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Contre-réformes et mobilisations de 2003

Syndicats : Le Monde regrette les " courroies de transmission "

par Jean Teulière,

Le chaleureux accueil dont a bénéficié Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT, au congrès socialiste de Dijon, a inspiré à Michel Noblecourt une surprenante réflexion sur " le complexe syndical du Parti socialiste " (Le Monde, 1er-2 juin 2003).

Dès le premier paragraphe, le nœud du problème est dévoilé sans fard : " le PS n’est jamais parvenu à être un vrai parti social-démocrate, faute d’établir, comme ses homologues britanniques et scandinaves, une relation privilégiée, consanguine, avec une centrale syndicale. "

Cet " échec social-démocrate " (sic) s’est joué en " trois actes ". Le premier est l’adoption par la jeune CGT, en 1906, de la fameuse " Charte d’Amiens ", texte fondateur du syndicalisme français, qui " refuse toute subordination du syndicat au parti " - et, circonstance aggravante, assigne comme tâches au mouvement syndical " la revendication quotidienne et la lutte pour "la disparition du salariat et du patronat" ", rappelle l’auteur, pour " préparer "l’émancipation intégrale, qui ne peut se réaliser que par l’expropriation capitaliste" ". Pour Michel Noblecourt, refuser la subordination du syndicat au parti, c’est promouvoir la " conception d’un syndicalisme autosuffisant pour transformer la société " (sic). Au passage, il rappelle que la dite " conception " " inspirera plus la CFDT, héritière de la filiation chrétienne, que la CGT, peu à peu happée par le Parti communiste. " Ce dont le lecteur peut déduire que le modèle " social-démocrate " était mis en œuvre quand la CGT était " happée par le Parti communiste ". Si l’on se reporte à la " couverture " du monde syndical que faisait à cette époque Le Monde, on apprécie l’autocritique…

Après la deuxième guerre mondiale, raconte Noblecourt, tandis que naissent " FO et la FEN, avec lesquelles la SFIO espère nouer des relations privilégiées ", " Guy Mollet interdit, en décembre 1957, "la double appartenance" à la CGT et à la SFIO ". Bien que FO, " dotée d’une direction qui apparaît après Epinay (1971), plutôt "SFIO maintenue" ", mais " travaillée par des courants divers, du RPR au trotskisme " est remarquablement constante dans l’anticommunisme, c’est la FEN qui " joue mieux le rôle de relais du PS ". A la fin du premier septennat de François Mitterrand, " le PS cherche à élargir le champ de cette fédération enseignante qui rêve de réunification syndicale ", en " profitant " des " relèves dirigeantes à la CFDT et à FO " pour hâter une " recomposition syndicale ". " Il s’agit de construire une grande centrale réformiste en relais du PS. Les grandes manœuvres échouent et accélèrent la désagrégation de la FEN ", écrit pudiquement Noblecourt, en " oubliant " de relater les manœuvres de la direction socialiste de la FEN d’alors, affolée par la montée en puissance numérique du SNES et du SNESUP.

Dans les années 60 et 70, la CFDT n’est pas plus " raisonnable ". " En 1964, quand la CFTC se transforme majoritairement en CFDT […] elle affirme, dans le préambule de ses statuts toujours en vigueur (apprécions ce discret " toujours en vigueur "), qu’elle "combat toutes les formes de capitalisme et de totalitarisme". En 1968, elle arbore l’étendard du socialisme autogestionnaire. Proche du PSU de Michel Rocard, elle préfère "l’union des forces populaires" au programme commun. " Certes, " quand la "deuxième gauche" rejoint le PS " en 1974, " la CFDT, qui a soutenu la candidature présidentielle de François Mitterrand, apporte sa pierre au projet de "grand parti des socialistes". " (Là, Noblecourt cite Jacques Julliard, à l’époque " membre du bureau national " de la CFDT, et aujourd’hui hiérarque, entre autres, du Nouvel Obs. Un petit coup de chapeau au confrère influent ne saurait nuire…)

