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TF1 contre les grévistes dès le début du mouvement

par Denis Perais, Henri Maler, Jamel Lakhal,

Mardi 20 novembre 2007. Une semaine après le début de la grève contre la « réforme » des régimes spéciaux, alors que la plupart des médias se prévalent des sondages d’opinion qu’ils commanditent et des réactions d’ « usagers » qu’ils enregistrent avec une rare complaisance, il n’est pas inutile de rappeler que le « cadrage » de l’information a manifesté d’emblée leur soutien au gouvernement et leur hostilité à la grève.

Comme pour les conflits précédents, les télévisions généralistes, publiques et privées, ont rempli leurs fonctions d’accompagnement de l’offensive néolibérale par des procédés désormais habituels : effacement du conflit entre les salariés et le gouvernement au profit d’une survalorisation des difficultés des usagers et de l’hostilité de certains d’entre eux, minoration de l’expression individuelle et collective des salariés en lutte, occultation des motifs de la grève et concentration quasi exclusive sur ses effets.

Retour sur les Journaux télévisés de 20 heures de TF1 des 13 et 14 novembre 2007, veille de la grève et premier jour de son déclenchement.

Des titres du journal à la fin d’une interview de François Fillon, le JT du 13 novembre sur TF1 a consacré 23 minutes et 35 secondes au conflit. Des titres du journal à la fin de la séquence consacrée à la grève contre la remise en cause des régimes spéciaux, le JT du 14 novembre a consacré 21 minutes au conflit.

Le 13 novembre, 10 « sujets », à en croire le découpage présenté par le site de TF1 ont illustré le propos de Patrick Poivre d’Arvor. Le 14 novembre, selon le même comptage, 11 « sujets » ont été proposés.

13 novembre : La veillée d’armes de TF1

La veille du conflit, le 13 novembre, aucun « sujet » (sur 10 !) n’a été consacré aux motifs de la grève ni aux positions des organisations syndicales. En revanche, un ministre - Xavier Bertrand - a droit à la parole, pour expliquer en 10 secondes : «  Il n’est pas possible de revenir sur le cadre gouvernemental, les principes de la réforme : le passage à 40 années de cotisation, le principe même d’une décote et l’indexation sur les prix [les trois points clés]. Revenir sur ces principes, c’est revenir sur cette réforme et ce n’est pas pensable. » Une autre voix lui succède : celle deFrançois Fillon qui bénéficie d’une interview chaleureuse de …6 minutes et 38 secondes [1]. Il est vrai que le lendemain, l’impartial souci d’ « équité » de TF1 permettra d’accorder… 6 secondes à Jacques Voisin, de la CFTC qui aura ainsi le temps de déclarer : « Quel contenu en termes de pouvoir d’achat, de salaires, de garantie des retraites, de niveau des retraites, c’est ces questions-là qui sont posées. »

La veille de la grève donc, hormis la parole du pouvoir, il n’est question que… des effets de la grève sur les « usagers ». Avec les titres suivants (selon le site de TF1) : « Grève : mercredi noir dans les transports » - « Grève : les dispositions de la SNCF » - « Grève : des usagers revendiquent le droit de... » - « Grève : la galère avant l’heure à Lille » - « Le point avec Sylvie Cenci à la gare Montparnasse » - « Grève : la débrouille des usagers » - « Grève : des usagers décident de dormir près de leur lieu de travail ».

