqu’à 29,9 %. » Juste en dessous du seuil de 30 % qui l’obligerait à déclarer une offre publique d’achat (OPA). L’autre acteur important du groupe, le fonds d’investissement Amber, est le même groupe qui a récemment vendu toutes ses parts du groupe Lagardère… à Vivendi ! De quoi craindre une répétition ? Le groupe Prisa détient notamment El Pais, principal quotidien ibérique, et 20 % du capital du Groupe Le Monde. Cependant ces parts ne sont assorties d’aucun droit de vote, une prise de contrôle de Vivendi sur Prisa ne devrait donc logiquement pas influer sensiblement sur l’actionnariat du Monde.
Du côté des publications sur les médias
Note : cette rubrique ne constitue pas une sélection, mais recense les ouvrages parus dans le mois sur la question des médias, qu’il s’agisse de bonnes ou de moins bonnes lectures.
- Audinet (Maxime), Russia Today (RT). Un média d’influence au service de l’État russe, Ina, octobre 2021, 188 p., 16 euros.
- Hanouna (Cyril) et Barbier (Christophe), Ce que m’ont dit les Français, Fayard, octobre 2021, 306 p., 19 euros.
- Mercier (Arnaud), Fake news, Maison des sciences de l’homme, octobre 2021, 170 p., 12 euros.
- Pechoux (Ludivine), L’Assiette au Beurre croque les bigots. Dessins anticléricaux d’une revue satirique (1901-1912), La Lanterne, octobre 2021, 26 euros.
- Robert (Denis), Travailleur médiatique. Résister à la fabrication du consentement, Massot, octobre 2021, 443 p., 22 euros.
- Wozniak, Peut-on rire du tout ? 35 ans de dessins au Canard enchaîné, Seuil, octobre 2021, 176 p., 25 euros.
Jérémie Fabre et Benjamin Lagues, grâce au travail d’observation collective des adhérentes et adhérents d’Acrimed