« Votre article a été en partie plagié par un universitaire »
Le 10 avril 2016, notre association a reçu, via son formulaire de contact, le message suivant :
Madame, Monsieur,
L’article de M. Nils Solari, « Démocratisation des médias audiovisuels en Argentine », a été en partie plagié par un universitaire. Des passages entiers ont été reproduits sans référence à votre site. L’article a été publié dans la revue Questions de communication.
L’article incriminé nous renvoie à celui de Nicolas Tilli intitulé « La représentation des peuples autochtones à la télévision argentine : entre visibilité et invisibilité » [1].
Bien que ce message nous ait été adressé de manière anonyme, un courriel de contact renvoyait vers le Centre de recherche et de lutte contre le plagiat de l’Université de Genève, en Suisse. Nous nous sommes alors adressés audit centre pour le remercier de ce signalement, avant d’apprendre qu’il n’en était pourtant pas à l’origine puisque la dénonciation n’entrait pas dans ses pratiques. Toutefois, ayant élaboré une méthodologie propre [2], le Centre de recherche et de lutte contre le plagiat, en la personne de sa directrice Michèle Bergadaà, a accepté d’instruire notre cas.
Après avoir pu vérifier, via un logiciel anti-plagiat, que notre article d’origine avait bien été pour partie copié, nous avons constitué un tableau à double entrée montrant les correspondances entre l’article d’Acrimed et celui du copieur (voir l’ensemble des comparaisons en annexe).
Quelques extraits parmi les plus significatifs :
1) Texte-source (Acrimed) :
Page 2 : « Résultat : à la veille de la promulgation de la nouvelle loi, le champ médiatique argentin est fortement concentré, et dominé principalement par de grands groupes que sont : Clarín, Uno, Prisa, Vila-Manzano et Cadena 3, comme on peut le vérifier en consultant les ressources mentionnées en note. »Texte mis en cause (N. Tilli) :
Paragraphe 11 : « À la veille de la promulgation de la loi 2009, qui remplace la loi n° 22 285 de Radiodiffusion de 1980 adoptée pendant la dernière dictature militaire (1976-1983), le champ médiatique argentin était dominé principalement par de grands groupes [14] : Prisa [15], Vila-Manzano [16], Uno [17] et Clarín [18]. »2) Texte-source (Acrimed) :
Page 2 : « La liberté d’expression est alors subordonnée aux restrictions imposées par la sécurité nationale, l’organisme de régulation est composé de militaires, de membres des services d’espionnage et d’entrepreneurs ; les médias « communautaires » et les coopératives n’ont pas accès – au moins jusqu’en 2005 mais sous certaines conditions, à l’exploitation du spectre radioélectrique…
L’ancienne norme prévoyait que la radiodiffusion pouvait être exercée seulement à des fins lucratives, et les modifications adoptées durant la décennie 90 – entre autres par les lois de libéralisation et de flexibilisation du travail et la réforme de 1999 - ont ouvert la voie à la concentration horizontale, à l’apparition de holdings, à la formation de monopoles et d’oligopoles. »Texte mis en cause (N. Tilli) :
Paragraphe 10 : « Le modèle de la dictature conditionnait la liberté d’expression, l’accès à l’espace public et la représentation sur le petit écran aux restrictions fondées par les intérêts de sécurité nationale. Dans ce contexte, l’organisme de régulation était composé de militaires, de membres des services d’espionnage et d’entrepreneurs, et les médias communautaires comme les coopératives n’avaient pas accès à l’exploitation du spectre radioélectrique. Cette législation antidémocratique posait le principe selon lequel la radiodiffusion ne pouvait viser que des fins lucratives. Des années plus tard, en démocratie, le gouvernement de Carlos Saul Menem propulse des modifications pour permettre la libéralisation et la flexibilisation du travail dans, entre autres secteurs, celui de l’audiovisuel. Cette réforme a lieu en 1999, ouvrant la voie à la concentration horizontale, à l’apparition de holdings, à la formation de monopoles et d’oligopoles. »3) Texte-source (Acrimed) :
Page 3 : « Les principales dispositions marquent une rupture profonde avec la situation antérieure :
- Démantèlement des monopoles, notamment par l’interdiction pour une même entreprise de posséder une chaîne hertzienne et une chaîne câblée dans la même zone.