Une exception à cette revue des effets de la grève près : le portrait d’un conducteur de la RATP. Lancement du reportage par PPDA : «  On le sait , ces régimes spéciaux de retraite ont été mis en place pour compenser la pénibilité de certains postes en entreprise. Louis Olivier et Thierry Haquet ont suivi un conducteur de bus de la RATP qui admet que les choses ont beaucoup changé tout en revendiquant un départ à la retraite anticipé. » Problème : dans la version qui est diffusée, le conducteur ne dit rien de tel :
- Journaliste : - « La pluie, la nuit, une circulation dense, et l’obligation de tenir ses horaires. »
- Olivier Cots, conducteur de bus : - « Alors là, je dois être à Saint-Michel à 22 heures 04 [...] Je ne serai pas à l’heure à Saint–Michel. »
- Journaliste : - « Un rythme immuable, en très exactement 6 heures et 59 minutes, Olivier Cots se doit d’assurer quatre rotations, Porte d’Orléans - Gare du Nord , Gare du Nord - Porte d’Orléans, pas de pause dîner, entre chaque un quart d’heure de pose. »
- Olivier Cots : - « Normalement, on a le temps de fumer une cigarette et d’aller boire un café. »
- Journaliste : - « C’était à l’époque un métier physique, il ne l’est plus aujourd’hui. Olivier Cots parle plutôt d’une pénibilité psychologique. »
- Olivier Cots : - «  J’ai déjà été agressé deux fois, quand je dis agressé, c’est agressé physiquement, c’est-à-dire des coups, des coups forcément. »
- Journaliste : - « 2 300 euros de salaire brut mensuel c’est au-dessus des moyennes françaises et surtout un départ à la retraite à 55 ans ; et c’est là la contradiction du personnage . Olivier Cots souhaite l’équité entre tous les salariés mais défend coûte que coûte son régime spécial, contrepartie de contraintes, qui selon lui, les salariés du privé n’ont pas. »
- Olivier Cots : - « Le fait de travailler tard la nuit, tôt le matin, les jours fériés, le week-end, de travailler en alterné, la matin, l’après midi. »
- Journaliste : - « Demain, il fera grève, avec ses collègues, en doutant cette fois-ci d’obtenir gain de cause. Il attend dorénavant les propositions de sa direction pour rendre son métier supportable jusqu’à 60 ans. »

Comme on peut le voir, les commentaires du journaliste dévorent les propos de son interlocuteur. Pour souligner son statut de privilégié, on donne son salaire brut (fort éloigné du net) sans préciser qu’il est en fin de carrière et l’on compare ce salaire brut au salaire moyen (et non à ceux des dirigeants de la SNCF…). La contradiction de sa situation (défenseur du « régime spécial », mais dubitatif sur l’issue du conflit) est interprétée comme une « contradiction du personnage »… qui « n’admet » rien du tout, contrairement à la fière annonce de PPDA. Vous avez dit manipulation ?


14 novembre : premier jour de grève selon TF1

Le soir de la première journée de grèves et de manifestations, il est déjà trop tard pour informer sur les motifs de la grève et, sans doute, beaucoup trop tôt, pour rendre compte de son déroulement. En revanche, le récit de ses effets occupe l’essentiel des reportages et du temps d’antenne.

Voici la liste des « sujets » proposés par le JT le plus regardé de France (selon le site de TF1) : « Grève : les prévisions du trafic pour jeudi » - « Grève : 360km de bouchons autour de Paris » - « Régimes spéciaux : syndicats et gouvernement... » - « Grève : la base militante poursuit le mouvement » - « Les conducteurs non grévistes victimes de menaces » - « Plusieurs manifestations pour défendre les régimes spéciaux » – « La grève synonyme de journée de galère pour les usagers » - « La grève anticipée par les voyageurs » - « Grève : le vélo fortement plébiscité - Grève : grosse galère pour les abonnés du TGV » - « Le centre de régulation de la SNCF. »

Un pot-pourri qui noie dans un flot de « sujets » sur ses effets l’information sur la grève elle-même. C’est à peine si celle-ci est évoquée – comme effet d’une « base militante » (sic) et immédiatement stigmatisée par le « reportage » sur les non-grévistes menacés. Quelques images des manifestations, et le tour est joué.

Petit bilan comptable de deux J.T. [2]

