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Les médias et la mort de Pierre Bourdieu

Réactions diverses à la morts de Pierre Bourdieu

Enfin BHL

"Le bloc-notes de Bernard-Henri Lévy" (Le Point) 15/02/02 - N°1535 - Page 114

Avant de partir pour Kaboul - "Avant de partir pour Kaboul", c’est le titre du Bloc-notes ... -, BHL s’épanche.

Voici ce qu’il regrette
« Chirac en campagne. L’affrontement, dit-on, sera dur. Je crois surtout qu’il sera physique. Presque athlétique. Corps contre corps. Deux corps, autant que deux discours, lâchés l’un contre l’autre. Mission afghane oblige, je ne serai pas là pour le voir, c’est dommage. »

Et voici ce qu’il ne regrette pas :
« Bourdieu ? Non, je n’ai pas réagi à la mort de Bourdieu. Superstition. Respect des morts, même adversaires. Et puis la cause me semblait entendue depuis longtemps. Sur ce mandarin parlant au nom de la " basse intelligentsia ", sur ce pur produit de l’élite dénonçant la " distinction ", sur cette star des médias théorisant inlassablement son allergie à la " télévision ", je ne me posais qu’une vraie question : était-il Alceste ou Tartuffe ? Mais, en même temps, à quoi bon...
Qui a dit : " l’oeuvre d’un écrivain, c’est un placard où se trouve un cadavre " ? Peut-être Céline. »

Pas une affirmation qui ne soit une contre-vérité doublée d’une insanité.

Et plus loin :
« Bourdieu toujours. Ces bataillons de disciples partant déjà en guerre pour les reliques de la vraie croix. Je pense à Deleuze, que je n’aimais pas non plus, mais que je tenais pour un grand. Je pense à ce métaphysicien qui mourut, lui, sans disciples et qui professait que l’apparition d’une école est toujours mauvais signe pour une pensée. Que faut-il souhaiter ? L’importance d’une philosophie se mesure-t-elle au nombre de ceux qui s’en réclament ? Ou les philosophies majeures sont-elles des philosophies moins visibles, clandestines, furtives, empêchées par leur radicalité même de s’agréger aux blocs d’opinion constitués et qui, si elles agissent sur leur temps, le font sans vraiment s’y mêler ? »

Un vibrant éloge de la philosophie furtive : celle de BHL, sans doute...

La Cinquième rediffuse sélectivement

La Cinquième a la réputation d’être une chaîne du savoir et de la culture. C’est sans doute la raison pour laquelle, alors qu’il était demandé depuis très longtemps de revoir la vidéo de l’émission "historique" d’Arrêt sur Image, la chaîne a délivré la précieuse vidéo mais sur... le câble. Par contre l’émission reste en ligne. Subtilement hypocrite non ?

Sur le site de La Cinquième, on pouvait lire ceci :
« Vous avez été nombreux à demander la rediffusion de notre émission du 20 janvier 1996, avec Pierre Bourdieu, Jean-Marie Cavada et Guillaume Durand. Cette émission et un forum est donc en ligne sur notre site, pour quelques semaines. Son visionnage pourra être utilement complété par la relecture de la polémique à laquelle elle a donné lieu, notamment l’échange, par Monde Diplomatique interposé, entre Pierre Bourdieu et Daniel Schneidermann. » Christiane Restier-Melleray Bordeaux
Des liens avec l’émission, le forum [1] et le site du Monde Diplomatique  [2] suffisent donc...

Bernard Langlois consterné

Politis, Bloc-Notes, par Bernard Langlois, jeudi 31 janvier 2002.

« C’est jeudi dernier, le 24 dans la matinée, retourné en Creuse, qu’un coup de fil de Paris m’apprit la mort de Pierre Bourdieu.
J’ouvris la télévision pour le journal de 13h de France 2. D’habitude, j’essaie de ne pas trop critiquer les confrères, surtout ceux de France 2, surtout ceux du 13 h : on pourrait croire à de l’aigreur... Mais là, tout de même ! Après une bonne demi-heure de faits divers crapoteux (l’insécurité, n’est-ce pas...), puis quelques infos politiques, le présentateur annonça le décès du grand sociologue. Il était 13 h 37, j’ai consulté ma montre. Incompétence ou mépris, ou les deux à la fois ? C’était en tout cas un bel hommage involontaire au maître, féroce critique comme on sait du système médiatique en général et de la télévision en particulier... »

