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Venezuela : Les Dernières Nouvelles d’Alsace contre le « populisme »

par Henri Maler,

C’est un éditorial signé Jean-Paul Kiefer... Et il est paru le 17 aôut 2004 dans Les Dernières Nouvelles d’Alsace : un quotidien qui, à défaut d’informer ses lecteurs sur la situation au Venezuela, s’empresse de leur expliquer ce qu’il faut en penser.


De l’indifférence des marchés pétroliers

En ouverture de ce prêt-à-penser, un cri de stupeur :

«  Fraude électorale ou pas , le président du Venezuela Hugo Chavez ne sera finalement pas destitué par référendum. Et c’est tout ce qui importe aux marchés pétroliers. Ils ont salué l’“exploit” du tribun “bolivariste” avec un léger effritement des cours.  » (Souligné par nous).

En trois phrases, Kiefer parvient à accréditer l’hypothèse d’une fraude et à disqualifier la victoire de la démocratie vénézuélienne. Pour cela, il lui suffit d’attribuer le résultat électoral, en truffant de guillemets une expression dont tous les termes sont pris en un sens péjoratif, à « l’“exploit” du tribun “bolivariste” »

Mais cette prouesse éditoriale est mise au service de cette autre : s’indigner de l’immoralité et de l’irrationalité des marchés pétroliers.

Pensez donc : « Fraude électorale ou pas », ces indifférents « ont salué l’“exploit” du tribun “bolivariste” avec un léger effritement des cours. Dans un premier temps, seulement, pour finalement se stabiliser ! Comme si on s’était rapidement rendu compte que le Venezuela produit à peine 5% des 80 millions de barils/jour que brûle le monde... ».

Notre moraliste, doublé d’un « expert », se lance alors dans une fougueuse critique de ... l’économie de marché :

« Ce revirement montre à quel point les marchés pétroliers échappent à toute logique, qu’elle soit politique ou économique. Seule joue la spéculation qui mise sur la crise pour que flambent les cours. Cette éventualité étant pour l’instant écartée au Venezuela, on trouvera vite d’autres motifs d’inquiétude...Mais le Venezuela, dont la moitié de la production part aux Etats-Unis, est-il vraiment à l’abri de nouveaux soubresauts ? Le pays reste au bord de la révolte. »

Cette explication qui renonce à en être une, notamment parce qu’elle ne tient aucun compte du rôle relativement stabilisateur du gouvernement Chavez au sein de l’OPEP, n’était qu’une entrée en matière. Le meilleur reste à venir...

De la véritable personnalité de Chavez

« En Europe, on a sans doute du mal à saisir ce que représente vraiment Hugo Chavez : un ancien officier, spécialiste en coups d’Etat [il en suffit d’un pour devenir spécialistes de plusieurs...], catholique presque intégriste [ou fervent, c’est selon le bon vouloir des laïques DNA...], anticommuniste notoire [en quel sens ?] et pourtant ami de Fidel Castro, en se déclarant « ennemi juré » de George W. Bush et de tout ce que représentent les Etats-Unis [C’est-à-dire ?]... Un personnage inclassable qui donne des sueurs froides à Washington où on craint pour les intérêts pétroliers en redoutant une contagion « bolivaro-castriste » à tout le sous-continent. »

Ouf ! Grâce aux précisions érudites et éclairantes de Jean-Paul Kieffer, vous savez désormais, européens ignares, « ce que représente vraiment Hugo Chavez »
Il ne vous reste plus qu’à approfondir un peu...

Mais, d’abord, il faut vous purifier des « clichés » par un sain retour à la « réalité » ... vue du sommet de la cathédrale de Strasbourg


De la réalité dûment établie

Sus aux clichés, donc :

« Une vision romantique nourrie par tous les clichés sur les multiples révolutions sud-américaines voudrait que Chavez soit le défenseur des déshérites et l’élu des « pauvres ». Les mêmes clichés laissent entrevoir que depuis trois ans les « nantis » et autres privilégiés cherchent à renverser cet homme qualifié de providentiel [par qui ?]. Avec l’appui occulte de Washington, évidemment... »

En une phrase, le rôle de l’oligarchie vénézuélienne et le soutien, à la fois public et occulte, accordé par l’administration étatsunienne à l’opposition se sont évanouis.