- Nombre de reportages consacrés aux effets de la grève (comprenant ceux consacrés aux projections de trafic, aux effets de la grève sur les usagers - salariés et dirigeants d’entreprise -, et aux dispositions prises par la SNCF pour y remédier) : 15, dont 9 spécifiquement sur les conséquences pour les usagers. 28 « témoignages » illustrent ces reportages. À titre de comparaison, dans les « sujets » qui leur sont vaguement consacrés, les salariés en lutte ne « témoignent » que 10 fois. Ce n’est pas seulement une question d’équité dans la distribution de la parole, mais surtout de qualité de l’information : en quoi des « témoignages » raréfiés permettent-ils de comprendre le conflit ? Pour TF1 la question ne se pose pas.
- Nombre de « sujets » destinés à exposer les données du conflit (le contenu du projet gouvernemental, les raisons de l’opposition des syndicats, leurs revendications et la mobilisation collective qui les porte) : un seul, mais d’un genre un peu particulier : l’interview confortable, le 13 novembre, de François Fillon qui se borne, sans être contredit par PPDA à affirmer qu’il n’y a pas d’autres solution possible. Il est vrai que le lendemain (voir plus haut) Jacques Voisin, de la CFTC disposera de 6 secondes.
- Nombre de « sujets » destinés à illustrer les divisions, réelles ou supposées, entre les syndicats ou entre les grévistes et les directions syndicales : 3.
- Nombre de « sujets » consacrés aux « tractations » entre syndicats et gouvernement autour de l’ouverture éventuelle de négociations : 2
- Nombre de reportages faisant état de pression de grévistes sur des non-grévistes : 1.
- Nombre de reportages consacrés à illustrer les conditions de travail d’un chauffeur de bus et d’un conducteur de train à travers deux portraits : 2. Le premier s’appuie sur le « témoignage » d’un conducteur de train non gréviste syndiqué à la FGAAC (qui n’appelle pas à la grève) ; le seconde, comme on l’a vu, fait dire au « témoin »… ce qu’il n’a pas explicitement dit.

Que savons-nous du déroulement effectif de la grève, de ses motifs, des arguments des grévistes ? Rien ou presque. Mais nous savons tout ce qu’il faut savoir pour comprendre quelle information l’éditorialiste anonyme du Monde défend quand le quotidien « de référence » sermonne les acteurs des mobilisations sociales qui ont le « sentiment » que les médias sont de parti pris !

Denis Perais et Yves Rebours


 Et pendant ce temps-là sur France 2, le 13 novembre 2007

… C’est à peine moins pire.

1. D’abord les usagers..

- David Pujadas présente les titres : «  La course aux derniers trains . La grève contre la réforme des régimes spéciaux commence en ce moment même à la SNCF. Nicolas Sarkozy promet de maintenir les réformes et reçoit ce soir les présidents des entreprises publiques concernées. » [...]

- David Pujadas : « C’est ce qu’on appelle un moment de vérité pour les syndicats, pour le gouvernement et pour la France. La grève reconductible a donc officiellement commencé dans les gares. Elle s’annonce massive et dure. Dure surtout pour les usagers . Ce soir, les quais sont en train de se vider, mais certains mécontents ont décidé de se faire entendre. […]  » Le « sujet » commence avec des images sur les derniers trains. « Il y a moins d’une heure, la colère était déjà là. » Micros-trottoirs de mécontents. Dispositif d’information de la SNCF et micro-trottoirs sur ce dispositif. «  Mais pour la plupart des usagers que nous avons croisés, réaction de déception … Un peu partout en France, la pression monte face à une grève qui s’annonce dure . Dans quelques gares, on a même vu des comités d’usagers s’organiser pour protester. » Une association qui distribue des autocollants : «  Client pris en otage  ».

- David Pujadas : « Bonsoir Agnès Molinier. Vous êtes en direct de la Gare Saint Lazare. Comment se présente la situation ? » Agnès Molinier décrit : Embouteillages, ambiance plus tendue, prévisions, N° de renseignement et remboursement des billets

2. Bref, passage par les grévistes… et retour aux usagers

- David Pujadas : « Merci Agnès. Rappelons que les transports urbains dans les grandes villes des régions ne sont pas a priori concernés. En revanche, le trafic régional sera très perturbé. A Marseille, la grève a déjà commencé pour les contrôleurs qui ont cessé le travail à midi, après l’agression d’un des leurs il y a quelques jours pendant son service .  »

- David Pujadas : «  Ailleurs, dans tous les dépôts, les cheminots préparent cette journée de demain.. Quel est leur état d’esprit  ? A Saint Etienne, reportage […]  » Suit un « sujet » sur les conditions de travail et les raisons immédiates de la grève : changement du contrat de travail, sécurité, pénibilité, … Début du reportage : « Ultime mobilisation avant la grève. Ces cheminots stéphanois sont tous syndiqués. Ils font une dernière tournée pour s’assurer que leur collègue de travail seront bien grévistes demain. » Les images montrent que les syndiqués informent plutôt sur la manifextation. Mais la voix-off représente cette tournée comme une pression exercée sur les collègues.

