Accueil > Critiques > (...) > Journalismes de microcosme

Yves Calvi et ses invités expertisent le « Casse-toi, pauvre con » présidentiel

par Clément, Henri Maler,

En fin d’après-midi, le télespectateur peut apprécier l’« offre de décryptage » de France 5. Après « C à dire » présenté par Thierry Guerrier, Yves Calvi anime « C dans l’air ». Le 25 février, l’émission est consacrée à « La phrase… », c’est-à-dire au « Casse-toi, pauvre con » lancé par Nicolas Sarkozy le 23 février à un visiteur (comme lui…) du salon de l’agriculture qui refusait de lui serrer la main lors de sa visite. Face à quelques « experts », Yves Calvi se fait l’avocat du bon sens, version café du commerce.

La présentation de l’émission donne le ton. Yves Calvi introduit le « débat » en citant Jean-Pierre Raffarin qui rappelait, le jour même dans l’émission de Thierry Guerrier, que Sarkozy « a toujours été comme ça ». L’introduction au « dossier » du jour est complétée par l’évocation du « lynchage » que subirait, selon l’UMP, le Président, par une déclaration du ministre Brice Hortefeux (qui « trouve ça très bien que le Président parle comme tous les Français », selon les termes rapportés par Calvi) et une autre de Laurent Fabius (selon lequel « Pour bien présider la République, il faut d’abord se présider soi-même ».)

Le « débat » est ensuite lancé. Mais alors que Dominique Reynié répond à la première question de l’animateur cherchant à savoir si l’on va devoir changer la constitution pour le Président, il est interrompu par Yves Calvi qui précise : « On s’est demandé si […] l’exemplarité [de la fonction présidentielle] était codifiée par les textes ? Or ce n’est pas le cas. »

Notre nouveau spécialiste en droit constitutionnel se tourne ensuite vers Laurent Joffrin. Se référant à l’entourage de Nicolas Sarkoy, il poursuit sur sa lancée, le bon sens même : « Tout le monde a tendance à dire : “Non mais arrêtez de lyncher, il a eu une réaction spontanée”. Entre guillemets, finalement, lui, il est pas hypocrite, il exprime ses sentiments. […]. En gros, il parle comme tous les Français. En gros, ce serait nous journalistes et les opposants, on tourne en rond en permanence avec ses phrases et avec ses éclats. » Laurent Joffrin se lance et évoque l’attitude « insultante » du destinataire de l’insulte présidentielle. Yves Calvi le coupe pour l’appuyer : « On comprend que ça l’énerve. » Une empathie que le même Calvi n’éprouve pas quand il interroge un « n’importe qui » ; un animateur sportif de Clichy-sous-bois, par exemple [1].

Après un reportage restituant les faits et les mettant en perspective (la tendance de Sarkozy à déraper verbalement), Calvi reprend la parole… et persévère. À l’appui de sa « thèse », un échantillon de l’opinion… sous la forme d’un SMS que l’animateur lit puis relit : « c’est très intéressant. Un premier SMS qui en fait inverse la situation et nous pose une question que je vais vous lire deux fois […] : “est-il normal qu’un individu lambda manque de respect au président de la république française et obtienne le soutien de l’opinion ?” Je répète […] » Et il répète.

Intervient alors Brice Teinturier (TNS-SOFRES), un autre spécialiste de l’opinion. Celle-ci – selon notre sondologue qui ausculte sans même enquêter – peut légitimement se demander si une attitude pareille de la part du président n’est pas déplacée. Heureusement, Yves Calvi ne laisse pas passer cette réserve effrontée et reprend de plus belle, en délaissant le droit public pour l’art dramatique : « Est-ce qu’il n’y a pas une certaine d’hypocrisie ou un côté monsieur Jourdain ? Je m’explique : les Français l’ont élu assez largement avec 31 % des voix au premier tour et 53 % au second. Je veux dire : on le connaissait, comme il le disait Raffarin tout à l’heure : “on ne le découvre pas, Sarkozy”. Donc je dirais que, il y a une demande à la fois d’autorité et de spontanéité qui est le Président qui intervient sur tout et pour tout. Ce que vous nous avez expliqué pendant des mois [pointant le sondeur] et je le crois tout a fait à escient, vous les enquêteurs : les Français demandent de l’action, et là il est au maximum de l’action et même de la réaction si je puis dire et ça fait 19 points en moins dans la dernière enquête IFOP ». À relire trois fois…

Bilan ?

- Une tablée d’experts qui ne reculent devant aucun cabotinage [2], se revendiquent de la sonde et de la science pour s’exprimer sur n’importe quel sujet (une altercation somme toute anecdotique… ou le démantèlement de l’Etat social) et diagnostiquer ce qu’ils estiment « l’état de l’opinion ».

- Un animateur multimédia (France 5, France 2, France Inter) omniprésent dans « son » émission se fait l’avocat du bon sens : ce numéro de prestidigitateur s’appuie sur une novlangue pernicieuse dans laquelle les contre-réformes sont des réformes et le « maximum de l’action », une provocation [3] verbale…

 
Acrimed est une association qui tient à son indépendance. Nous ne recourons ni à la publicité ni aux subventions. Vous pouvez nous soutenir en faisant un don ou en adhérant à l’association.

Notes

[1Voir ici même « Yves Calvi (France 2), extincteur d’incendie dans les quartiers populaires »

[2Parmi eux, on retrouve par exemple François Jost et Brice Teinturier qui étaient déjà les invités de « Mots croisés » sur France 2, présenté par Yves Calvi le 14 janvier 2008 (sur « Sarkozy, le téléprésident »).

[3Ou un dérapage, au fond peu importe.

A la une

Portraits de journalistes dans Libération : entre-soi et complaisance

Starification et dépolitisation.