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« Un grand affectif », un « homme d’honneur » : des hebdos conquis par Didier Lallement

par Maxime Friot,

Didier Lallement, secrétaire général de la Mer, vient de publier un livre-entretien avec l’ancien chef du service politique de France Info (Jean-Jérôme Bertolus), dans lequel il revient sur son expérience d’ex-préfet de police de Paris [1]. Mais l’immanquable tournée promo n’a que trop peu été l’occasion de revenir (notamment) sur son bilan à la tête de la préfecture de police de Paris (mars 2019-juillet 2022). Au contraire, une douce mélodie fut chantée dans Paris Match, le JDD et L’Express : celle de la « métamorphose »...

« Un maintien de l’ordre violent, des propos méprisants, voire insultants, et des déclarations mensongères : c’est ainsi que pourraient se résumer les trois années passées par Didier Lallement à la tête de la préfecture de police de Paris », synthétisait Mediapart en juillet. « Le bilan [concernant les journalistes] du préfet Didier Lallement est indubitablement négatif », détaillait encore RSF.

Mais dans Paris Match (12/10), on s’intéresse à l’homme derrière l’uniforme, plutôt qu’au bilan du préfet :

Il est méconnaissable. Didier Lallement a tout lâché, l’uniforme, le phrasé schlagué, le masque glacial, surjoué sous la casquette, sans craindre d’être le préfet le plus détesté de la Ve République. Le voilà dans une brasserie parisienne, jeans, barbe de hipster, le regard philosophe, presque doux.

« Doux », le Journal du dimanche (16/10) l’est aussi assurément. Sous la plume de Catherine Nay, on « respire » :

Il respire, cela se voit. Il émane de lui quelque chose de très doux que n’imaginerait pas la cohorte de ses détracteurs tant sa réputation de mauvais caractère voire de « brute épaisse » est établie.

Au fil de ce morceau de psychologisation, on le plaindrait presque :

Didier Lallement est entré à la préfecture de police de Paris et de trois départements de la petite couronne comme on entre en religion. Pendant trois ans et demi, sept jours sur sept, il s’est levé à 4 heures du matin, avec avant un réveil toutes les deux heures pour vérifier ses mails. Il se passe tellement de choses la nuit. Plus une sortie en ville, pas un spectacle. Une vie qui serait sinistre dans cet appartement de 1000 mètres carrés dont il occupait trois pièces. Tout en payant comme tous les préfets une taxe d’habitation, celle-là de 5000 euros.

« Bien sûr, continue Catherine Nay, les manifs ont laissé de mauvais souvenirs, il y a eu des blessés par des tirs de LBD. » Un détail… « Mais il a changé la doctrine en engageant les effectifs au plus près des manifestants pour maîtriser la foule. » Nous voilà rassurés ! Pour une conclusion toute en révérence : « Le 27 août, Didier Lallement a fêté ses 66 ans. Le bruit et la fureur autour de lui s’estompent, on découvre un grand affectif. »

Autre hebdomadaire, même ton. L’Express (18/10) :

L’homme en face de nous n’est pas cassant, ne parle pas d’un ton péremptoire, s’amuse des objections, disserte avec passion sur la société française, cite Clemenceau ou Trotski, auquel le titre de son ouvrage, L’ordre nécessaire (Robert Laffont), fait référence. Il sourit, souvent, et parfois, ce n’est pas un rictus.

Dans ce portrait indigeste (et indigent) d’Étienne Girard, rédacteur en chef des pages « Société » de L’Express, pas un mot du bilan de la répression des mouvements sociaux des trois dernières années, dont est en partie comptable l’ancien préfet. À défaut, un gros titre tapageur – « La haine et la violence gagnent du terrain » –, une complaisance vis-à-vis des propos les plus réactionnaires gravés dans les colonnes de l’hebdomadaire sans la moindre contradiction étayée et une romantisation dépolitisée des politiques répressives : « Dès les premiers jours, le préfet décide d’utiliser sa réputation de "méchant", issue notamment de son passage à la préfecture de Bordeaux ». Bref, le portrait d’un « homme d’honneur » (suivi d’une double page avec les « bonnes feuilles » de l’ouvrage), qui, conclut le journaliste, ne balance jamais les copains : « Sur les responsabilités de ses supérieurs au long de ces trois dernières années, Didier Lallement ne dira rien. Pas le genre de la maison, casquette sur la tête ou pas. »

Que ces trois hebdos reprennent sans sourciller le storytelling de l’ancien préfet en jetant le journalisme par-dessus bord, il n’y a pas de quoi s’en étonner, tant les directions éditoriales partagent la même vision du maintien de l’ordre : celle qu’il défend sur « C à vous » (France 5, 20/10) – quoique les journalistes s’autorisent, une fois n’est pas coutume, des questions un peu plus impertinentes [2] – : « La solution, c’est la répression. » Un élan d’affection, sans doute...


Maxime Friot

 
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Notes

[1L’Ordre nécessaire, Robert Laffont.

[2Notamment concernant les manifestants blessés pendant le mouvement des Gilets jaunes.

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