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Télérama et les « cumulards » des médias : une critique sarcastique et inoffensive

par François Ducray,

« Nouvelle couverture, nouvelle maquette, nouveau contenu. « Pourquoi tous ces changements ?  » direz-vous. Permettez-moi une réponse lapidaire et immodeste : pour rester intelligent et utile  ». C’est de cette manière - et à grand renfort de publicité - que Télérama a inauguré pudiquement sa nouvelle version le 27/09/2006. Nouvelle version, nouveaux sujets d’articles. Et critique des médias ?

Sous différents angles (polémique, people, presse alternative...), la critique des médias fait florès dans les magazines culturels et naturellement Télérama prend le train en marche. Dans ce numéro, une enquête, intitulée «  Le squatteur de médias  » s’intéresse aux «  cumulards  » que sont « Alain Duhamel, Franz-Olivier Giesbert, Laurent Joffrin, Jean-François Kahn, PPDA...  ». Le sous-titre - «  Us et habitudes de ce drôle d’animal qui a le don de se cacher un peu partout  »- et les encarts à côté des portraits illustrés ne laissent pas beaucoup de doute : la critique des médias version Télérama sera « people ». Pour chacun des « cumulards  » sont notés « ses emplois (du temps), ses livres, ses prix, ses présidences, sa botte secrète, sa famille  ».

Une remise en cause radicale ?

C’est pourtant sur un ton plutôt virulent que commence l’article, en reprenant des accusations sérieuses contre ces personnalités médiatiques : « Vous les connaissez (...) toujours les mêmes (...) ils squattent votre télé, sélectionnent vos livres, analysent votre monde, façonnent votre conscience de citoyen (...). Invités partout, invitant tout le monde, au cœur de ce système médiatique (...). Un monde où chacun est juge et partie, sujet et objet, émetteur et récepteur : je te tiens, tu me tiens, par la barbichette, le premier de nous deux qui dira du mal de l’autre sera exclu  ». Sur un ton ironique, la journaliste semble porter un regard particulièrement critique sur ces « ogres à l’ego affirmé » qui vivent dans le «  centre (voire le centre-ouest) de Paris, entourés d’écran plasma, de cafés confortables et de restaurants cossus  ». On croirait lire une remise en cause radicale de la position de monopole qu’occupent ces « cumulards » qui profiteraient de leur situation pour œuvrer à leur auto promotion et vendre leurs propres produits : «  Rappelons au passage que le cumulard est souvent un écrivain abonné : 1) aux prix littéraires ; 2) aux critiques dithyrambiques écrites par moult confrères désintéressés ; 3) aux bonnes ventes  ». De plus, ils « se sont construits un monde à eux, qui ne laisse guère la place au subversif (...) ils sont devenus des produits médiatiques qui font vendre et se déclinent à l’infini  ». Bien vu, bien dit ! Mais...

...Mais rapidement, le ton d’abord ironique se fait complice et attendri, et c’est une certaine fascination qui transparaît derrière la description de l’emploi du temps de ces « surhomme(s) des médias  » : « le cumulard, contrairement à vous et moi, ne perd pas de temps dans le métro (...), ne sort pas les poubelles (...). Après sa chronique radio de 7 heures, il prend un café avec un président (...), joue au tennis avec un ex-champion ou un futur ministre (...). Le cumulard, avouons-le, a des facilités (...), il travaille beaucoup (...), en plus, il dort peu, car la nuit, confronté à son auguste lui-même, il consacre son cerveau enfin disponible à LA littérature (...). Il sait aussi s’extraire du bruit médiatique, le week-end, en rejoignant sa maison de Provence (de Normandie, de Bretagne, des Yvelines...) pour réfléchir à la petitesse de l’homme et à la grandeur de la nature  ».

Le cumul, une nécessité...

Une fois ces portraits brossés, plutôt que de se risquer à des explications en termes de stratégies d’occupation des positions de pouvoir médiatique, ou de monopolisation de la parole journalistique, l’auteure de l’article cite un homme du métier, Eric Zemmour du Figaro et d’un peu partout... Celui-ci explique, avec «  franchise et lucidité  » précise la journaliste, que les « cumulards » n’ont «  plus le choix  », le cumul des postes dans les médias se justifie par le fait que «  le pouvoir n’est plus dans la presse écrite. L’argent non plus. Quand je vais à la télé, je vais aux putes, et j’assume...Et en plus ça fait vendre mes livres !  ». La journaliste surenchérit : avec l’«  effacement des frontières entre l’écrit, le son et l’image  » et « l’explosion du numérique », cumuler deviendrait presque un impératif pour qui voudrait sauver la presse écrite. Cet emploi du temps « surhumain », ces multiples relations à entretenir et ces apparitions incessantes sur les différentes scènes médiatiques trouveraient ainsi leur justification dans une noble cause. Paradoxalement, les principales victimes du cumul des postes médiatiques seraient les « cumulards » eux-mêmes, puisqu’«  en voulant être partout, le cumulard risquerait de se banaliser  ».

Ainsi la première enquête de cette nouvelle version de Télérama illustre bien le projet : «  rester intelligent et utile  ». Il fallait certainement toute l’intelligence de Télérama pour émettre et neutraliser en même temps des critiques contre l’omniprésence de quelques omniprésents qui ne se distinguent que par quelques nuances dont ils font les choux gras... Télérama s’y emploie tout d’abord en usant d’un ton ironico-humoristique qui adoucit la critique et masque les flatteries. Ensuite, la conclusion vient naturellement dédouaner ces oligarques des médias, serviteurs bien servis d’un système médiatique apparemment inaltérable. Utile, bien évidemment que cet article l’est, puisqu’il désamorce des critiques autrement plus dérangeantes. « Je te tiens, tu me tiens, par la barbichette » ?

François Ducray

 
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