- Redistribution des formes d’appropriation : les médias associatifs sans but lucratifs pourront accéder à un tiers de l’espace audiovisuel, à égalité avec les médias publics et privés,
- Constitution d’un nouvel organisme de régulation de l’audiovisuel, composé de sept membres (deux nommés par l’exécutif, trois par le Congrès et deux par les organisations professionnelles) »Texte mis en cause (N. Tilli) :
Paragraphe 13, plus loin : « (...) s’est exprimé en faveur de la réforme [25] qui marque une forte rupture avec l’ancienne loi de la dictature. Dans son texte, il est prévu :
- la constitution d’un nouvel organisme de régulation de l’audiovisuel (composé de sept membres dont trois nommés par le parlement, deux par le président de la République et deux par les organisations professionnelles) ;
- l’accès des médias sans but lucratif à un tiers de l’espace audiovisuel, (redistribution des formes d’appropriation : égalité entre les médias privés et publics) ;
- l’interdiction pour une même entreprise de posséder une chaîne hertzienne et une chaîne câblée dans la même zone (démantèlement des monopoles). »
Menace d’action en diffamation
Sur cette base, une lettre ayant pour objet la demande de rétractation de l’article de Nicolas Tilli est envoyée le 9 mai 2016 par l’auteur de l’article publié sur Acrimed, aux directeurs de la publication Questions de communication (Université de Lorraine) et au président de l’université de rattachement de M. Tilli, l’Université de Toulouse.
Le lendemain, une première réponse nous informe que M. Tilli « réfute l’accusation de plagiat » et qu’il s’est « engagé à répondre dans les jours qui viennent ».
Le surlendemain, les deux universités concernées nous font part de leur décision respective de suspendre la consultation de l’article de N. Tilli [3], « à titre conservatoire »… et de porter, sur la page de la revue, la mention : « Ce texte faisant l’objet d’un litige, sa consultation est suspendue à titre conservatoire ».
Le 1er juillet 2016, notre rédacteur reçoit une mise en demeure émanant d’un cabinet d’avocat, lui enjoignant de retirer ses accusations sous huitaine, assortie d’une menace d’action en diffamation s’il ne s’exécute pas.
Face à cette tentative d’intimidation, nous demandons à l’Institut international de recherche et d’action sur la fraude et le plagiat académique (voir flyer en annexe), présidé par Michelle Bergadaà, d’agir en médiateur. Une lettre de réponse est adressée par cette dernière au cabinet d’avocat (dont nous pourrions supposer qu’il a été mandaté par l’université au titre de la « protection juridique » de ses collaborateurs) le 12 juillet 2016. Suite à ce courrier, l’avocat transmet au président de l’université concernée le 12 août 2016 ses conclusions.
Le 4 novembre, la nouvelle présidente de l’Université de Toulouse adresse une lettre à l’avocat de M. Tilli où elle l’informe qu’elle « demande immédiatement, dans l’attente de l’issue du contentieux, la levée de l’interdiction de l’article incriminé » [4].
Depuis, nous en sommes là et le temps passe décidément très lentement avant qu’une position définitive ne soit arrêtée par les deux universités. Cherchent-elles à gagner du temps ? Nous n’avons aucune information sur la constitution d’une commission d’expertise ni dans l’une, ni dans l’autre.
Nous envisageons, donc, de demander un avis motivé de l’Institut international de recherche et d’action sur la fraude et le plagiat académiques, dont nous avons utilisé la méthodologie pour établir les comparaisons, dans l’espoir de parvenir au plus tôt à la conclusion de cette affaire.
Cette affaire démontre que le travail minutieux d’Acrimed inspire les rédacteurs de tous horizons. Et c’est tant mieux. Mais l’orientation et l’intransigeance de notre association et de sa critique des médias, peu compatibles avec une certaine bienséance académique, embarrassent les copieurs, au point qu’ils oublient de nous citer.
Nous étions habitués à de telles pratiques de la part de quelques médias, souhaitant s’approprier notre travail en édulcorant sa dimension radicale (voir par exemple comment Les Inrockuptibles ont « copié » Acrimed, puis « imité » Le Monde Diplomatique), ou de la part de l’intellectuel médiatique Pascal Boniface qui, multipliant les emprunts troublants, avait préféré persister dans l’amnésie… Mais nous ne nous attendions pas à ce qu’un universitaire et chercheur accapare nos travaux sans les mentionner.
Voilà qui semble prouver la qualité de nos productions, même si nous restons, pour certains, infréquentables.
Acrimed
Annexe 1 : Comparaison des (autres) extraits les plus significatifs
- Échantillon 2 :
Texte-source (Acrimed) :
Page 3 : « L’objectif de cette loi, comme on peut le lire dans l’introduction du projet est de jeter les bases d’une législation moderne, prévue pour garantir l’exercice universel pour tous les citoyens du droit à recevoir, diffuser et rechercher des informations et opinions et qui puisse constituer un véritable pilier de la démocratie, en garantissant la pluralité, la diversité et une liberté effective d’expression » [5].
