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« Veillée d’armes » : la presse écrite avant le G8 (22-29 mai)

par William Salama,

Depuis le 22 mai, les quotidiens traitent le prochain sommet du G8 sur le mode de l’excitation quant aux intentions belliqeuses des altermondialistes et aux préoccupations diplomatiques. En occultant déjà les véritables enjeux.


Tous les regards se tournent... vers la paranoïa

Etat d’urgence...« Les altermondialistes se préparent à mettre le feu au lac » (Le Monde, 22 mai), « Evian en état de siège » (Le Figaro, 22 mai), « Avis de tempête sur le Léman » (Le Point, daté du 30 mai) « G8, veillée d’armes à Evian » (L’Express, 29 mai), etc. C’est devenu un "marronnier" qui grandit. Chaque sommet ou forum donne lieu inévitablement aujourd’hui à un contenu sur la sécurité, qui enfle et se dramatise de manière inquiétante. Non pas que les médias appellent à la violence. Mais, à force d’insister sur le déploiement de force inouï et provocateur («  avions de chasse, hélicoptères, batteries de missile sol-air » - Le Figaro, 22 mai), un certain malaise naît de cette pré-couverture.

D’ailleurs, c’est avec une certaine fascination pour cette armada coûteuse (France-Soir : « des drones pour surveiller le G8 ») mêlée d’allégeance envers la communication ultrasécuritaire du gouvernement, que les médias avertissent ou même attendent. Comme si la presse jouait avec le feu en mettant avec un certain plaisir une loupe grossissante sur les intentions réputées malsaines des « altermondialistes ».

Ce projecteur a certes son intérêt : les contestataires sont là. Mais ils sont tout de même irresponsables, illégitimes (« une légitimité non issue des urnes » - La Tribune, 28 mai, dans un article au titre contradictoire avec son propos : « les ’’altermondialisation’’ se muent en force de proposition au G8 ») et hétérogènes (Libération met l’accent sur leur « diversité », 27 mai).

Au final, cette diversion se transforme en une idée force : les « altermondialistes » ou « antimondialistes  » (comme s’entête à les nommer Le Parisien, 26 mai), s’ils seront « entendus », ne seront pas écoutés.

La presse le fait savoir et attend le contre-sommet comme une finale de championnat du monde de football… Une « décrédibilisation » sournoise. Si les « altermondialistes » sont attendus, c’est dans la rue.

Légitimation du G8 et réconciliation

Au-delà des débats, des enjeux et des discussions à venir du G8, c’est bien deux conceptions qui s’opposent. La vérité d’un modèle libéral indiscutable et les propositions sans crédit des altermondialistes prêt à perturber le show des dirigeants.

Pourtant, où est le réel danger quand Le Figaro Economie évoque sans complexe une autre guerre - celle du club des 8 - en des termes belliqueux ? Le quotidien inaugure, le 27 mai, une série en quatre volets sur la « puissance économique ». En s’attachant, pour commencer, à la « délicate » question de l’évaluation de « la puissance militaire au service du développement économique » (en gros, combiner les critères : « innovation, force militaire, suprématie financière et démographie ») et en enchaînant le lendemain sur « comment l’Etat arme ses entreprises pour la guerre économique ».

Au service de cette obsession, une tendance certaine à « comparer » les deux puissances. Le Figaro Economie, donc (« Comment les Etats-Unis règnent sur l’économie mondiale », 27 mai) mais également La Croix qui déplore : « la France se veut encore rivale des Etats-Unis », (28 et 29 mai) et se range du côté du « vainqueur » qui doit être « magnanime » (idem), « Paris rentre dans le rang » (Le Parisien ,22 mai) ou scruter la façon dont se comporteront Bush et Chirac (« une question de langage » - Les Echos, 28 mai).

En effet, ce G8 a beau se parer d’intentions louables, communiquées intensivement aux rédactions par Chirac, et réduites à trois idées-forces : « responsabilité, solidarité et sécurité » (Les Echos, 22 mai), les médias ont une autre marotte. Car l’autre véritable enjeu, pour tous, reste la « réconciliation » ou « l’apaisement » entre la France et les Etats-Unis, qui n’est pas en soi à dénigrer, sauf quand cet appel est en symbiose avec une idéologie - la légitime - qui doit être acceptée par tous : « le capitalisme va donc raccommoder le monde » ironise (mais c’est déjà ça d’ironiser) David Hassoux dans Libération, le 27 mai. Et qu’elle occulte le reste.

Quelques signes prometteurs ?

Face à ce « hold-up », savamment orchestré et gentiment relayé, certains médias feront ou font déjà un effort pour traiter des vrais sujets (l’accès aux soins, par exemple : cf. dossier du Monde, supplément Economie, le 27 mai : « Les pays du Sud s’immiscent dans la guerre des laboratoires ») ou d’autres plus corporatistes (« Le gotha mondial des affaires » en opération de lobbying sur le commerce mondial - Les Echos, 28 mai).

Libération et L’Humanité ont ainsi inauguré à « J-5 » une série a priori prometteuse. Ils ont aménagé leur maquette avec une double page (édito, chroniques, reportages) dédiée au G8... et qu’il faudra bien remplir de manière plus complète (et pas uniquement avec du sécuritaire).

 
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