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Réforme des retraites : quand la critique des médias vient des rédactions

par Maxime Friot,

Au Parisien et à France Télévisions, des sociétés de journalistes (SDJ) et des organisations syndicales ont pris position contre le traitement réservé par leur média à la mobilisation contre la réforme des retraites.

Au Parisien, SDJ et sections syndicales critiquent une « dérive éditoriale »


Le 30 mars, dans un article d’Arrêt sur images, on apprenait que la SDJ du Parisien avait émis la veille un communiqué interne « sur le traitement éditorial de la réforme des retraites et du mouvement social ».

« Premier grief, explique Arrêt sur images : en 2023, "toutes les grandes interviews de Une" ont été dédiées soit à des membres du gouvernement, soit au chef du groupe LR au Sénat, "en tout cas uniquement avec des partisans de cette réforme largement contestée dans l’opinion et au parlement", établit la SDJ. » Ce que nous signalions, d’ailleurs, dans le Médiacritiques n°46 (p. 47) :



Deuxième grief, toujours rapporté par Arrêt sur images : « La SDJ s’est émue des éditos dans leur grande majorité favorables à la réforme. Là encore, pas d’équilibre des opinions. »

Le syndicat de journalistes SGJ-FO partage le constat d’un « traitement partial qui s’exprime […] dans les éditos et les choix opérés par la direction de la rédaction : Unes, interviews, portion congrue réservée aux paroles de grévistes et manifestants… Il faut y ajouter la publication très marginale dans le journal papier d’articles consacrés aux violences des forces de l’ordre à l’égard des manifestants et des journalistes, qui ont émaillé les dernières manifestations. » Puis de conclure : « La course à l’audience, au "sujet qui marche", l’abandon revendiqué de thématiques ou rubriques, et la recherche permanente d’économies au détriment des conditions de travail font aussi le lit de ces "biais éditoriaux" qui suscitent la colère légitime des journalistes de la rédaction. »

Le 1er avril, sur Twitter, c’est le SNJ qui relaie un communiqué de sa section du Parisien-Aujourd’hui en France : « Les Unes partisanes et biaisées, notamment sur le traitement de la réforme des retraites ces dernières semaines, ne se comptent plus. » Et plus loin :

A cette dérive éditoriale s’ajoutent bien d’autres soucis que doivent affronter au quotidien les journalistes de cette rédaction. A commencer par une organisation dont la verticalité assèche totalement notre capacité collective à la réflexion autour des sujets que nous traitons. Où sont passées [sic] les débriefs, les moments qui permettent de débattre de l’intérêt de tel ou tel angle, de tel ou tel interlocuteur à qui ouvrir nos colonnes ? L’information remonte de moins en moins du terrain mais ruisselle de plus en plus du haut d’une pyramide, où culmine depuis une direction de la rédaction incarnée par un seul homme. La course à l’audience est devenue le principal baromètre de notre activité journalistique.


France 3 se rebiffe, Nathalie Saint-Cricq remise en question


Le 27 mars, la Société des Journalistes de France 3 Rédaction Nationale publie un communiqué dans lequel elle dénonce le « mauvais traitement » réservé à la réforme des retraites et à la mobilisation sociale : « La hiérarchie de l’information s’inverse. La violence des casseurs prend le pas sur les manifestants. » ; « Pas une soirée spéciale sur France 2 comme sur France 3, avant que la loi ne soit votée ! » ; « Un soin tout particulier à ne pas évoquer les violences policières »…

Le lendemain (28/03), c’est la CGT France Télévisions qui dit « stop aux éditos de groupie », la « groupie » n’étant autre que Nathalie Saint-Cricq : « A chaque apparition en plateau, l’éditorialiste politique de France-télévisions déverse sa déférence, plutôt que son indépendance. Courtiser plutôt qu’analyser, voilà la véritable honte du service public. Dans quel autre pays peut-on entendre une journaliste expliquer la révolte populaire par la personnalité d’un président qui "réussit, qui est jeune, qui est diplômé et qui est riche". » Ou encore :

Ce n’est pas sur les plateaux TV, entourée par les autres chiens de garde qui vont à la soupe à l’Elysée, qu’une groupie peut sentir et comprendre le pays. Cette déconnexion effarante contribue pleinement à la montée de la défiance des téléspectateurs envers nos éditions et émissions d’information. Les équipes sur le terrain peuvent en témoigner. Elles entendent de plus en plus de reproches et d’invectives sur les tournages en manif ou sur les piquets de grève à cause de ses propos délirants. Le traitement partisan et orienté parisien n’est plus tolérable sur nos antennes. Le public est en droit d’attendre autre chose que des opinions de la part de ceux qui s’expriment au nom de France Télévisons [sic].


***


La démarche est salutaire, et on ne peut que se satisfaire de voir ces journalistes remettre en cause la dépossession de leur travail et les pratiques de leurs directions. En novembre 2022, nous relevions déjà des prises de position fermes de la SDJ et des organisations syndicales du Parisien, et celles de la CGT France Télévisions, certes minoritaires dans la profession, mais qui montrent la voie à leurs confrères en rappelant l’importance de confier les décisions éditoriales aux rédactions, plutôt qu’aux chefferies et autres éditocrates.


Maxime Friot

 
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