Texte mis en cause (N. Tilli) :
Paragraphe 9 : « À travers la loi argentine de Services de communication audiovisuelle de 2009, l’objectif du législateur était de jeter les bases d’une législation moderne pour garantir l’exercice universel pour tous les citoyens du droit à recevoir, diffuser et rechercher des informations et opinions, véritable pilier de la démocratie et garantie de pluralisme, de multiculturalisme et de liberté d’expression (Propuesta de Proyecto de Ley Servicios de Comunicación Audiovisual : 5). »
- Échantillon 6 :
Texte-source (Acrimed) :
Note 3 du texte de la page 2 (situé à la fin de l’échantillon 4) : « [3] Le site argentin "Medios de Communicación de Acà" propose une carte actualisée champ médiatique argentin (12 novembre 2008). Le site "Mapa de los medios de Communicación en Argentina" propose une carte de la localisation géographique de l’implantation des médias en Argentine. Le site "Taringa" propose, sans la moindre intention polémique, on s’en doute, une « carte des médias "kirchnéristes") (du nom du couple présidentiel). »
Texte mis en cause (N. Tilli) :
Note [14] : « Le site "Mapa de los medios de Comunicación en Argentina" propose une carte de la localisation géographique de l’implantation des médias en Argentine (Espeche, 2010 : 25). Accès : http://mediosycomunicaciondeaca.wordpress.com/mapa-de-medios-en-argentina/. Consulté le 06/06/13. »
- Échantillon 8 :
Texte-source (Acrimed) :
Page 3 : « Le Groupe Uno, des entrepreneurs de Mendoza Daniel Vila et José Luis Manzano, possède le troisième opérateur de câble le plus important du pays Supercanal Holding, contrôlant 30 licences, et des chaînes hertziennes parmi lesquelles : América TV, Canal 13 (Junín, Buenos Aires), Canal 7 (Mendoza), Telesur Canal 6 (San Rafael), Canal 8 (San Juan) et Canal 5 (San Juan) ».
Texte mis en cause (N. Tilli) :
Note [16] : « Vila-Manzano et le Groupe Uno possèdaient le troisième opérateur de câble le plus important d’Argentine (Supercanal Holding) contrôlant ainsi différentes chaînes hertziennes : América (Buenos Aires), Canal 7 (Mendoza), Canal 8 et Canal 5 (San Juan), Telesur Canal 6 (San Rafael) et Canal 13 (Junín, Buenos Aires) ».
- Échantillon 10 :
Texte-source (Acrimed) :
Page 2 : « Clarín affiche sa participation dans cinq opérateurs de télévision par câble : Cablevisión (56%), Multicanal (55%), Cablevisión Digital (48,94%), Teledigital Cable SA (49,94%) et Supercanal Holding (20%, où il est l’associé de Vila-Manzano). Il possède également des chaînes hertziennes comme Canal 13, Canal 6 (à Bariloche), Canal 7 (Bahía Blanca), Canal 10 (General Roca) et Canal 12 (Córdoba), des radios dont les suivantes ont été signalées comme n’étant pas en règle : AM 810 (Córdoba), FM 102.9 (Córdoba), FM 100.3 (Mendoza), FM 96.5 (Bahía Blanca) et FM 99.5 (Tucumán). »
Texte mis en cause (N. Tilli) :
Note [18] : « Clarín annonçait publiquement sa participation dans cinq chaînes de télévision par câble (Espeche, 2010 : 30) : Supercanal Holding (20 %, où il est l’associé de Vila-Manzano), Cablevisión (56 %), Cablevisión Digital (48,94 %), Teledigital Cable SA (49,94 %) et Multicanal (55 %). Clarin possédait également des chaînes hertziennes comme Canal 10 (General Roca), Canal 7 (Bahía Blanca), Canal 13, Canal 12 (Córdoba) et Canal 6 (à Bariloche) ; et plusieurs radios dont certaines ne respectaient pas la réglementation : fm 96.5 (Bahía Blanca), fm 102.9 (Córdoba), am 810 (Córdoba), fm 99.5 (Tucumán) et fm 100.3 (Mendoza). »
- Échantillon 16 :
Texte-source (Acrimed) :
Page 2 : « Les grands groupes médiatiques privés du pays et d’ailleurs – Clarín en tête – , décrient via leurs différentes publications, une loi "controversée", "polémique", ou "dénoncent une manœuvre du gouvernement pour contrôler les médias et limiter la liberté d’expression" [1] jusqu’à la prétendue volonté de "Néstor et Cristina Kirchner, de constituer une carte des médias à leur mesure [pour] préparer le chemin pour l’échéance [électorale] de 2011" [2]. »
Texte mis en cause (N. Tilli) :
Paragraphe 13, plus loin : « Dans ses publications, le groupe médiatique a dénoncé une loi "controversée", "polémique", une "manœuvre du gouvernement pour contrôler les médias et limiter la liberté d’expression" [22] ou une volonté de "Néstor et Cristina Kirchner, de constituer une carte des médias à leur mesure [pour] préparer le chemin pour l’échéance [électorale] de 2011" [23] »
Annexe 2 : Tableau comparatif (en pdf)
Annexe 3 : Comparaison exhaustive des deux textes (en pdf)
Annexe 4 : Flyer de présentation de l’Institut international de recherche et d’action sur la fraude et le plagiat académique