Belgique, Suisse

 Dans La Libre Belgique, datée du 24 janveir 2002, un certain E.de B. rédige sous un tite flamboyant - "L’homme qui portait `la misère du monde’..." - une notice bio-biliographique qu’il conclue en ces termes :

« Pierre Bourdieu, en somme, n’aura pas lésiné sur ses enthousiasmes. Il soutint en 1980 la candidature de Coluche à l’élection présidentielle, fonda en 1993 le comité international de soutien aux intellectuels algériens, puis apporta son adhésion aux grévistes et sans-papiers de 1995, alors que droite chiraquienne, lancée comme jamais, régnait en France sans partage. Ce n’est pourtant qu’en 1998 qu’éclata un virulent conflit, jusqu’au sein de la gauche même, où l’on se plaignait de la place que prenait décidément l’intellectuel. S’était-il sacré nouveau roi des mandarins ? »

Lire l’article sur le site "Homme moderne"

 Dans Le Temps (Suisse) : "Bourdieu, le sociologue qui n’aimait pas la télé" par Jean-Marc Béguin, vendredi 25 janvier.

« Pierre Bourdieu n’aimait pas la télévision. Pas rancuniers, le journal France 2 lui a consacré son ouverture et TF1 un gros sujet. La TSR, curieusement, rien qu’une petite minute en fin d’édition. »
« Bien sûr, certains ne manqueront pas de dire que la télévision a récupéré Bourdieu. Ce n’est pas faux, le système - tout système - a par nature tendance à récupérer ou exclure. La télévision a aimé Marchais quand il amusait les foules, elle a dopé Le Pen quand il grimpait dans les sondages, elle a aussi adopté José Bové et Bourdieu car ils étaient devenus des stars d’un mouvement social. C’est la loi de la notoriété.
Bourdieu a-t-il pour autant été récupéré par un système qu’il rejetait ? Par conviction, ou par cabotinage, le sociologue s’est identifié complaisamment avec le mouvement de rejet de la mondialisation. Se pliant aux simplifications qu’il ne cessait de dénoncer, il laissait ses affidés réduire son discours à quelques slogans de cantine pour les agités des différentes sectes de la « gauche de la gauche ». Ses salves contre les médias avaient plus à voir avec l’agit-prop qu’avec la sociologie. Bourdieu, ces dernières années, s’est fourvoyé dans le schématisme réducteur de ces engagements, devenant par là même une star médiatique complice du jeu qu’il pourfendait.
Jamais la télévision n’aurait consacré autant de minutes à sa disparition s’il était décédé dix ans plus tôt. C’est le gourou de l’antimondialisation qui a été enterré médiatiquement hier soir, pas le sociologue remarquable de la société contemporaine, dont la glose restera à tout jamais hermétique à l’écrasante majorité des téléspectateurs. »

Lire l’article sur le site "Homme moderne"

Dans Le Temps, on pouvait lire aussi

 "Pierre Bourdieu, l’homme qui dérange, est mort", par Laurent Wolf, Paris. Le Temps, CULTURE, vendredi 25 janvier 2002.

 "La sociologie est un sport de combat". Jérôme Meizoz, Le Temps, SAMEDI CULTUREL, Samedi 26 janvier 2002. (Enseignant aux Universités de Lausanne et de Genève, et membre correspondant du Centre de sociologie européenne (EHESS) en Suisse. Ancien élève de Pierre Bourdieu).

 « L’obscurantisme est revenu mais cette fois, nous avons affaire à des gens qui se recommandent de la raison. Face à cela, on ne peut pas se taire ». Propos recueillis par Isabelle Rüf, pour l’émission de Lison Méric « Fin de siècle » du 31/01/1999. Reproduit in Le Temps, 25/01/2002.

 
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Notes

[1Cet article faisait initialement un lien avec ces éléments, qui ont depuis disparu du site de La Cinquième, rubrique Arrêts sur images. Note d’Acrimed.

[2Un lien était également prévu. Mais impossible également de retrouver les articles en question.... Note d’Acrimed.

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