« Les chaînes d’information françaises sont indépendantes et non partisanes », déclarait Marc-Olivier Fogiel, main sur le cœur, en novembre 2019 dans Les Échos. Il faut dire qu’en matière d’indépendance le désormais patron de BFM-TV sait de quoi il parle : au cours de sa longue carrière de mercenaire du PAF, il s’est successivement mis au service des groupes Lagardère et Bouygues, en passant par Canal+ et M6. Sans même parler de sa proximité affichée avec le couple Macron.
Indépendantes, les chaînes d’info ? L’affirmation a de quoi faire sourire. En dehors de Franceinfo et France 24, elles sont la propriété de trois industriels : Patrick Drahi (BFM-TV et i24News), Vincent Bolloré (CNews) et Martin Bouygues (LCI). Et leurs investissements, dans un secteur majoritairement déficitaire, n’ont rien de désintéressé. Par-delà la valorisation de l’image de marque, ils s’inscrivent avant tout dans une logique d’influence : multiplier des plateaux, les invités, les obligés. De manière directe ou indirecte, contrôler et façonner la parole médiatique.
La qualité de l’information ? Une variable d’ajustement. Les chaînes d’info sont emblématiques d’un modèle d’information « low-cost » : budgets réduits au possible, travail journalistique automatisé, recyclage généralisé d’informations produites ailleurs… Un modèle basé avant tout sur les recettes publicitaires, et qui induit une concurrence acharnée pour des parts d’audience (p. 4). Sous les décors et plateaux clinquants, c’est l’usine : les journalistes produisent vite et mal des contenus sitôt « consommés », sitôt oubliés. De quoi « anéantir de fait le journaliste en tant que travailleur intellectuel autonome », comme le souligne Sophie Eustache (p. 17).
Même sur le service public, il semble qu’il soit difficile de penser l’information en continu « autrement ». France Télévisions en eut la prétention au moment de créer sa chaîne d’info en 2016 (Franceinfo) ; mais le slogan n’aura pas fait illusion bien longtemps, et les programmes de la chaîne publique reflètent peu ou prou ce qui se fait (mal) ailleurs (p. 21).
À des degrés divers, toutes ces chaînes « low-cost » portent haut les couleurs du journalisme de commentaire et de pseudo-« débats » à sens unique, où « experts », sondologues et communicants rivalisent de banalités en continu pour pas cher (p. 13). « Il existe une sorte de paresse intellectuelle. Tout le monde se copie, ronronne un peu, emploie les mêmes termes pour parler des mêmes sujets », note David Pujadas, dans un (rare mais cynique) éclair de lucidité (Le Monde, 25 août).
Les crises politiques et sociales en font particulièrement les frais, qui voient les rédactions coiffer le képi et jouer la partition du maintien de l’ordre (p. 19). Mais la petite musique est en réalité permanente : la médiocrité des dispositifs de débat, le suivisme à l’égard d’agendas politiques sécuritaires, l’absence de réel pluralisme sur les plateaux sont autant de facteurs qui normalisent, jour après jour, le traitement des thématiques les plus droitières dans le débat public.
Lesquels permettent aux promoteurs des idées d’extrême droite d’être parfaitement à l’aise sur les chaînes d’info (p. 27), et contribuent à de réguliers matraquages réactionnaires (p. 36). Une politique éditoriale (souvent) assumée : certaines émissions de débats s’arrachent les agitateurs racistes comme de véritables produits d’appel (p. 40).
Alors, « non partisanes », les chaînes d’info ? Voire… Au-delà des apparences de « neutralité » que de trop nombreux commentateurs leur accordent encore, elles véhiculent un modèle de « journalisme » toujours plus pauvre, et toujours plus aux ordres.
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