Recette d’éditorialiste : pour vous débarrasser des demi vérités, il suffit de les transformer en « clichés » - simple exercice de style - et d’opposer à cette caricature une autre caricature également sortie de votre imagination, celle que vous appellerez pompeusement la « réalité  ».

La voici :

« La réalité est différente. Jamais Chavez ne s’est pas attaqué aux grandes fortunes [demandez aux grands propriétaires fonciers, par exemple] et aux capitaux étrangers qui apportent les dollars qu’il ne refuse pas [Mais qui préfèrent refuser d’investir]. Si ce populiste [le mot est lâché...] mène - d’ailleurs, souvent plus en paroles qu’en actes [autre « cliché...] - une politique sociale en faveur des démunis, c’est sur le compte presque exclusif de la classe moyenne. »

Ouf ! Marquons une pause... Faut-il comprendre que l’éditorialiste des DNA, après avoir contesté (?) l’économie de marché - et nommément l’économie des marchés pétroliers - reproche à Chavez de ménager l’oligarchie vénézuélienne et les capitalistes étrangers ? On se doute que non... Ces pseudo arguments sont des trompes l’œil.

Reprenons !

Du bon usage de « la classe moyenne »

« Si ce populiste mène - d’ailleurs, souvent plus en paroles qu’en actes - une politique sociale en faveur des démunis, c’est sur le compte presque exclusif de la classe moyenne. Cette dernière, à peine émergente et toujours fragile - le produit intérieur brut par habitant du Venezuela représente à peu près la moitié de celui du Portugal - est déjà devenue taillable et corvéable à merci... A l’européenne !
 »

Au lieu de faire payer les riches, Chavez fait payer la classe moyenne ! Qu’importe si rien ne vient étayer cette audacieuse affirmation... Qu’importe si la politique sociale dont bénéficie les plus « démunis » s’appuie essentiellement sur une redistribution des bénéfices pétroliers... Jean-Paul Kieffer a découvert la grande misère de la classe moyenne : « taillable et corvéable à merci » !

Comme en Europe ! Chômeurs en fin de droits, précaires et intermittents, smicards privilégiés et jeunes en galère, gare au « populisme » : il spolie la classe moyenne.

Et concernant le Venezuela, cette prétendue spoliation permet d’ offrir aux lecteurs des Dernières Nouvelles d’Alsace une version de la lutte des classes ... vue de la classe moyenne :

« Ceux qui ne veulent plus de Chavez se recrutent parmi les employés, les commerçants, les fonctionnaires et les ouvriers du pétrole. Pas chez la riche bourgeoisie, depuis longtemps à l’abri. Voilà pourquoi la contestation devrait rapidement reprendre en Venezuela.  »

On relève rapidement que « la riche bourgeoisie », parce qu’elle est « depuis longtemps à l’abri » ne soutiendrait pas l’opposition à Chavez..., et on se précipite vers la conclusion.

Morale de la fable

Partout dans le monde, le développement passe par une solide assise de la classe moyenne, seule garante de stabilité et de croissance en économie. A force de démagogie et de rodomontades, Hugo Chavez l’a oublié. »

Heureusement que Kiefer, non sans démagogie et rodomontades, vient de réparer cet oubli ! Concluons donc comme Kiefer a lui-même commencé : « Victoire de Chavez ou pas, l’éditorialiste de Strasbourg ne sera finalement pas licencié pour excès de morgue et d’ignorance. »

Car, après tout, cet éditorial n’est qu’un libre exercice de la liberté d’expression.

Oui, mais...

Mais le lecteur des Dernières Nouvelles d’Alsace, en guise d’informations n’aura eu droit qu’à des commentaires.

En application de cette règle journalistique non écrite : « Les faits sont sacrés : inutile d’en parler. Les commentaires sont libres... de tout rapport avec les faits. »


Henri Maler

 
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