Il se trouve qu’Acrimed, détecté comme site web d’informations par cette société, s’est vu poser quelques questions visant à son évaluation. Nous avons rapidement coupé court pour plusieurs raisons, exposées ci-après.
La première est que la légitimité de la démarche – qui est la même que celle du Décodex – est tout simplement tout aussi critiquable. Au nom de quoi une entreprise de presse se permet-elle d’en évaluer d’autres ? Quel intérêt ou valeur peut avoir son classement ?
NewsGuard a beau se parer d’objectivité ou de scientificité, en prétendant attribuer ses notes au travers de 9 critères de « crédibilité » et de « transparence », la plupart des journaux d’informations générales qu’il a jugé fiables ont sombré dans le naufrage médiatique qu’a constitué le traitement de « l’arrestation » de Xavier Dupont de Ligonnès. Un naufrage que nous avons analysé ici et là, et qui montre bien l’inanité des systèmes de notation de type Décodex du Monde ou NewsGuard.
Le premier critère de NewsGuard – noté sur 22 points – concerne la non diffusion régulière de contenu erroné. Ce genre de dérapage revenant de manière récurrente à chaque fait divers crapoteux faisant l’objet d’une course au scoop, cela interroge. Gageons qu’avec les mêmes critères, Acrimed ne donnerait pas les mêmes notes aux journaux dotés d’une étiquette verte.
Sur la page d’accueil du site de NewsGuard, l’entreprise annonce vouloir indiquer aux lecteurs et téléspectateurs qui fait du « journalisme légitime » (« Nos analystes, qui sont des journalistes expérimentés, font des recherches sur les producteurs d’informations en ligne pour aider les lecteurs et les téléspectateurs à établir lesquelles (sic) essaient de faire du journalisme légitime et lesquelles (re-sic) ne le font pas »).
Cette prétention nous semble quelque peu abusive. Les 9 critères nous paraissent ainsi discutables. Les critères tels que, par exemple, le statut des journalistes dans les rédactions, ou l’indépendance des rédactions par rapport aux actionnaires, sont totalement absents.
D’autres éléments nous semblent particulièrement gênants. Le deuxième critère – qui vaut pour 18 points – renvoie à une mystérieuse « présentation d’informations de façon responsable ». L’appel à contribution des utilisateurs ne nous a pas non plus rassuré sur la mission de NewsGuard, si elle est bien de lutter contre le « maljournalisme » : « Si vous tombez sur un site Web qui semble diffuser de fausses informations, de la propagande ou des informations erronées, veuillez nous en informer. Il peut s’agir, par exemple, d’un site Web conçu pour diffuser ce qui paraît des informations légitimes, mais qui a, en fait, été créé pour une campagne politique ». Les notions de propagande ou de politique sont absentes en tant que telles des critères de NewsGuard, à moins qu’elles ne renvoient au concept flou de « présentation responsable », ou de pratiques qui, nous dit-on maladroitement « retiennent grossièrement certaines informations ou histoires seulement pour émettre leurs opinions » ?
Dernier point : Acrimed ne veut rien avoir à faire avec une entreprise qui compte parmi les membres de son conseil consultatif le général Michael Hayden, ancien directeur de la CIA et de la NSA, et Anders Fogh Rasmussen, ex-Premier ministre du Danemark et ex-secrétaire général de l’Otan, ainsi que plusieurs anciens membres des administrations Bush et Obama (source : https://www.newsguardtech.com/fr/our-advisory-board-fr/).
Acrimed ne veut rien avoir à faire avec une entreprise en lien avec Microsoft, que nous considérons comme une entreprise nuisible et à combattre, au même titre que les autres GAFAM. Nous sommes très attachés à la neutralité du Net et le fait que NewsGuard ait passé un accord avec Microsoft pour qu’un plugin de son application soit installé par défaut sur le navigateur Edge est une atteinte en soi à cette neutralité.
Acrimed ne veut rien avoir à faire avec une entreprise où figure parmi les principaux actionnaires le groupe publicitaire français Publicis, ce qui place indéniablement NewsGuard en situation de conflit d’intérêt.
Lors de nos courts échanges avec les équipes de NewsGuard, nous avons relevé avec intérêt que, demandant la part de Publicis dans son actionnariat, nous avons été renvoyés sur la liste d’actionnaires du site, celle-ci ne donnant pas d’informations sur les participations respectives de chacun.
Gageons que si Acrimed devait noter NewsGuard selon les critères de ce dernier, nul doute que les usagers des médias raisonnables y regarderaient à deux fois avant d’avaler des salades sur « les bonnes pratiques journalistiques » comme gage exclusif de la fiabilité des médias.
Nous profitons de cet article pour rappeler à quel point nos valeurs sont opposées à celles de NewsGuard (voir notamment nos articles en défense de Julien Assange dans la catégorie « Internet et libertés »).
Nous pensons que les lecteurs, que nous ne prenons pas pour des imbéciles, ont bien d’autres moyens qu’un système de notation pour évaluer de manière raisonnable les médias qu’ils utilisent. Ils peuvent, par exemple, s’appuyer sur les travaux d’Acrimed qui œuvre de manière bien plus utile à l’éducation aux médias qu’en attribuant des bons et des mauvais points selon des critères des plus flous. La question des médias et du pluralisme ne se réduit pas à la fiabilité de tel ou tel titre.
La concentration des médias entre les mains d’une poignée de milliardaires se souciant davantage d’acheter de l’influence que de produire de l’information de qualité est un réel problème démocratique, bien plus préoccupant que la lutte contre les « fake news ».