" La direction de la CFDT prend le parti du PS, en 1977, lors de la rupture du programme commun, et M. Maire dénonce "l’alignement" de la CGT sur le Parti communiste " (l’auteur ne semble pas percevoir une contradiction…) Mais, patatras ! " la lune de miel prend fin en 1978 " : Edmond Maire, secrétaire général, " opère un "recentrage" : le changement social ne peut plus être subordonné au préalable d’un changement politique. La CFDT se resyndicalise et se dépolitise. "

N’empêche, en 1981, " la CFDT applaudit le changement, peuple les cabinets ministériels, approuve les réformes, coélabore les lois Auroux sur les droits des salariés. " Mais " en mars 1983, M. Maire est vertement invité par Lionel Jospin à aller cultiver son "jardin syndical" quand il réclame un plan de rigueur. " Ce Jospin, décidément ! C’était pourtant visionnaire, de réclamer un " plan de rigueur " !

Ensuite, ça se dégrade : " En 1985, le syndicat de gauche (croit devoir préciser l’auteur) cesse de s’engager pour des candidats ou des partis aux élections politiques. […] Au fil de la décennie qui suit, la CFDT salue, sous le gouvernement Rocard, la CSG et le RMI, mais le fossé se creuse. Le PS fait son deuil du modèle social-démocrate, résigné à vivre avec son complexe syndical. " CQFD, ou comment picorer dans l’Histoire et réécrire les événements qui servent une hypothèse préétablie…

La suite est connue : le rapprochement Notat-Juppé en 1995-97 (c’est écrit plus diplomatiquement…), les critiques de Notat à l’encontre des 35 Heures (c’est écrit sans faire le lien avec l’épisode précédent). " Déçu par la CFDT comme par FO, Marc Blondel ayant, à ses yeux, roulé pour l’élection de Jacques Chirac en 1995, M. Jospin place ses espoirs dans la CGT au moment où M. Thibault, parachevant l’œuvre de Louis Viannet, coupe les derniers liens qui avaient fait de sa centrale la courroie de transmission du PCF. " Comble de machiavélisme, la stratégie de Thibault offre un " débouché " à ce capricieux Jospin (décidément, ce Jospin…)

Alors, et Hollande ? " Comme M. Jospin, il n’est pas partisan d’avoir un partenaire syndical privilégié. Son souci est de venir à bout du déficit d’audience du PS, qui compte 24 % de syndiqués à la CFDT, dans le monde syndical. M. Hollande veut dépasser à la fois "l’affirmation hautaine de la primauté du politique et la recherche farouche de l’autonomie des syndicats". […] Ce discours du PS tinte positivement aux oreilles de la CFDT... mais c’est la CGT qui, depuis Dijon, fait figure d’allié privilégié. "

On aura compris : le PS, puéril, entretient un malentendu ! Car " la radicalité revendicative d’un Thibault a rejoint la radicalité oppositionnelle d’un Hollande désireux de gagner son congrès à gauche. "

La fable est magistrale. Mais rassurons-nous, on n’a pas encore vu le happy end : le PS " ouvre une nouvelle ère avec la CGT, qui l’a longtemps tenu en suspicion mais, passé les turbulences et pour construire une alternative, il se tournera de nouveau vers la CFDT, avec laquelle il partage la volonté de réinventer la démocratie sociale. " (envoyez les violons).

Si l’on voulait entrer dans la " logique " de ce pensum, on conclurait que Le Monde abjure son passé " deuxième gauche ". Gageons plutôt que, pour satisfaire aux nécessités du moment, Michel Noblecourt, par ailleurs président (bien peu contestataire) de la Société des Rédacteurs et vice-président du Conseil de surveillance du Monde (président : Alain Minc) [1], ne s’est pas fait outrageusement violence pour regretter le bon vieux temps des syndicats " courroies de transmission ".

 
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Notes

[1Lire notamment la dépêche en date du 27 février 2003 « Les journalistes du Monde veulent défendre leur honneur » sur le site de Yahoo (lien périmé) et ici-même Préparatifs pour un "Monde" boursicoté. (1) Les rédacteurs.

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