- David Pujadas : « Et rappelons que le syndicat autonome, la FGAAC, qui représente 30% des conducteurs, n’appelle pas à la grève. Côté usagers , on se prépare également, d’autant que le blocage pourrait durer plusieurs jours. C’est en région parisienne que la situation sera la plus difficile. A Sevran, en Seine saint Denis, reportage, […]  ». Le sujet commence ainsi : « Quand Fatima Bah quitte son bureau dans le centre de Paris, elle sait qu’elle est encore loin de son canapé … En cette veille de grève, un mot d’ordre : s’organiser. Pour eux, la grève est une vraie contrainte qu’ils [Fatima et son mari] n’acceptent pas ». Fatima Bah décrit son trajet, ses correspondances, son organisation pour la grève. Son mari s’interroge : Pourquoi des privilégiés, etc. ?...

- David Pujadas : « Voilà pour les particuliers. Mais du côté des entreprises, on s’attend également à vivre une semaine chaotique, car la grève, rappelons-le, est reconductible et elle pourrait durer plusieurs jours. Certaines ont déjà fait des stocks, au cas où, et organisent le co-voiturage. A Cergy Pontoise, reportage […]. » Un sujet sur une entreprise qui s’organise pour la grève (hôtel + covoiturage) et qui paie les frais. Le patron annonce les solutions acceptables pour l’entreprise. Les salariés témoignent des désagréments que leur occasionne la grève et de leur organisation personnelle. Le sujet se conclut par : « Le patron a fait des stocks. Il pense pouvoir tenir une semaine au maximum. Son angoisse que la grève à EDF le prive de courant et stoppe net sa production.  »

3. Présentation du « dialogue ».

- David Pujadas : « Et alors que la grève commence, le dialogue continue [sic] entre gouvernement et syndicats, on va le voir dans un instant. D’abord, on va rappeler le plus concrètement possible en quoi consiste cette réforme des régimes spéciaux de retraite qui a déjà fait l’objet de plusieurs arrangements ces dernières semaines. »

- Voix-off : « Depuis plus d’un mois, le ministre du travail consulte les syndicats sur la réforme des régimes spéciaux, mais jamais il n’a bougé sur les principes [comprendre : « ses » principes »] : l’allongement de la durée de cotisation de 37 ans et demi à 40 ans, l’instauration d’un système de décote, c’est-à-dire un malus pour les salariés qui n’effectuent pas toutes ces annuités et l’indexation de la pension sur les prix et non sur les salaires. Voilà pour le cadre général. La semaine dernière Xavier Bertand y avait ajouté deux concessions  : d’abord la réforme s’appliquerait au 1er juillet 2008, non au 1er janvier. Ensuite, il avait assoupli le système de décote de façon à ce que les agents qui effectuent deux ans et demi de plus ne perdent pas un euro. Mais les syndicats ont contesté le calcul du ministre et affirment que la réforme se traduira encore par une baisse des pensions même pour ceux qui travaillent plus longtemps. Les entreprises concernées, comme la SNCF, ont aussi fait des propositions. Dans un courrier envoyé aux 160 000, la présidente suggère par exemple une augmentation salariale pour les agents prolongeant leur activité au-delà de 55 ans. Mais, la majorité des syndicats n’a pas été convaincue par ces propositions et appellent toujours à la grève. »

Rien de proprement scandaleux, en apparence, mais le point de vue gouvernemental est favorisé et surexposé. Aucun travail n’a été effectué pour vérifier les calculs, pourtant décisifs.

La séquence s’achève sur les la « nouvelle proposition sur la méthode » de Bernard Thibault (négociation tripartite au niveau des entreprises concernées) et sur la réaction de Xavier Bertrand. On ne pourra pas dire qu’ l’on a rien appris.

Transcription de Jamel Lakhal

 
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Notes

[15 minutes et 7 secondes sur les régimes spéciaux et 1 minute et 31 secondes sur la contestation étudiante

[2Les chiffres qui suivent tiennent compte du fait qu’un même « sujet » peut aborder plusieurs thèmes.

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