Depuis quelque temps, une rumeur persistante prétendait qu’un cadre de la rédaction amiénoise aurait utilisé l’image de la société France 3 Picardie ainsi que la fonction qu’il y occupe pour monnayer ses services auprès de la préfecture de région. Cette lucrative collaboration extérieure se serait déroulée dans l’après-midi du 7 avril 2006 et, circonstance aggravante, pendant les heures de service du cadre en question.
Lors de la conférence de rédaction du lundi 5 juin 2006, le rédacteur en chef a reconnu les faits suivants :
- 1. Le cadre incriminé a bien animé un colloque pour le compte de la préfecture de Picardie ce jour-là. br>
- 2. Ce « ménage » (selon les propres termes du rédacteur en chef) a bien donné lieu à une rémunération versée par la préfecture de Picardie. br>
- 3. Ledit « ménage » a d’ailleurs été accepté puis planifié « avec [la] bénédiction » du même rédacteur en chef.
En revanche, ce dernier a tenu à préciser que le cadre concerné « n’était pas rémunéré par France 3 » lorsqu’il animait ce colloque en préfecture. Motif : « Il n’était plus tenu d’être en rédaction l’après-midi puisqu’il était planifié « JT Midi ». Et le rédacteur en chef d’ajouter : « Il avait donc fini sa journée » (sic !).
Où l’on apprend, donc :
- a) qu’une règle apparemment méconnue autorise désormais toute personne ayant présenté l’édition de la mi-journée à vaquer à ses occupations personnelles l’après-midi qui suit, br>
- b) qu’il n’est plus impératif de déposer une demande de congé sans solde pour effectuer une collaboration extérieure (cf. note n°1671 du 26 mai 1997).
Toujours selon le rédacteur en chef, ce n’est donc que par pure « conscience professionnelle » (noble notion sur laquelle il convient toutefois de s’interroger) que le cadre incriminé serait ensuite revenu pour assurer l’édition du soir. Autrement dit, non seulement cet exceptionnel membre de l’encadrement n’aurait pas fauté, mais il incarnerait même un exemple à suivre. Ah bon. Jusqu’en préfecture ?
Autre argument invoqué par le rédacteur en chef pour défendre son adjoint : plusieurs journalistes de France 3 se livreraient eux aussi à de profitables « collaborations extérieures ». Ce triste épisode ne serait donc qu’un arbre insignifiant dissimulant une immense forêt nauséabonde toute pleine de branches pourries. Dans ces conditions, pourquoi s’acharner sur cette pauvre victime au comportement par ailleurs exemplaire (voir paragraphe précédent) ?
L’argument est imparable, à trois « minuscules nuances » près :
1. La première concerne la personne en cause. Il ne s’agit précisément pas d’un « simple journaliste » mais d’un rédacteur en chef adjoint qui se doit de montrer l’exemple (celui du code de déontologie des journalistes, pour éviter les malentendus). Co-responsable de la politique éditoriale du journal de France 3 Picardie, et ayant toute autorité pour l’imposer à ses subordonnés, il lui incombe, plus qu’à n’importe qui, de rester totalement crédible.
2. La seconde tient à la nature de l’employeur, en l’occurrence l’institution politico-administrative la plus importante de la région, celle avec laquelle nous sommes nous, journalistes de terrain, le plus fréquemment en rapport au gré de nos reportages. Un choix particulièrement malheureux et moralement condamnable alors que les équipes de France 3 Picardie se démènent quotidiennement pour livrer au téléspectateur une information de qualité, libérée de toute suspicion de collusion avec les autorités locales.
3. La troisième précision qui découle des deux précédentes concerne bien sûr les conséquences éditoriales de la collusion dénoncée plus haut. Qu’un rédacteur en chef adjoint soit rémunéré par la préfecture pourrait-il avoir quelque influence malheureuse sur le contenu d’un journal régional ? Dans un (louable ?) souci de renseigner rapidement ses subordonnés (ceux qui pourraient plus tard s’interroger sur le sujet), l’intéressé s’est heureusement chargé de lever toute ambiguïté dès le 7 avril 2006... en invitant sur le plateau du journal l’organisateur du colloque qu’il s’apprêtait à animer quelques heures plus tard. On n’est jamais mieux servi que par soi-même...
Par cette attitude irresponsable et navrante, ce cadre discrédite totalement le travail de ses subordonnés. Et si cette triste affaire doit effectivement servir d’exemple, ce n’est certes pas dans le sens qu’évoque le rédacteur en chef, mais bien dans celui de l’exemplarité de la sanction qu’elle devrait entraîner à l’égard du fautif.
En attendant, les journalistes de France 3 Picardie qui le souhaiteront seront fondés à invoquer leur droit de retrait dès que ce cadre assurera l’édition du journal et leur commandera de réaliser un reportage impliquant directement ou indirectement une autorité politico-administrative locale.
Si ces prises de position individuelles devaient ensuite leur être reprochées par la direction de France 3, ces mêmes journalistes se tiendraient bien entendu à l’entière disposition de leur hiérarchie pour débattre publiquement de la notion de faute professionnelle, y compris devant une juridiction compétente.
Amiens, le 7 juin 2006